Les Forces armées africaines : historicité, diversité et enjeux

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« Ce sont les perdants qui repensent la guerre ». Telle est la célèbre formule de Lucien Poirier, général français et théoricien de la dissuasion nucléaire. L’histoire contemporaine africaine est marquée par la défaite généralisée des forces armées africaines face aux armées occidentales, avec l’exception historiographique de la bataille d’Adoua en 1896. La majorité des décolonisations en Afrique subsaharienne se sont opérées relativement pacifiquement hormis quelques pays sous domination portugaises ainsi que les pays en Afrique australe. Par conséquent, les forces armées africaines ont principalement deux héritages : l’appareil sécuritaire colonial transformé en armées nationales ou les milices sous influences du modèle stratégique maoïste (qu’elles soient issues des luttes indépendantistes ou d’insurrections pour la conquête du pouvoir post-colonial). Intimement liées aux Etats-nations dont elles sont issues, les forces armées africaines contemporaines font face aux nouveaux défis sécuritaires telles que les menaces transnationales criminelles et terroristes ainsi que l’affirmation des impérialistes régionaux et des puissances internationales (Chine, USA, Occident, Russie). Comment ont évolué les forces armées africaines sur l’Histoire de longue durée ?

Les forces armées africaines antiques : le bras armé des états embryonnaires et les confédérations claniques

La conception wébérienne de l’Etat lie l’existence de celui-ci à son monopole de la violence légitime. Cette assertion, si elle se vérifie pour l’époque contemporaine et l’époque moderne tardive dans l’espace-temps européen, ne constitue pas un axiome absolu sans amendement, ni une loi historique.

Néanmoins, les premières armées dont il est possible d’avoir des traces historiques sont intimement liées aux formes étatiques africaines en lien avec le bassin méditerranéen, c’est-à-dire toutes les civilisations autour du Nil. Au-delà de l’Egypte pharaonique, les royaumes nubiens de Napata et de Méroé offrent les premières organisations militaires africaines connues historiographiquement. Comme dans d’autres régions du monde, l’opposition entre mondes sédentaires des civilisations autour des grands fleuves et les mondes nomades ou semi-nomades structurent les conflits et ainsi que les stratégies militaires, offensives et défensives, techniques de siège et cavaleries.

Le char venu d’Asie est connu des armées égyptiennes et nubiennes aux alentours de -1500 avant J-C, ainsi que les arcs composites. Les troupes de moyenne distance telles que les archers nubiens vont les utiliser de manière efficace pour affirmer leur suprématie militaire. En effet, le royaume de Kerma (du nom de sa capitale) était appelé par les Egyptiens Ta Seti (le pays de l’arc). La renommée et l’expertise des archers nubiens vont d’ailleurs traverser l’âge antique jusqu’au Haut Moyen Age face aux armées musulmanes (sous les royaumes chrétiens d’Alwa et de Makuria au VII ème siècle).

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Archers nubiens Début du Moyen Empire (XIe dynastie vers 2055-1985 avant J.-C.)

Durant la Basse-Antiquité, dans la Corne de l’Afrique, un texte du III ème siècle attribué au prophète persan Mani (fondateur de la religion manichéenne) dit ceci : « Il y a en ce monde quatre grands royaumes. Le premier est celui de Babylone et de la Perse. Le deuxième est le royaume des Romains. Le troisième est celui des axoumites. Le quatrième est le royaume de Chine ».

En effet, l’empire d’Aksoum a bénéficié de la montée en puissance du commerce entre Rome et l’Inde ancienne. Concurrencé par le royaume de Koush pour contrôler la Mer Rouge, l’empire d’Aksoum se distingue par l’existence d’une véritable flotte navale, capable de naviguer sur mer et sur les fleuves. Il s’agit donc d’une thalassocratie (commerçante et militaire) qui prit le pas sur la puissance militaire essentiellement terrestre de Kouch (Méroé, héritière du royaume nubien de Kerma).

Puissante dominante de la Mer Rouge, au VI ème siècle, le roi Kaleb (Ella Abesha), chrétien monophysite, envahit le sud de la Péninsule arabique contre le roi himyarite Dhu Nawas de confession juive car celui-ci maltraitait les chrétiens, et domina une région comprenant l’actuel Yémen. Seul l’empire byzantin contrecarre la puissance axoumite dans la Mer Rouge.

Quant aux forces terrestres, elles sont constituées autant par des hommes de condition servile comme auxiliaires que par la conscription des hommes, au service du negus negesse. Le christianisme modifia ainsi les ethos guerriers antiques aksoumites.

