PARTIE 2 – UNE POLITIQUE CHINOISE EN AFRIQUE AUX MULTIPLES ENJEUX ?
DES ENJEUX DIPLOMATIQUES
• L’Occident se sent concurrencé
Dans la lutte pour la primauté à la tête des « grandes puissances », synonyme d’une gloire enfin retrouvée pour la Chine, les pays africains représentent un enjeu clé à tout point de vue (diplomatique, culturel et démographique) en tant que porteurs de la consommation mondiale du XXIe siècle. La Chine, en s’ouvrant au monde, a donc depuis les années 2000 multiplié les accords bilatéraux, relations diplomatiques et crédits accordés aux nations africaines – avec un succès relatif qui s’est surtout concrétisé pour les populations locales par la construction d’infrastructures énergétiques, de télécommunications et de transports mais aussi « d’éléphants blancs », projets coûteux mais peu pertinents.
Depuis les années 2010, la Chine est critiquée notamment par les pays du Nord – dont la France, l’Espagne, le Royaume-Uni et les États-Unis – qui pointent son opportunisme, mais aussi des tactiques concurrentielles douteuses (le piège d’une insolvabilité face à la dette chinoise pour les pays africains), l’absence d’une prise en compte de la protection de l’environnement, et l’ignorance des droits humains sans oublier l’absence de critiques des régimes dictatoriaux. Dans cette bataille qui est aussi médiatique, le but est désormais connu : rivaliser avec acharnement via des projets et des programmes « charitables » pour l’Afrique afin de concurrencer la future Belt and Road Initiative (BRI, la nouvelle route de la soie) qui prévoit de faire de la Chine le centre du marché mondial dès le milieu de ce siècle.
• La pandémie : danger et opportunité pour la Chine
En cette nouvelle décennie marquée par une pandémie née en Chine (Wuhan), on aurait pu croire que la Covid-19 aurait laissé une marque indélébile, suivi d’un arrêt de la marche en avant de la Chine. Mais il n’en ait presque rien. Après tout, le mot « Wēijī » (crise en mandarin) est composé des caractères « danger » et « opportunité ». Des opportunités, la Chine en a eu beaucoup ces deux dernières années. La diplomatie chinoise s’est stratégiquement organisée pour une reconquête de ses pays « amis et camarades ». La pandémie ayant causé un déficit budgétaire majeur pour de nombreux États africains, la Chine a mis en place des prêts et suppressions de dettes sous les regards suspicieux de la population civile consciente de l’opacité et du manque de transparence des accords. À ce regard suspicieux s’ajoute depuis quelques mois les opportunités offertes par la découverte d’un vaccin.
• Une guerre diplomatique sous couvert de vaccins anti-Covid
Sinopharm (Groupe pharmaceutique national chinois) – et par extension la Chine – est dans une conquête du marché des vaccins anti-Covid en Afrique avec son vaccin Sinovac. En effet, parmi les 54 pays que comptent le continent, l’industrie pharmaceutique moderne est jusqu’à présent inexistante ou lourdement concurrencée par des contrefaçons issues principalement d’Asie centrale. Cependant, il est fort à parier que cette conquête du groupe Sinopharm devrait jouer un rôle clé dans les transferts technologiques futurs ou la construction d’infrastructures médicales. Le développement de moyens logistiques médicaux qu’impose la pandémie servira certains pays ainsi que les nombreuses régions qui sont victimes d’une désertification médicale et d’une raréfaction des équipements médicaux.
La guerre diplomatique que mènent les partenaires économiques des pays africains s’opère notamment à une époque où, fatalement, l’on constate une réduction de l’hégémonie des puissances occidentales sur le continent. Tant bien que mal, ces nations sont très désireuses de s’imposer face à une Chine qui est depuis peu le premier partenaire économique du continent, phénomène qui tend à s’amplifier sous la pandémie de la covid-19.
Les pays du Nord, comme les États-Unis, la France et le Royaume-Uni par exemple, ont jusqu’à présent largement favorisé leurs propres citoyens via des politiques centrées sur un nationalisme vaccinal, n’adressant que rarement des inquiétudes pour le continent. La Chine au contraire, dès le départ et à ses propres frais, a favorisé ses « camarades » africains dans l’espoir de débuter un plan plus vaste pour étendre son soft power – qui demeure une de ses faiblesses – notamment après des années de tensions intra-communautaires en Afrique entre la diaspora chinoise grandissante et les populations locales. De même en Chine continentale, où des incidents racistes comme des barbouillages (Black-face) à la télévision nationale lors des célébrations du Nouvel An lunaire ont contribué à entacher l’image de la Chine auprès des Africains. Dernier fait en date : l’éviction massive des sans-papiers et le contrôle des membres des communautés noires de Guangzhou (Province du Canton). Ces éléments ont marqué, les populations africaines, ternissant une image de fraternité entre les peuples du Sud – esprit de la conférence de Bandung – dont la Chine moderne se veut l’héritière.
