L’Afrique connaît une croissance démographique de 2% à 3% par an. Il s’agit de la croissance la plus forte au monde. D’ici 2050 on comptera 2,5 milliards d’habitants contre 1,3 aujourd’hui. Près de 70% des Africains a aujourd’hui moins de 30 ans. Le continent est souvent décrié à cause des faibles taux de scolarisation chez les jeunes. Il est urgent de solutionner ce problème au vu de l’augmentation importante de la population. Depuis une dizaine d’années des améliorations sont à souligner surtout au niveau du primaire et du secondaire. Pour ces deux premiers niveaux, on a observé une augmentation significative des inscrits. Entre 2004 et 2014 l’école primaire a gagné 40 millions d’élèves, et pour le secondaire on est passé de 20% d’inscrit en 2000 dans la classe d’âge concernée à 33% d’inscrits en 2014.
Pour ce qui est de l’enseignement supérieur, la situation est plus critique. Seul 15% des lycéens parvient à s’inscrire dans les universités à majorité publiques et gratuites en raison de leur nombre insuffisant. Alors, les jeunes n’hésitent pas à étudier dans des pays étrangers avec une offre de formation plus large et de meilleure qualité. C’est le fameux phénomène de la « fuite des cerveaux ». Pour répondre à la pénurie des universités de nouveaux acteurs sont arrivés sur le marché. Il s’agit d’entreprises privées qui ont créé des universités payantes à la différence des universités d’État gratuites. Aujourd’hui, ces institutions privées font partie du paysage éducatif. Pour pouvoir comprendre pourquoi et comment elles se sont progressivement installées sur le « marché de l’éducation », il faut revenir à la période de la création des universités publiques pour évoquer les défis auxquels elles ont été confrontées. Cela aide à comprendre la privation progressive de l’enseignement supérieur observée par la suite.
I.Les raisons de la mutation
Un secteur public en perte de vitesse
La création des universités africaines remonte majoritairement à la période coloniale ou post-coloniale. Elles étaient le fleuron des États nouvellement indépendants qui voyaient en ces institutions la marque de leur capacité à pouvoir former leurs populations sans dépendre des anciennes puissances coloniales. Mais, ces institutions ont failli à leur mission. On compte près de 1650 universités publiques sur le continent et ces dernières sont pour la plupart en grande difficulté. Elles sont souvent trop petites pour recevoir tous les étudiants. Les amphithéâtres sont surpeuplés. Ainsi, en 1970, 400 000 étudiants étaient inscrits dans les universités. Aujourd’hui ils se comptent en millions dans les mêmes universités. Ces universités manquent d’enseignants qualifiés. Moins de 20% des enseignants du supérieur en Afrique sont des doctorants. Cela déteint sur la qualité de l’enseignement et de la recherche. La pédagogie n’est pas adaptée aux besoins d’aujourd’hui. Les offres de formations sont peu nombreuses.
Les relations avec les entreprises permettant aux étudiants d’effectuer des stages sont rares. Sans compter les grèves à répétition qui débouchent souvent sur des années blanches. Une large majorité des États Africains ne bénéficie pas de ressources suffisantes pour répondre à l’augmentation du nombre d’étudiants. Par exemple, au Sénégal, seulement 11% des jeunes diplômés du secondaire peuvent accéder à l’université, faute de places. Au Nigéria cette proportion est de 7%. Il y une vraie pénurie de la main-d’œuvre formée. Les entreprises du continent ne parviennent pas à trouver suffisamment de jeunes diplômés formés dans les secteurs des technologies, de la santé, de l’agriculture, des sciences ou encore de l’ingénierie.
Seul l’Afrique du Sud et les pays d’Afrique du Nord parviennent à hisser leurs établissements au sein des classements des meilleures universités mondiales. Il faut noter que ces classements sont très contestés, mais malgré cela, il faut les prendre en compte.
Face à cette pénurie des universités publiques, et à l’insuffisance de la qualité des formations qu’elles offrent des entrepreneurs privés sont entrés dans le secteur de l’offre de formation au niveau supérieur. Longtemps focalisé sur l’offre dans les domaines de la santé et des infrastructures, le secteur privé est désormais présent dans tous les domaines de formations supérieures en Afrique.
Le privé à la rescousse du public
Le secteur privé se comprend comme étant un secteur non gouvernemental à but lucratif. C’est un acteur relativement nouveau en Afrique dans le secteur éducatif qui comporte de nombreuses barrières à l’entrée : la complexité des systèmes éducatifs, l’incertitude en matière de réglementation, l’absence de normes, l’horizon incertain d’investissement à long terme.