Tout comme l’Islam apporta des transformations politiques, il en apporta dans les stratégies et les cultures de guerres africaines, particulièrement dans la bande sahélienne et au Soudan central. La logique du djihad et des razzias pour alimenter la traite orientale et transsaharienne fournissent en plus de l’alibi moral, un outil stratégique militaire de plus dans les conflits à basse intensité.

L’établissement d’une « african warfare » : les armées issues des ensembles étatiques africains

La chute de l’empire romain et de la perte d’influence de l’empire byzantin en Afrique du Nord tout comme l’arrivée de l’Islam marquent un tournant pour l’Histoire mondiale ainsi que l’Histoire africaine. S’ouvre alors la période dite d’âge d’or des entités africaines, celles des empires (bien que seule l’Afrique de l’Ouest connaisse un âge impérial).Cette période historique s’achève avec l’irruption des Occidentaux au XV ème et XVI ème siècle, de même qu’au niveau militaire de l’introduction générale des armes à feu.

Les conditions de structuration d’une force armée suivent plusieurs facteurs tels que le niveau technologique, la culture stratégique, l’état économique ainsi que la nature du commandement politique et militaire de la société encadrée. Les armées impériales, royales, citoyennes ainsi que les armées issues de confédérations claniques ou serviles n’ont pas les mêmes caractéristiques.

Les armées issues des royautés sacrées africaines telles qu’Ucalunga(véritable nom du royaume dit de Monomotapa), ou le Kongo dia Ntotila se structurent de manière assez similaire. Constituées uniquement d’unités d’infanteries, les armées sont constituées d’une garde royale permanente, tandis que le gros des troupes est fourni par la mobilisation indirecte menée par les mwene (gouverneurs), auprès des hommes considérés comme adultes et valides. L’armée royale de Kongo dia Ntotila était constituée en majeure partie de troupes régionales levées par les mwene et les mfumu tsi, malgré une garde royale assez conséquente présente à Mbanza-Kongo (5 000 hommes).

Ces états ne sont pas militaristes même si le roi est le commandant suprême des armées. Le taux de pénétration des fonctions militaires n’atteint pas la majorité des hommes en âge de combattre en temps de paix. Elles se distinguent des confédérations de guerres ponctuelles par le nombre d’hommes mobilisables (des dizaines de milliers), la centralisation et la verticalité de la chaine de commandement militaire. Il existe des postes spécifiquement dédiés à la guerre, distincte des activités politiques et religieuses

Comme toute activité humaine, la guerre est ritualisée. Les augures ainsi que l’appel aux mânes ancestraux tout comme aux esprits chtoniens propre à chaque peuple, sont mobilisés à des fins stratégiques sur les combattants. Ce sont ces traits là que nous retrouvons parmi les ethos guerriers des milices africaines actuelles telles que les Mayi Mayi, les AntiBalaka.

Les armées impériales africaines : un équilibre politico-militaire précaire

Les armées impériales bénéficient des caractéristiques de l’empire : nombre démographique potentiellement largement supérieur aux autres entités politiques, des troupes mues par un idéal à tendance universelle, une hétérogénéité des troupes réunies autour de la figure impériale. Mais comme tout empire, la centralisation du pouvoir réel, était dépendante de l’effectivité de ce pouvoir (routes, monnaie, idéal universel, communication). Ainsi le sentiment d’adhésion plutôt lâche des peuples et des souverains défaits par l’empereur (Mansa ou Askia) sont les plus grandes faiblesses militaires, les conflits étant pour la plupart des luttes à l’intérieur même du dit empire (Ghana, Mali, Songhay).

Le précurseur de l’empire songhay Sonni Ali Ber (1464-1492) posa les jalons de l’armée songhay : une infanterie de qualité, une marine fluviale qui permet d’utiliser le fleuve et surtout une cavalerie efficace, atout inestimable pour augmenter la mobilité générale des troupes.

Ensuite, l’empire Songhay fondé par Askia Mohammed optimisa au maximum les atouts laissés par Sonni Ali Ber. Il disposait d’unités d’infanterie et de cavalerie (30 000 fantassins et 10 000 cavaliers au XVI ème siècle en mobilisation totale, telles sont les chiffres pour la bataille de Tondibi en 1591). Le balama était autrefois le chef de l’armée mais son rôle déclina pour être uniquement le chef d’un corps d’armée autour de la région de Timbuktu.

