PARTIE 1 – LA CHINE, SEUL PARTENAIRE VIABLE ?
Bien qu’impactée de manière plus faible que le vieux continent, la pandémie de Covid-19 n’a pas épargné l’Afrique. Face au besoin croissant de faire face au virus, le continent africain semble avoir trouvé en la Chine son principal interlocuteur.
Le China National Pharmaceutical Group (Sinopharm), propriété de l’État chinois, s’est rapidement employé à trouver un remède à la pandémie mondiale ayant débuté à Wuhan. Dès la fin décembre 2020, Sinopharm présentait au monde son premier vaccin contre la Covid sous le nom de Ad5-nCoV ou Convidecia. Environ quatre mois plus tard, en avril 2021, la Chine avait déjà distribué près de 260 millions de doses dans le monde.
La nature de la pandémie et le contexte croissant de flux mondiaux a confirmé la nécessité d’une réponse globale et explique l’intérêt de se préoccuper de la réponse vaccinale des autres pays. C’est en partie pour cela que la question de la vaccination des populations africaines résonne bien au-delà des frontières du seul continent.
En l’absence d’une politique commune menée par l’Union Africaine, les pays se sont organisés de manière individuelle, les plus vulnérables demeurant en proie à la « prédation vaccinale » venue en premier de l’Est. L’absence des occidentaux s’explique peut-être par la situation locale, moins stabilisée au début de l’action chinoise en Afrique et rendant des actions vers l’extérieur plus difficiles à mettre en place et à justifier. La Chine étant omniprésente à de nombreux niveaux en Afrique, sa présence peut se lire comme la continuation logique de l’explosion des échanges commerciaux avec le continent africain depuis les années 2000. Ses actions sur le continent suscitent néanmoins une grande méfiance.
La Chine a été la première à entamer son processus de « diplomatie vaccinale » en Afrique et ailleurs, et ce, avant d’avoir vacciné la majorité de sa population, ce qui a contribué à renforcer les soupçons sur son agenda réel. Les médias occidentaux parlent d’« arme », d’« offensive » et de stratégie diplomatique vaccinale. La France et l’Europe se seraient, à mi-mots, fait « doubler ». Dans un secteur aussi délicat que celui de la santé, le mot « prédation » a vite été lancé. Reste à voir si se cache derrière ces remarques une préoccupation sincère ou une jalousie maladive.
Le sujet est complexe car il implique de veiller à éviter de tomber dans une diabolisation de la Chine au profit de l’Occident, aux intérêts et méthodes forcément plus charitables et pieux. Il demande également de prendre en compte les réalités sanitaires disparates des différents pays africains et exclut une réponse unidimensionnelle. De plus, les chiffres disponibles sont à nuancer. L’article s’emploiera à tenter d’avoir un regard lucide sur la politique employée par la Chine et ce qu’il est possible d’en tirer comme conclusion pour le continent africain.
Comment interpréter la politique vaccinale de la Chine en Afrique ?
Cette étude abordera dans un premier article la politique vaccinale actuellement déployée par la Chine en Afrique. Les enjeux multiples de cette stratégie chinoise seront traités dans un second article.
LA CHINE, PARTENAIRE VACCINAL DE CHOIX
• Quel vaccin chinois ?
Il faut d’abord comprendre de quoi il est question lorsqu’il est fait mention de « vaccin chinois ». La Chine développe actuellement 17 vaccins : quatre ont déjà reçu une « autorisation conditionnelle de mise sur le marché », deux produits par Sinopharm, un par Sinovac et le quatrième par CanSinoBio, une biotech qui a produit un vaccin ne nécessitant qu’une seule dose. Selon le magazine chinois Caixin, Sinopharm serait en mesure de produire annuellement 220 millions de doses. Sinovac parle de deux milliards de doses par an à partir de juin 2021.