Cette diplomatie du vaccin portera sans doute ses fruits après la pandémie. Ce soft power chinois encore bourgeonnant s’inscrit véritablement dans une stratégie sur le très long terme. Et c’est de cette vision, de ce « long-termisme » dont aucun pays du Nord n’a actuellement fait la démonstration. On comprend alors toute la signification derrière cet adage au cœur du lexique proverbial des officiels chinois quand il est question des stratégies et relations sino-africaines : « Un ami dans le besoin est un ami en effet ».
UNE NOUVELLE ILLUSTRATION D’UNE RELATION ASYMÉTRIQUE ?
• Des frais cachés ?
Quel est le statut des vaccins chinois arrivant en territoire africain ? Le ministre de la Santé sénégalais évoquait sur Twitter un « don » de la part des Chinois avant de se rétracter. Face à une telle « générosité », il est difficile d’imaginer la marge de manœuvre dont disposeront réellement les pays africains face à une requête chinoise à venir.

En réalité, les chiffres divulgués par les groupes pharmaceutiques sont rarement disponibles et encore moins sur le continent. Mais selon de nombreuses sources dont le Financial Times, CNBC ou encore Reuters, Sinovac aurait un coût de 25 euros la dose, à la date du 1er décembre 2020. Avec le temps, l’on peut facilement supposer que Sinopharm a pu réaliser des économies d’échelle et réduire ses coûts, qui actuellement demeurent inconnus.
• Une potentielle concurrence pour le vaccin chinois ?
Depuis quelques semaines, le vaccin allemand CureVac compte plus de 40 000 volontaires (sains par ailleurs) pour des essais de phases 2B et 3. On estime qu’il pourrait être utilisable après une autorisation de l’Union européenne à partir de l’été 2021.
Ce vaccin à ARNm – comme les vaccins anti Covid-19 de Pfizer/BioNTech et Moderna – ne nécessite pas un stockage à température négative mais peut être placé dans un réfrigérateur ordinaire, ce qui, dans le contexte africain, pourrait changer la donne. Il s’agit là d’une étape importante qui pourrait résoudre un problème logistique auquel sont confrontés de nombreux pays, principalement dans les zones rurales.
Le CureVac allemand pourrait-il être plus compétitif que le Sinovac chinois ? Le prix et la production de masse seront déterminants, tout autant que la qualité ou les conditions de stockage. L’Allemagne – membre du programme Covax de la GAVI qui promeut l’accès aux vaccins dans les pays pauvres – pourrait jouir de sa bonne réputation dans de nombreux pays du Sud en ce qui concerne la qualité de ses produits. Ceci pourrait pallier la méfiance des populations envers les vaccins. Cependant, actuellement, Sinovac a une primauté logistique et quantitative sur le continent.
Cainiao, société logistique du groupe Alibaba, a noué avec Ethiopian Airlines un partenariat pour la diffusion des vaccins du groupe Sinopharm en quantité sur le continent. Et malgré sa faible efficacité – confirmée par Gao Fu directeur du CDC chinois (Centres pour le contrôle et la prévention des maladies) – nombreux sont les avions d’Ethiopian Airlines qui atterrissent sur le tarmac des capitales africaines.
Toutefois, l’on ignore si face à des vaccins et des programmes concurrents, Sinopharm ambitionne d’améliorer « l’efficacité » et les conditions de stockage (température froide) de ses vaccins. Mais, il est certain que le gouvernement chinois est depuis peu conscient de son image. C’est la raison pour laquelle il a mis en place un renforcement des politiques de surveillance des vaccins présents sur le marché interne et des tentatives de commercialisation de contrefaçons. Pékin souhaite éviter, et à défaut limiter, la production et la vente des faux vaccins qui pourraient alimenter de nombreux pays africains comme le souligne Interpol dans ses derniers rapports, en nommant cette éventualité une « pandémie parallèle ». Récemment d’ailleurs, la police chinoise a saisi des milliers de fausses doses de vaccins COVID-19 qui contenaient de l’eau salée.
• Quelle est la qualité des vaccins chinois ?