Des armées à l’image de leur environnement géographique et de leur modèle politique

Certaines formes étatiques sédentaires sont marquées par la culture stratégique des peuples nomades constituant l’Etat. Ainsi, le royaume du Kanem (fondé au Xème siècle), puis le Kanem-Bornou (fin du XIV ème siècle) ont maintenus les ethos guerriers des Zagawa, des Tubu et leurs sratégies d’attaques rapides et frontales dans un laps de temps limité et suivi d’un retrait tout aussi rapide, courantes chez les peuples nomades, malgré la prépondérance des populations dite sédentaires démographiquement telles que les Ghafata et les Tatala (les actuels dits Sao). Ainsi la culture stratégique peut survivre aux conditions sociétales l’ayant engendrée.

Durant ce qu’il est convenu d’appeler l’âge d’or des empires, les forces armées africaines les plus remarquables vont de pair avec les constructions politiques étatiques, que cela soit à l’échelle de la cité-Etat (Ife, monde swahili), de la royauté sacrée africaine (Ucalunga, Kongo dia Ntotila), chrétienne (Abysinnie, Alwa, Makurra), des empires (Ghana, Mali, Songhay) ou des sultanats (Kanem-Bornou). Cette période historique s’achève avec l’irruption des Occidentaux au XV ème et XVI ème siècle, ainsi qu’au niveau militaire l’introduction des armes à feu.

L’armée royale de Kongo dia Ntotila était constituée en majeure partie de troupes régionales levées par les mwene et les mfumu tsi, malgré une garde royale assez conséquente présente à Mbanza-Kongo (5 000 hommes).

En somme ces armées se distinguent des armées impériales par le caractère plus centralisé de la provenance des troupes. Néanmoins, il serait suranné de calquer la typologie empire/royaume pour la plaquer sur le plan militaire. Les modèles militaires dépendent aussi de la zone géographique. En effet, l’environnement géographique (savane, jungle, désert, zone marécageuse) dicte l’adaptation des hommes aux terrains, l’accès aux ressources. Par exemple, les zones équatoriales et australes où sévissent un type particulier de mouche tse tse (Kongo dia Ntotila, Ucalunga) ne permet pas la survie de bétail équestre classique et donc d’avoir un parc équestre destiné à la cavalerie (les zèbres étant immunisés mais très difficile à dompter). Ainsi, les troupes d’infanteries légères sont les forces les plus mobiles existantes dans les armées correspondant à l’espace bantou.

A l’inverse, les empires sahéliens possèdent des troupes de cavalerie, les chevaux pouvant supporter le climat, et aussi grâce à leur proximité géographique avec l’Afrique du Nord pour pouvoir en importer. Les zones lagunaires nécessitent aussi l’emploi de forces fluviales conséquentes pour prendre possession des territoires et y faire manœuvrer des troupes (royaume sérère du Sin, empire Ashanti).
Les forces armées africaines faux aux armées nord-africaines, orientales et occidentales : le choc des armes à feu

Le changement des Temps modernes fut l’apparition de la poudre et des Européens comme nouvelle présence militaire en Afrique. Les forces armées africaines dans leur diversité furent confrontées à celles-ci de manière régulière pour la première fois depuis la chute de l’Empire Romain et les invasions barbares. Les armes à feu furent aussi utilisées par les armées orientales et nord-africaines pour prendre le dessus sur les forces armées africaines. D’autant plus qu’elles seules détenaient alors les débouchés commerciaux pour importer les armes à feu, de sorte que seule la traite négrière (atlantique, transsaharienne ou orientale) ou celle de l’ivoire et de l’or dans une moindre mesure permirent d’avoir accès aux armes à feu.

La meilleure maîtrise navale des Européens leur apporta des victoires certaines aux larges des côtes atlantiques tout comme le long de la côte swahilie, au même titre que la maîtrise de la poudre et une meilleure gestion logistique des ressources armées. Malgré cela, des puissances militaires africaines côtières se renforcent et se constituent. Par exemple, le royaume de Dahomey et l’empire Ashanti ont intégré les armes à feu issus de la traite négrière et ont ainsi pu asseoir leur domination régionale

Face aux armées étatiques des sultanats et des empires sahéliens, les populations africaines non islamisées et résistantes aux razzias établirent des formes de résistances originales. Si bien que, dans l’Oubangui-Chari, des confédérations guerrières interclaniques et interethniques ont été mises en place pour résister aux razzias des différents sultanats (Ouaddai, Kanem-Bornou, Darfour)

La composition de ces forces armées était des hommes libres dirigés par un conseil de chefs représentant tous les groupes ethniques. L’union de ces forces hétérogènes était scellée par un rite commun du choix du groupe le plus important, faisant appel aux ancêtres et à un esprit chtonien africain.