Gao Fu, directeur du centre de contrôle et de prévention des maladies chinois, a assuré que la Chine devrait pouvoir vacciner 70% à 80% de sa population d’ici début 2022. La campagne de vaccination chinoise avait suscité la controverse dès le départ. En effet, deux vaccins anti-Covid ont été attribués à un million de personnes alors qu’ils en étaient encore à un stade expérimental précoce. Le président de Sinopharm a assuré qu’il n’y avait pas « de retours faisant état de réactions indésirables graves ».
En attendant, l’expert pneumologue Zhong Nanshan révélait le 1er mars que seuls 3,56% de la population avait été vaccinée jusque-là, soit près 140 millions de personnes à ce jour. Les autorités ont désormais comme objectif de vacciner 40% des ressortissants chinois d’ici le mois de juin.
Malgré les capacités de production du pays, la campagne locale chinoise a démarré assez lentement. Si la Chine semble maintenant intensifier le rythme et se concentrer sur la vaccination de sa population, les premiers efforts ont visiblement été consacrés à l’exportation, notamment sur le continent africain.
• Une attractivité de la Chine aux facteurs multiples
Les pays africains ont plusieurs raisons qui les poussent à se tourner vers la Chine. D’une part, les prix faibles du vaccin chinois : la majorité des vaccins occidentaux semblent trop chers pour être attractifs.
Plusieurs pays africains ne peuvent pas accéder à tous les vaccins sur le marché faute de pouvoir les stocker de manière adéquate. Le manque d’infrastructures ou leur faible qualité est à déplorer. Les infrastructures existantes ne permettent pas de garantir une vaccination de masse et l’environnement tropical rend techniquement complexe le maintien dans des températures négatives. Cela limite donc les choix de vaccins possibles.
La lenteur du programme Covax est également pointée du doigt. Lancé en printemps 2020, le Covax, dispositif de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), devait permettre aux pays à faibles revenus de recevoir des doses de vaccin. Il a pour objectif de fournir près de 600 millions de doses au continent afin de lui permettre de vacciner au moins 20% de sa population. Les doses se sont fait attendre faute de contribution financière des pays engagés. Au Ghana notamment, les premières doses ne sont arrivées que fin février.
Face à la Chine, la mobilisation internationale COVAX occupe une place timide dans la distribution des vaccins anti-covid en Afrique.

Ainsi dans le cadre de la COVAX, la GAVI (« l’Alliance du vaccin » qui codirige le programme) a mis en place un partenariat entre la quasi-totalité des pays membres de l’ONU, les organisations non gouvernementales, dont la CEPI (Coalition pour les innovations en matière de préparation aux épidémies), l’UNICEF et l’OMS. Ce partenariat a pour but de permettre une plus grande répartition des vaccins dans les pays n’ayant des capacités de production ou même d’achat des vaccins. Il s’agit dans la grande majorité de dons.
L’Inde est un des principaux donateurs de vaccins via le programme COVAX. D’autres pays, notamment les pays membres de l’UE, les États-Unis et même la Chine participent fortement au financement économique du programme Covax. Les retards de paiement ont cependant gravement freiné le processus et rendu la perspective chinoise plus attirante.
Face à la deuxième vague épidémique, plusieurs pays africains se sont donc tournés vers Pékin. Certains, comme le Sénégal, mènent même une « double stratégie » : ils attendent les vaccins Covax mais font en parallèle appel à la Chine.
• La stratégie de communication de la Chine en Afrique
L’offensive communicationnelle menée par la Chine a sans doute également joué un rôle majeur. La Chine, ce n’est plus un secret, use et abuse de son absence de passif colonial en Afrique. Elle peut de plus jouer sur le fait d’avoir été la première à réagir et à avoir gracieusement tendu la main à ses « amis » en difficulté. Même si le dispositif Covax finit par faire ses preuves, il sera difficile d’oublier que les premiers vaccins étaient chinois. « Dons » ou livraisons, la frontière est floue.