La question de la qualité des vaccins chinois est donc fondamentale dans un environnement aussi concurrentiel. Malheureusement, il est difficile de se prononcer sur l’analyse de la qualité des vaccins dans les pays bénéficiaires. Selon l’OMS, il est plus ou moins possible de comparer de manière pertinente l’efficacité des vaccins parce que les différentes étapes de test sont menées de manières diverses et que chaque vaccin est efficace pour différents stades du virus et variants. Le vaccin Sinovac a par exemple eu des résultats décevants face au variant brésilien, de même qu’AstraZeneca qui ne protège pas efficacement contre le variant sud-africain.
En décembre 2020, les Émirats arabes unis sont devenus l’un des premiers pays à proposer Sinovac auprès du public. Selon leurs données, Sinovac aurait un taux d’efficacité de 86 % (dans le cadre d’un essai à trois phases), et les chiffres obtenus par l’émirat de Bahreïn confirment cette conclusion. Dans les faits, l’on sait désormais que comparativement à d’autres vaccins, l’efficacité de Sinovac est inférieure à celle d’AstraZeneca qui est pourtant boudé par certains pays européens malgré un taux d’efficacité de 79%, préférant Pfizer qui demeure à un taux d’efficacité de 95%.

© Dailymail.co.uk : graphique des vaccins disponibles sur le marché et des commandes du Royaume-Uni
L’efficacité dont il est question ici est dans le cadre d’une vaccination préventive des symptômes de la Covid-19 sur les cas légers.
D’autres études, dont celle du Murdoch Children’s Research Institute de Melbourne, confirment le faible taux d’efficacité de Sinovac qui est de 50 % sur les cas légers. Par ailleurs, en ce qui concerne les infections de la Covid-19 nécessitant une intervention médicale, les vaccins Sinovac ont en général une efficacité d’environ 84 % et de 100 % pour les cas de Covid modérés à sévères.
Conclusion : Que doit faire le continent ?
La dépendance à la Chine et par extension à Sinopharm doit tout de même être relativisée, dans un contexte où le continent ne représente que 2% des vaccins administrés sur les 690 millions de doses distribuées à l’échelle mondiale. Par ailleurs, avant la pandémie de la Covid-19, le continent importait déjà 99% des vaccins dont il avait besoin, selon les Centres Africains de Contrôle et de Prévention des Maladies.
Face à tous « ces amis qui lui veulent du bien », c’est en ayant une politique unie que les pays africains auront un réel impact. Il est préférable entre ces différents collaborateurs d’être prudents dans leurs choix, notamment dans un contexte ou une guerre économique sino-américaine se joue à l’arrière-plan de cette pandémie.
Les compétitions entre partenaires et programmes internationaux sont des leviers fondamentaux pour faire avancer un agenda politique et économique, et permettent, surtout dans le contexte présent, de s’harmoniser pour la mise en place de politiques et d’infrastructures de santé.
Le paradoxe de cette crise est qu’elle démontre encore une fois le manque de vision qui occupe encore les instances nationales et continentales. C’est ce manque de collaboration qui explique le retard qu’ont eu les Centres Africains de Contrôle et de Prévention des Maladies (CDC Afrique) pour jouer un rôle majeur dans l’harmonisation d’un programme/projet vaccinal à l’échelle continental, mais aussi dans le transfert de technologie pour la production de vaccins. Il est véritablement dommage que l’Afrique du Sud soit l’un des rares pays d’Afrique subsaharienne qui, via le groupe pharmaceutique Biovac Institute (en partenariat avec des acteurs pharmaceutiques comme Pfizer et Sanofi-Pasteur), produise des vaccins.
Le retard de certains pays du continent, comme le démontrent les données de l’Organisation mondiale de la santé, peut encore être rattrapé. Après tout, le continent est largement épargné malgré une deuxième vague plus agressive que la première. Une solution envisageable serait d’annuler les brevets des groupes pharmaceutiques sur le continent et d’investir dans les infrastructures pharmaceutiques afin de garantir une reproduction massive via les instituts locaux.
Article rédigé par Liko Imalet.
SOURCES
1.https://www.gavi.org/vaccineswork/covax-explained
5.https://www.bmj.com/content/373/bmj.n969
6.http://epaper.chinadaily.com.cn/a/202104/13/WS6074ceeba31099a234355567.html (Data 2% vaccines world wide)
7.https://www.capital.fr/economie-politique/covid-19-en-chine-de-faux-vaccins-contenaient-de-leau-salee-un-reseau-de-trafiquants-demantele-1392736 (Les faux vaccins chinois, et l’eau salé)
8.The China in Africa Podcast : China & The Geopolitics of COVID Vaccines in Africa