Comme précédemment, l’organisation militaire est intimement liée aux institutions politiques en fonction des peuples africains. Néanmoins la fracture technologique due à la massification du savoir en Occident ainsi qu’à l’entrée dans une économie de type préindustrielle creusèrent l’écart avec les forces armées africaines.

La Prusse de Frédéric II du XVIII éme devenait le modèle militaire des armées type Ancien régime, avec une rationalisation de l’exploitation des ressources économiques et militaires (tactique usitée des leçons antiques romaines et grecques), discipline individuelle du soldat et esprit de corps, rôle primordial de la logistique et du renseignement des terrains. En comparaison, les forces armées africaines n’entretiennent que peu une culture stratégique historique (malgré une histoire militaire conséquente), ne construisent pas de réelles unités pré-industrielles de défense, manquent les sauts techniques et technologiques nécessaires à l’information pour les conflits de haute intensité marquante de l’époque moderne et contemporaine.

De plus les tentatives marquées pour s’emparer de ces savoirs-là sont marquées par la vigilance militaire des puissances nord-africaines (les Saadiens au Maroc), orientales (sultanat d’Oman) et occidentales (Les Portugais au Kongo dia Ntotila et sur la cote swahili) qui empêchent les forces politiques d’opérer une modernisation profonde de la gestion des hommes et de l’espace, et par là des armées. Ainsi le gouverneur de la colonie portugaise du Luanda organise un blocus pour empêcher le ntotila d’acquérir une flotte navale permettant de traverser l’Atlantique.
Les armées africaines face à la conquête européenne

Les forces armées africaines, qu’elles soient étatiques ou claniques, étaient armées parfois de fusils de traite, c’est-à-dire des fusils datés du XVI et XVIII ème siècle (arquebuses, parfois aussi couleuvrines). Néanmoins, cela n’a jamais donné lieu à des unités industrielles de défense produisant ces armes ainsi que la poudre nécessaire à leur emploi. L’asymétrie technologique militaire n’a donc pas été réduite par l’économie de traite. Dans le même temps, l’économie de traite auquel l’Afrique participe a donné au monde occidental les clés, les moyens financiers et logistiques de la Révolution Industrielle. De plus, les guerres révolutionnaires en Europe font rentrer les armées occidentales dans la modernité militaire et les concepts de guerre totale. Seuls les Amazulu fournissent une manière similaire de concevoir la guerre avec un niveau technologique moins poussé (fameuse bataille d’Isandwlana en 1879). De sorte que la fracture technologique et logistique s’est accentué entre le XVIII ème et le XIX ème siècle.

Les forces armées africaines succombent aux machineries militaires, diplomatiques et intellectuelles. Celles-ci ne comprennent pas immédiatement la menace et la volonté de conquête et de contrôle des armées occidentales et de leurs auxiliaires. Les guerres coloniales qui sont menées contre elles sont différentes des tentatives de contrôles des ressources minières et des voies commerciales à partir des comptoirs commerciaux comme ce fut le cas au XVII et au XVIII ème siècle.

Les résistances notables militaires sont celles des forces armées proto-étatiques (Dahomey, Ashanti, Amazulu, Ouaddai, empire de Samory Touré, Abyssinie) car les mieux préparées aux exigences de la guerre totale : mobilisation générale et totale de la société, rationalisation préindustrielle voire industrielle de la logistique militaire.

Néanmoins la défaite se produisit car les forces armées africaines n’étaient pas mobilisées en adéquation avec les enjeux du conflit dans lesquels elles étaient engagées, un confit civilisationnel. L’exception éthiopienne est aussi due à la compréhension des enjeux de se faire reconnaître comme un Etat au niveau international, en dehors du continent. Ainsi qu’à la modernisation de ses forces armées, comme le fit la Russie ou encore le Japon sous l’ère Meiji. Les armées ayant raté le saut du « feu » et de la bureaucratisation comme voie à la modernité perdent face aux armées occidentales, qu’elles soient françaises, britanniques, allemandes, portugaises, belges, espagnoles ou américaines.