Le secteur privé développe des universités et des écoles qui séduisent une fraction toujours plus grande des étudiants et des familles. Au niveau mondial, c’est en Afrique que la croissance de ces institutions est la plus grande à tous les niveaux : 14% des élèves du primaire sont dans le privé et 18% sont dans le secondaire privé, ce qui correspond à 22 millions de personnes. Pour l’enseignement supérieur, l’Afrique subsaharienne a connu la croissance la plus rapide en termes d’effectifs. De 1970 à 2013, il y a eu une augmentation de 4,3% par an, soit une croissance supérieure à la moyenne mondiale de 2,8%.
En Afrique, l’Ouganda, la République démocratique du Congo et la Côte d’Ivoire ont connu les plus fortes augmentations. Entre 1990 et 2014, les universités privées sont passées dans ces pays de 300 à 1000, contre 100 à 500 pour les universités publiques.
Les institutions privées, du fait de leurs proximités avec les entreprises, sont considérées comme plus efficaces. Elles se plient aux exigences religieuses, culturelles, sociales et politiques des territoires dans lesquels elles s’implantent. Elles s’adressent à toutes les « classes » socio-économiques. Celles-ci ont un droit de regard sur le contenu des formations. En effet, ce sont-elles qui financent les formations et les enseignants, et peuvent par conséquent, faire pression sur les programmes scolaires.
Autant les familles financent les universités privées, autant le privé reçoit des subventions de l’Etat. Le privé considère en effet qu’il est obligé de suppléer le public en la matière. Ainsi, en 2013, au Sénégal, près de 40 000 étudiants ont été placés dans le privé avec le soutien de l’État, faute de places dans le public. Si cette décision semble avoir été la bonne, elle a révélé les faiblesses de l’État dans l’accomplissement de ses missions scolaires. C’est ainsi qu’au Sénégal, le secteur privé draine actuellement 40% des effectifs et exige de l’État qu’il lui verse près de 16 milliards de FCFA soit 24 millions d’euros pour prendre en charge le surcroît d’étudiants qui ne trouvent pas de places dans le public.
II. Les perspectives pour le futur
La nécessité d’un encadrement des universités privées
L’éducation est un droit social qui est inscrit dans de nombreux textes internationaux à l’instar de la Déclaration Universelle des droits de l’Homme (1948), la Conférence Mondiale pour l’Education Pour Tous (1990) et l’Objectif du Millénaire pour le développement de 2000. Pour que ce droit soit garanti, il faut que l’État puisse en assurer sa bonne application.
L’ONU a mis en garde, à de nombreuses reprises, les États quant à la montée de la privatisation de l’éducation. En 2015, dans une déclaration, 190 défenseurs de l’éducation ont appelé les gouvernements des pays en développement à stopper l’implantation d’institutions privées sur leurs sols. Ils ont aussi demandé à la Banque mondiale de ne plus subventionner ces institutions privées. Il faut rappeler que le phénomène de la privatisation de l’éducation en Afrique est relativement récent. L’Etat a été surpris par sa rapide expansion et n’a pas eu le temps de jouer son rôle d’encadrement. C’est pourquoi, l’ONU et les défenseurs de l’éducation ont voulu attirer l’attention sur les risques de détérioration qualitative du système scolaire auxquels s’exposent les pays qui enregistrent un développement rapide des universités privées. Avec leurs mises en garde, ils alertent les États sur la nécessité de mettre en place des mécanismes de contrôle agréant les universités, les formations qu’elles dispensent et les diplômes qu’elles délivrent. Pour ce faire, il faut que des organismes de certification soient instaurés. Il faut aussi que l’Etat s’engage dans la promotion des formations professionnelles et techniques, très souvent dévalorisées. Les établissements publics devraient mettre en place l’utilisation de cours en ligne, à l’instar du Sénégal prévoyant l’ouverture de formations à distance pour près de 40 000 étudiants d’ici 2 ans.
Exemple de l’université du futur : African Leadership University
L’African Leadership University (ALU) est une université privée qui se trouve sur deux campus en Afrique : l’un au Rwanda et l’autre à l’île Maurice. Elle a été créée en 2015 par Fred Swaniker un entrepreneur ghanéen et Veda Sunassee un entrepreneur mauricien. Ces derniers ambitionnent de former 3 millions de jeunes pour l’Afrique et le reste du monde d’ici 2065. Il n’y pas de cours dans les amphithéâtres à l’ALU comme dans les universités classiques. Les fondateurs de l’université ont ainsi voulu éviter que les étudiants se sentent laisser à eux-mêmes. C’est pourquoi les cours sont exclusivement donnés par petit groupe dans des espace ouverts ou la communication entre les étudiants est privilégiée. Les programmes de formation sont construits avec l’aide des entreprises et les cours sont dispensés par des chefs d’entreprises et de jeunes entrepreneurs. L’ALU focalise ses formations sur l’apprentissage et le développement des « compétences du 21 siècle ». Il s’agit de compétences entrepreneuriales et managériales, de stimuler les étudiants pour qu’ils développent une pensée critique et encourager les élèves à utiliser les outils informatiques. Au cours de leur licence qui dure 3 à 4 ans les étudiants ont l’obligation d’effectuer des stages d’une durée de 4 mois à chaque fin d’année. Les entreprises partenaires, pour accueillir ces étudiants, sont des grands groupes au monde comme Mckinsey & Company ou le Boston Consulting Group. Des programmes de formation conjointe entre la Harvard Business School et l’ALU ont été signés. Ce partenariat crédibilise ALU.