Au milieu du mois de mars, le premier lot de vaccins donnés par Sinopharm est arrivé à Libreville (Gabon), et a été reçu à l’aéroport par son Premier ministre, Rose Christiane Ossouka Raponda, accompagnée de deux ministres et de l’ambassadeur chinois, Hu Changchun. Les ambassadeurs chinois en Afrique sont souvent présents lors de ces livraisons, très formalisées.
Lors de la livraison de 50 000 doses de vaccin Sinopharm en Mauritanie, le chargé d’affaires Wang Jian se félicitait sur le site de l’ambassade de Chine à Nouakchott d’« un événement majeur dans l’histoire des relations sino-mauritaniennes, marquant une nouvelle étape dans la coopération bilatérale dans la lutte contre la pandémie ». Le président gabonais Ali Bongo Ondimba préféra Facebook pour annoncer la réception des 100 000 doses de vaccins chinois, photos des cartons à l‘appui.
Pour toutes ces raisons, les vaccins chinois attirent et la puissance dirigée par Xi Jinping ne lésine pas sur les moyens pour les déployer sur le continent africain.
LE DÉVELOPPEMENT DE LA POLITIQUE VACCINALE CHINOISE SUR LE CONTINENT
• Les pays africains destinataires de vaccins chinois
Au moment de la rédaction de cet article, le Sénégal a reçu 200 000 vaccins de Sinofarm et devrait recevoir près de 6,5 millions de doses supplémentaires. 100 000 vaccins ont été livrés en Tunisie au Gabon et en Guinée équatoriale, 50 000 en Mauritanie. Les Seychelles, le Zimbabwe, l’Égypte, la Sierra Leone, le Tchad, l’Éthiopie, le Botswana, le Maroc ou la République démocratique du Congo ont également été approvisionnés en vaccins chinois.

Les pays africains n’ont cependant pas réagi de manière uniforme et certaines commandes et négociations se sont voulues plus tardives, à l’image du Nigeria.
D’autres pays s’approvisionnent à la fois en vaccins chinois et également en vaccins d’autres origines. C’est le cas du Maroc qui a annoncé avoir commandé 65 millions de doses de vaccins chinois et britannique. Le pays avait passé des accords pour la réalisation d’essais cliniques du vaccin sur son territoire. En contrepartie de résultats probants, le Maroc s’est assuré un accès prioritaire au vaccin.
• La logistique derrière le déploiement de vaccins chinois
La Chine a mis en place des ponts aériens, notamment depuis l’Éthiopie par l’intermédiaire d’Addis-Abeba (Éthiopie) et de Dubaï (EAU). Depuis janvier, Ethiopian Airlines assure des vols de livraison de vaccins contre la Covid-19 depuis Pékin vers les capitales via Cainiao – une division logistique d’Alibaba. Cainiao est désormais au centre logistique des stratégies chinoise et de la diplomatie des vaccins anti-Covid. Ce pont aérien reliant désormais la Chine et l’Afrique permet donc à Sinopharm de vendre et/ou de donner ses vaccins.
Il faut noter que cette stratégie n’est pas réservée au continent africain. Selon les données infographiques de la CGTN (China Global Television Network), cette diplomatie des vaccins s’étend à l’ensemble des pays du sud : Sinopharm et Sinova sont également très actifs en Asie du sud-est, au Moyen-Orient ou en Amérique latine. La Chine cible les zones dans lesquelles elle a des intérêts géopolitiques majeurs. Ainsi donc, les pays africains aux réalités sanitaires disparates, ne sont pas les seuls bénéficiaires des vaccins.
À l’heure actuelle, plus de 60 pays ont autorisé l’utilisation des vaccins et d’autres sont en phase de commande/négociation.
La politique vaccinale chinoise bien que visiblement déployée sur le continent, n’est cependant pas sans soulever son lot d’enjeux. Ces derniers seront développés dans la seconde partie de cet article.
Article rédigé par Omowumi Alao.