Les armées nationales africaines contemporaines

Les armées africaines contemporaines : la marque des indépendances et de la Guerre Froide

Historiquement, plusieurs typologies pour établir les catégories d’armées africaines ont été dressées mais les disparités sont grandes, entre les armées des puissances régionales et les forces armées des Etats faillis, peu dissociables des milices. En premier lieu, il est possible de distinguer 2 types d’armées africaines étatiques, sachant que le deuxième type se compose lui-même de 3 sous-groupes. Premièrement, les armées issues des forces publiques du système colonial, sont un héritage du système sécuritaire de ce dernier et des indépendances acquises via une transition pacifique. De ce fait, elles sont particulièrement influencées par les modèles occidentaux des anciennes puissances coloniales (France, Grande-Bretagne), le Sénégal et la Côte d’Ivoire ainsi que la Sierra Leone en sont des exemples. En partie à cause du rôle moindre qu’elles jouèrent dans la lutte indépendantiste, ces armées là ne sont (au départ) pas un acteur politique direct dans la constitution de l’Etat.

Ensuite viennent les modèles militaires voulant prendre le contre-pied de ce modèle par anticolonialisme, tiers-mondisme ou affiliation au communisme.

Quant aux armées issues des mouvements nationaux de libération, celles-ci dérivent des luttes pour l’indépendance (Algérie, colonies portugaises). Elles précèdent l’Etat et occupent en conséquence une place majeure dans sa création tout comme dans le contrôle du système politique.

Les armées dites populaires, issues de révolutions des non-alignés, réclament aussi une prise de distance avec le modèle occidental et rôle à jouer dans le système politique au nom de la défense d’un projet progressiste (Ghana de Jerry Rawlings, Thomas Sankara au Burkina Faso).

Enfin, les armées inspirées par le marxisme-léninisme sont inspirées de ce fait par le modèle soviétique, chinois voire cubain (Dahomey/Bénin, Congo Brazzaville, Ethiopie, Guinée Conakry). Elles prirent le pouvoir au nom de l’idéal communiste face aux années civiles, se réclament populaires et populistes tout comme les armées dites populaires.

Après les années 90 et la chute du bloc soviétique, s’opère une redistribution des cartes avec une redistribution multipolaire du monde. Les puissances africaines militaires correspondent aux Etats les plus puissants économiquement, démographiquement et dont l’appareil militaire occupe une place centrale dans le jeu politique. Cette politisation de l’armée est d’ailleurs une des failles majeures structurelles des armées africaines, malgré les diversités et disparités. En effet la légitimité même des Etats pose question, en fonction de la manière dont il s’est construit et structuré (héritage colonial, philosophie politique exogène) tout en se basant sur des structures socio-historiques endogènes (parti-Etat pour l’Angola voire pour la République Sud-Africaine).

Les 5 premières puissances militaires d’Afrique subsaharienne en 2019 (d’après Global Fire Power)

1 Afrique du Sud

2 Nigeria

3 Ethiopie

4 Angola

5Soudan

Plusieurs typologies pour établir les catégories d’armées africaines ont été dressées mais les disparités sont grandes, entre les armées des puissances régionales et les forces armées des Etats faillis, peu dissociables des milices.

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Forças Armadas Angola (FAA) Forces Armées Angola

Les armées africaines dans un monde multipolaire

Les ethos militaires nationaux

A ces caractéristiques générales propres aux institutions militaires s’ajoutent les tendances historiques longues propres aux logiques nationales et régionales des armées. Ainsi, certaines institutions intègrent ces ethos militaires dans leur manière de combattre, notamment dans les terrains où ces ethos ont pris essor (désert, jungle, montagne) et là où ces ethos peuvent être appliqués sans remettre en cause totalement l’appareil militaire institutionnel, inspiré de l’Occident ou du néo maoïsme. Ainsi l’ethos militaire de l’Armée nationale tchadienne (ANT) est en partie issue des pratiques guerrières issues des sultanats du Ouaddaï, du Kanem-Bornou, notamment le choc frontal (les blinders légers remplaçant les anciennes cavaleries).

Cependant de manière générale, les ethos militaires africains sont conservés par les milices et autres mouvements armées insurrectionnels, en dehors des institutions militaires conventionnelles. Ces milices là reprennent notamment le système de croyances liées aux amulettes et des esprits chtoniens africains, concrétisées par des rites de renforcement comme les Antibalaka en République Centrafricaine ou les Mai Mai en République Démocratique du Congo. Les refontes stratégiques et doctrinaires des armées africaines n’a pas été refondé sur les ethos africains, malgré les armées révolutionnaires, le néo-maoïsme reste l’alternative dominante aux positions intellectuelles occidentales.