Par son approche, l’ALU espère augmenter considérablement l’employabilité de jeunes diplômés, afin d’éviter de grossir les rangs des chômeurs sur le continent. L’ambition est ici non seulement de construire le meilleur système universitaire de toute l’Afrique, mais aussi l’un des plus performants au monde.
Conclusion
Il n’est plus possible aujourd’hui d’ignorer la présence des établissements privés dans le secteur de l’éducation. Ces institutions sont parvenues à pallier les manques du secteur public. Elles apportent une offre éducative et une qualité d’enseignement très recherché chez les jeunes Africains. Les universités et écoles privées ont progressivement empiété sur la sphère du public. La proximité avec le monde de l’entreprise a fortement incité les étudiants à investir financièrement dans ces structures. Les stages qui sont proposés permettent d’avoir une idée précise du monde de l’entreprise et d’être mieux préparés pour y accéder. Mais, si ces établissements ne sont pas administrés et financés en respectant des règles énoncées par les états, elles pourraient, en se focalisant sur des objectifs particuliers, être détournées de leur mission fondamentale d’éducation.
English version
The development of private universities in Africa
Africa is experiencing population growth of 2% to 3% per year. This is the strongest growth in the world. By 2050 there will be 2.5 billion inhabitants, compared with 1.3 today. Nearly 70% of Africans today are under 30 years old. The continent is often criticized because of low enrolment rates among young people. It is urgent to solve this problem in view of the significant increase in population. Over the past decade or so, improvements have been particularly noticeable at the elementary and secondary levels. For these first two levels, there was a significant increase in registrations. Between 2004 and 2014 the primary school gained 40 million pupils, and for the secondary school one went from 20% of enrolled in 2000 in the relevant age group to 33% of enrolled.
As regards higher education, the situation is more critical. Only 15% of high school students manage to enrol in public and free majority universities because of their insufficient number. So young people do not hesitate to study in foreign countries with a wider and better training offer. This is the famous phenomenon of the “brain drain”. In response to the shortage of universities, new players have entered the market. These are private companies that have set up paying universities in contrast to free state universities. Today, these private institutions are part of the educational landscape. In order to understand why and how they have gradually established themselves in the “education market” it is necessary to return to the period of the creation of public universities to discuss the challenges they have faced. This helps to understand the subsequent progressive deprivation of higher education.
I. The reasons for the transfer
A declining public sector
The creation of African universities dates mainly to the colonial or post-colonial period. They were the flagship of the newly independent states that saw these institutions as a mark of their ability to form their populations without dependence on the former colonial powers. But these institutions failed in their mission. There are nearly 1650 public universities on the continent, most of which are in great difficulty. They are often too small to accommodate all students. The lecture halls are overcrowded. In 1970, 400,000 students were enrolled in universities. Today, there are millions in the same universities. These universities lack qualified teachers Less than 20% of higher education teachers in Africa are Phd students. This reflects on the quality of teaching and research. Pedagogy is not adapted to today’s needs. There are few training offers.
Relationships with companies that allow students to do internships are rare. Not to mention the repeated strikes that often lead to white years. A large majority of African states do not have sufficient resources to meet the increase in the number of students. For example, in Senegal, only 11% of young high school graduates can access university because of a lack of places. In Nigeria, this proportion is 7%. There is a real shortage of trained labour. Companies on the continent are unable to find enough young graduates trained in technology, health, agriculture, science or engineering.
Only South Africa and the countries of North Africa manage to raise their institutions in the rankings of the best universities in the world. It should be noted that these rankings are highly contested, but despite this, they must be taken into account.
In the face of this shortage of public universities, and the lack of quality in the training they offer from private entrepreneurs have entered the sector of training provision at the higher level. For a long time focused on health and infrastructure supply, the private sector is now present in all areas of higher education in Africa.
The private to the rescue of the public
The private sector understands itself as a for-profit non-governmental sector. It is a relatively new player in the education sector in Africa with many barriers to entry: the complexity of education systems, regulatory uncertainty, lack of standards, uncertain long-term investment horizon.
