Depuis plusieurs jours, le climat est à l’insécurité en Afrique du Sud. Ce vendredi 4 septembre, les villes de Johannesburg, Capetown, ou encore Pretoria ont été les lieux de plusieurs violentes manifestations; le pays fait aujourd’hui face à une véritable crise nationale d’une envergure presque inédite.
Tout démarre dans la ville de Capetown où la sonnette d’alarme a été tirée suite au meurtre d’Uyinene Mrwetyana, une jeune étudiante de 19 ans retrouvée violée et sauvagement assassinée. D’abord et surtout portée par les réseaux sociaux, une immense vague de déchaînement s’est faite ressentir dans la ville et ses alentours, embrasant rapidement l’ensemble du pays tout entier. La Ministre des Affaires étrangère Maite Nkoana-Mashabane a rapidement déclaré l’état d’urgence, dénonçant un bilan qu’elle qualifie de plus qu’alarmant.
Selon l’ISS (Institute for Security Studies), l’Afrique du Sud serait l’un des pays les plus
dangereux au monde avec 19 016 meurtres enregistrés entre avril 2016 et 2017; le Gauteng et le KwaZulu-Natal étant considérés comme les provinces les plus dangereuses du pays. A ce problème de violence globale, nous retrouvons un problème de plus en plus préoccupant, celui des violences de genre ciblant les femmes. Ces violences se manifestent à leur paroxysme par des actes de violences sexuelles. Nous pouvons ainsi constater que parmi les 40 000 cas d’agressions sexuelles enregistrés en 2018 par la SAPS (South African Police Service), la majeure partie des victimes étaient essentiellement des femmes et des enfants. Bilan plus récent, au mois d’août dernier, ce sont 30 femmes qui ont été tuées par leurs conjoints en Afrique du Sud. Il s’agirait selon les autorités locales du taux de « féminicide » le plus élevé de l’histoire du pays.
Alors que Capetown accueillait ce mercredi 4 septembre le Forum économique mondial, des centaines de personnes ont manifesté devant le parlement afin d’exiger des mesures fermes de la part de l’Etat, jusqu’ici resté bien trop silencieux. L’actuel président Cyril Ramaphosa a déclaré ce jeudi que les viols et les agressions sexuels étaient des cas de crises nationales et que l’Etat promet qu’il y’aura des actions entreprises. Intervention que certains estiment bien trop tardive compte tenu de la situation.
Plus au nord du pays dans les villes de Johannesburg, Boksburg ou encore Thokoza l’ordre est également à la dénonciation des violences mais cette fois-ci à caractères xénophobes. Dimanche dernier, le pays a de nouveau dû faire face à ses vieux démons. Dans plusieurs villes, de nombreux magasins essentiellement tenus par des ressortissants étrangers ont été vandalisés et brûlés, notamment à Jappestown un quartier commercial de Johannesburg.
L’Afrique du Sud du Sud qui, il y’a quelques années encore, était la première puissance
économique d’Afrique, a depuis été devancée par le Nigeria. Toutefois, le pays demeure
encore la première puissance industrielle du continent, ce qui ne cesse d’attirer de nombreux ressortissants étrangers venus de toute l’Afrique. Seulement, malgré une situation économique le plaçant au rang d’une des plus grosses puissances du continent, le pays se heurte aux réalités qui sont les siennes, l’Afrique du sud membre des BRICS, ne parvient toujours pas à pallier aux inégalités sociales et ethniques auxquels elle fait face depuis la fin de l’apartheid en 1994.
Dans un pays où le taux de chômage était de 27% en 2017, une étude du département statistique Sud-africain révélait que le chômage concernait en moyenne 31,4% de noirs sud-africains face à seulement 6,6 % pour les blancs sud-africains. Une autre étude cette fois-ci menée par l’IHS Global Insight (2015) révèle à son tour qu’en moyenne, les ménages sud-africains noirs gagnent 20% moins que les ménages Sud Africains blancs. Une autre donnée illustratrice est celle du ICFI (the International Committee of the Fourth International) selon qui les noirs représenteraient près de 90% de la population pauvre du pays tout en représentant environs 79,5% de la population totale.
Face à des disparités aussi révélatrices que rigides, et face à la conjoncture économique de certains secteurs tels que celui du transport, ces dernières semaines un mouvement de grève a été lancé par des associations de chauffeurs routiers et de taxis, dont la très connue ATDF (All Truck Drivers Forum). Se voulant à l’origine porteur d’un véritable mouvement populaire, de nombreux rassemblements ont tourné en réelles chasses aux sorcières visant à agresser et à saccager les commerces des travailleurs étrangers. Bien que les représentants de l’ATDF affirment ne pas être impliqués dans ces agressions xénophobes, une enquête visant à jauger leur degré d’implication semble être en cours. Pour les humanitaires de l’ONG « Human Rights Watch » ces agressions sont le résultat d’un discours haineux porté depuis déjà des années, par de nombreux dirigeants syndicaux et autres politiques, qui tentent de convaincre leurs partisans que les étrangers volent leurs emplois et qu’ils sont la cause de leurs souffrances. Dans un rapport publié le 26 août dernier, l’ONG évoque une montée notable de la xénophobie dans le pays, qui se caractérise par des attaques parfois meurtrières.
Dans le cas des événements actuels, la police nationale parle d’un bilan de 10 morts, d’une centaine de blessés et de 400 arrestations ou interpellations rien que dans la région de Johannesburg. Les victimes sont essentiellement Nigérianes, Zimbabwéennes, Zambiennes, mais également Indiennes ou encore Congolaises. Suite à ces agressions arbitraires d’une violence inouïe, de nombreuses vidéos et témoignages continuent de circuler depuis plusieurs jours sur les réseaux sociaux laissant place à un élan d’indignation massif. De nombreuses personnalités se sont positionnées dont le très controversé Julius Malema président du EEF party (Combattants pour la liberté économique). Ce dernier a fermement condamné les attaques xénophobes et a appelé les Sud-africains à défendre et soutenir « leurs frères » du même continent par la très relayée déclaration « l’Afrique du Sud appartient aux africains ».
Le gouvernement nigérian quant à lui, s’est prononcé lundi par le biais de son ministre des Affaires étrangères Geoffrey Onyeama qui s’est déclaré prêt à prendre des « mesures définitives » sous l’avale d’Abuja. De leur côté, les consulats Zambiens et Zimbabwéens ou encore Malawi ont lancé un appel à la vigilance pour leurs ressortissants. A cela s’ajoute la récente déclaration de la ZCBTA (Association des transports transfrontaliers Zimbabwéen) qui menace d’interdire l’accès au territoire aux véhicules Sud Africains si la situation ne s’améliore pas. Ou encore le refus du Rwanda, de la République démocratique du Congo, du Malawi et du Nigeria de participer au Forum économique mondial en Afrique du Sud tant que des mesures ne seront pas prises. Le gouvernement Ramaphosa connaît sûrement actuellement ce qu’on pourrait qualifier de l’une des plus importantes crise diplomatique de son mandat.