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Milice antibalaka (République Centrafricaine)

Enjeux de réformes

Les enjeux de réformes des institutions militaires sont intimement liés aux programmes de DDR (Désarmement démobilisation réinsertion) des milices. En effet comment réintégrer les combattants issus des milices qui rejettent la discipline militaire institutionnelle ainsi que l’armée en tant que bras armé d’un Etat remis en cause. A travers la contestation des armées et de leur modèle, la légitimité de l’Etat est remise en question, et l’armée évolue en miroir déformant de celui-ci. Tout comme l’Etat est vu comme un instrument de spoliation et de domination, de par sa nature et son origine postcolonial, l’armée doit aussi remettre en cause ses fondements postcoloniaux.

Partant, les armées ayant les plus de légitimité sont celles qui se réclament ouvertement révolutionnaires et ont ainsi accouché de l’Etat. En somme, une armée issue des dynamiques sociopolitiques réelles. Néanmoins, la politisation à outrance des armées en font des acteurs politiques à part entière, ce qui nuit à son rôle premier de défenseur de la nation contre des menaces extérieures. Et ne bénéficiant pas de contre-pouvoir en monopole de violence légitime, la politisation de l’armée sclérose l’ensemble politique.

Au-delà de la dépolitisation de l’armée, les réformes de structuration face à des menaces nouvelles ou anciennes (terrorisme, espionnage des puissances extra-continentales, ingérence des groupes privés) sont nécessaires. Rares sont les pays à avoir des doctrines stratégiques à jour ainsi qu’une industrie militaire capable de s’adapter à cette même doctrine. L’Egypte, première puissance militaire du continent s’inscrit dans une logique stratégique qu’autour du Nil pour ce qui concerne l’Afrique (Soudan, Ethiopie voire Kenya).

Les équipements sont souvent issus des coopérations militaires inégales, sur base de dons. Seuls les Etats les plus riches et puissants (Angola, Afrique du Sud) ont la capacité financière de renouveler un parc vieillissant des équipements voire ont un complexe militaro-industriel naissant (Afrique du Sud). Les alternatives aux actuels partenaires de défense (qui sont les anciennes puissances coloniales) que sont la Turquie, l’Inde et le Brésil proposent des blindés légers moyens à des prix « low cost », permettant aux Etats africains de renouveler ici et là un parc archaïques. Ce qui est vrai pour d’autres marchés économiques l’est encore plus pour le domaine militaire, ces Etats là de facto tuent la possibilité de faire naître des industries nationales de défense là où les compétences technologiques de pointes ne sont pas nécessaires.

Devant le coût onéreux du maintien et de développement d’une force armée, les observateurs tablent sur une privatisation et une sous-traitance grandissante du domaine sécuritaire. Ce qui favorise les puissances militaires actuelles mondiales (Etats-Unis, Chine, France, Grande-Bretagne, Inde, Israël) qui ont une expertise opérationnelle ainsi qu’une maîtrise technologique. La souveraineté des Etats africains ne serait alors et pour une durée indéterminée, uniquement garantie selon le bon vouloir de ces mêmes puissances à respecter le droit international.

4 commentaires sur « Les Forces armées africaines : historicité, diversité et enjeux »

  1. Excellent texte et riche d’informations. Juste dire que concernant ce passage du texte: « La chute de l’empire romain et de la perte d’influence de l’empire byzantin en Afrique du Nord tout comme l’arrivée de l’Islam marquent un tournant pour l’Histoire mondiale ainsi que l’Histoire africaine. S’ouvre alors la période dite d’âge d’or des entités africaines, celles des empires (bien que seule l’Afrique de l’Ouest connaisse un âge impérial).Cette période historique s’achève avec l’irruption des Occidentaux au XV ème et XVI ème siècle, de même qu’au niveau militaire de l’introduction générale des armes à feu. », il faut relativiser. Le XVIe siècle n’acheve pas réellement cette période historique, il faut aller jusqu’au XIXE siècle qui marque la chute des royaumes haussa, yatenga, kaniaga, Segu, etc. Dans l’école historique française, le XV marque une rupture par rapport à cette période d’âge d’or de l’Ouest africain, or il n’y a pas eu de rupture. Selon l’école historique de Dakar, cette période d’âge d’or de l’Ouest africain va du Xe au XIXe siècle.

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