The private sector is developing universities and schools that appeal to an ever-increasing fraction of students and families. At the global level, it is in Africa that the growth of these institutions is greatest at all levels: 14% of primary students are in the private sector and 18% are in the private sector, which corresponds to 22 million people. For higher education, sub-Saharan Africa has experienced the fastest growth in terms of enrolment. From 1970 to 2013, there was an increase of 4.3% per year, higher than the world average of 2.8%.
In Africa, Uganda, the Democratic Republic of Congo and Côte d’Ivoire experienced the largest increases. Between 1990 and 2014, private universities increased in these countries from 300 to 1000, compared with 100 to 500 for public universities.
Private institutions, because of their proximity to businesses, are considered more effective. They comply with the religious, cultural, social and political demands of the territories in which they settle. They are aimed at all socio-economic “classes”. They have the right to control the content of training. Indeed, they are the ones who fund training and teachers, and can therefore put pressure on school curricula.
As much as families finance private universities, so much the private receives subsidies from the state. The private sector considers that it is obliged to supplement the public in this respect. In 2013, in Senegal, nearly 40,000 students were placed in private care with the support of the State, due to a lack of places in the public. If this decision seems to have been the right one, it has revealed the weaknesses of the State in the fulfilment of its school missions. In Senegal, for example, the private sector currently drains 40% of the workforce and requires the State to pay it nearly FCFA 16 billion, or EUR 24 million, to cover the additional costs of students who cannot find places in the public.
II) Prospects for the future
The need for supervision of private universities
Education is a social right which is enshrined in many international texts such as the Universal Declaration of Human Rights (1948), the World Conference for Education For All (1990) and the Millennium Development Goal of 2000. For this right to be guaranteed, the State must be able to ensure its proper application.
The UN has repeatedly warned states of the rise in the privatization of education. In 2015, in a statement, 190 education advocates called on governments in developing countries to halt the establishment of private institutions on their soil. They also asked the World Bank to stop subsidizing these private institutions.
It should be remembered that the phenomenon of the privatization of education in Africa is relatively recent. The State was surprised by its rapid expansion and did not have time to play its supervisory role. For this reason, the UN and education advocates wanted to draw attention to the risks of a qualitative deterioration of the school system faced by countries experiencing rapid development of private universities.
With their warnings, they alert States to the need to put in place control mechanisms that accredit universities, the training they provide and the diplomas they award. To do this, certification bodies must be established. The State must also commit itself to the promotion of vocational and technical training, which is often devalued. Public institutions should implement the use of online courses, as in Senegal, providing for the opening of distance training for nearly 40,000 students within 2 years.
The example of the University of the Future: African Leadership University
African Leadership University (ALU) is a private university located on two campuses in Africa, one in Rwanda and the other in Mauritius. It was created in 2015 by Fred Swaniker a Ghanaian entrepreneur and Veda Sunassee a Mauritian entrepreneur. They aim to train 3 million young people for Africa and the rest of the world by 2065. There are no lectures in the ALU amphitheatres as in the classical universities. The founders of the university thus wanted to avoid students feeling left to themselves. This is why the courses are given exclusively by small groups in open spaces where communication between students is privileged. Training programmes are built with the help of enterprises and courses are provided by entrepreneurs and young entrepreneurs. ALU focuses its training on learning and developing the “skills of the 21st century”. These include entrepreneurial and managerial skills, stimulating students to develop critical thinking, and encouraging students to use computer tools. During their bachelor’s degree, which lasts 3 to 4 years, students are required to complete 4-month internships at the end of each year. The partner companies, to welcome these students, are major groups in the world such as Mckinsey & Company or the Boston Consulting Group. Joint training programs between Harvard Business School and ALU have been signed. This ALU credible partnership.
Through its approach, ALU hopes to significantly increase the employability of young graduates, in order to avoid increasing the ranks of the unemployed on the continent. The ambition here is not only to build the best university system in Africa, but also one of the best in the world.
Conclusion
It is no longer possible to ignore the presence of private institutions in the education sector. These institutions have succeeded in filling the gaps in the public sector. They provide a highly sought-after educational offer and quality of education for young Africans. Universities and private schools have gradually encroached on the public sphere. The proximity to the corporate world has strongly encouraged students to invest financially in these structures. The internships that are offered allow you to have a clear idea of the world of business and to be better prepared to access it. But if these institutions are not administered and financed in accordance with the rules laid down by the States, they could, by focusing on objectives be diverted from their fundamental mission of education.
Alexandrine Bouopda Kwengoua
Sources :
https://startupbrics.com/african-leadership-university/#.XGFN1uhKjIX