La condition estudiantine africaine : polymorphie et vicissitudes

africa student

La condition estudiantine africaine est un enjeu majeur de développement pour les pays africains, tout en étant un élément d’ajustement dans les logiques d’équilibres à court terme pour les équipes gouvernantes. En effet, la classe sociologique des étudiants est par essence une fraction importante des « jeunes », cette classe sociale qualifiant non seulement les moins âgés de la société mais aussi les cadets sociaux de par leur place dans le système familial, par leur âge mais surtout leur incapacité à se prendre en charge de manière autonome. Or les étudiants représentent la fraction la plus militante, réclamant changement et évolution parmi l’ordre établi (étatique ou sociétale) ou au contraire un affermissement de celui-ci. La nature de cette ambivalence explique la dichotomie du rapport entre étudiants et gouvernements : compréhension des enjeux de l’enseignement supérieur pour l’intérêt du pays et circonspection voire suspicion permanente pour une classe étudiante prompte à manifester son opposition aux politiques gouvernementales. Néanmoins cette dualité se heurte aujourd’hui à la pluralité des politiques éducatives et d’enseignement supérieur en Afrique subsaharienne.

 

Une classe sociale mobile et un Brain Drain africain toujours d’actualité

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Flux de la mobilité estudiante entre 2005 et 2016 (UNESCO) Ethiopie

D’après le classement faisant office de référence, organisé par l’université de Jiao -Tong de Shangai en aout 2017, seules 6 universités africaines sont présentes parmi les 500 meilleures universités mondiales. Cette donnée illustre le manque de compétitivité des infrastructures africaines chargées de l’enseignement supérieur pour sa jeunesse. Elle est aussi à mettre en corrélation avec un autre chiffre tout aussi frappant : en moyenne 1 étudiant africain sur 16 poursuit ses études hors de son pays, étant le continent avec la population estudiantine la plus mobile du monde (UNESCO).

Elle n’illustre pas uniquement une mobilité mais surtout une fuite des cerveaux étant donné que cette population estudiantine constitue ensuite une partie non négligeable de la formation des diasporas africaines, sur le continent ou dans les autres régions du monde. Les perspectives d’insertion professionnelle pour une main-d’œuvre hautement qualifiée sont maigres par rapport aux pays d’expatriation choisis par les Africains. Paradoxalement, elle illustre aussi la volonté des étudiants africains de ne pas être déclassé dans le marché mondial des compétences (comme le sont selon les critères occidentaux et asiatiques les universités africaines). Par là les étudiants africains sont aussi facteur d’intégration d’idées nouvelles, un enjeu bien compris par les différents pays d’accueil des étudiants africains. La mobilité intra-continentale reste forte, à destination des pays d’Afrique du Nord, plus accessibles tel que le Maroc et l’Algérie. Pour les pays africains musulmans, les pays du Golfe sont aussi un recours.

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Flux de la mobilité étudiante entre 2005 et 2016 au Tchad (UNESCO)

En effet, entre 2005 et 2015 le nombre d’étudiants africains présents sur le sol chinois a été multiplié par 20, passant de 2500 à 50 000 étudiants. Cette croissance exponentielle est à mettre en parallèle avec l’offensive économique et diplomatique de la Chine sur le continent africain. Dans le but d’une politique de coopération avec les pays africains et de pérenniser l’influence chinoise sur le continent via ses futures élites, une politique généreuse de bourses octroyées aux étudiants africains avec parfois une prise en charge de la logistique dès l’arrivée de ces derniers en Chine, est mise en œuvre depuis une décennie. Ce qui fait, en plus de la place centrale chinoise dans l’agencement du monde, une destination privilégiée des étudiants africains, bien que par là Chine est encore sur une dynamique de rattrapage.

Effectivement, aux côtés de la Chine, les autres composantes des BRICS sont aussi des destinations concurrentes des anciennes puissances coloniales européennes, l’Afrique du Sud se démarquant par son orientation vers le reste du continent depuis la présidence de Thabo Mbeki (politique et discours dit de la renaissance africaine), l’Inde avec la qualité de son enseignement dans les sciences dites dures se distingue en devenant une vrai zone d’accueil des étudiants africains, et la Russie bénéficiant de ses anciens liens avec les pays anciennement d’obédience marxiste. De manière générale, l’Asie du Sud-est et les tigres asiatiques (Corée du Sud), en tant que nouveaux pôles de la mondialisation, attirent aussi les étudiants africains.

Néanmoins, les anciennes puissances coloniales européennes restent très attractives (France, Royaume-Uni) de par les liens historiques avec les pays africains ainsi que les accords de coopération de l’UE (Allemagne, Suède, Italie, Espagne) et des diasporas africaines implantées. Elles restent une destination privilégiée par les étudiants africains, de par la proximité linguistique, ainsi qu’une filiation institutionnelle via  les politiques de coopération entre les anciennes métropoles et colonies (de l’ancien FIDES  Fonds d’investissement au développement économique et social à l’actuelle FED : Fonds Européen pour le développement).

Enfin  l’Amérique du Nord (Canada et USA) est une zone d’accueil pour les étudiants africains déjà hautement qualifiés, une mobilité qui prend alors plus clairement la forme d’un brain drain, assumée pragmatiquement par les États-Unis d’Amérique, plus sournoise derrière l’image accueillante d’un pays d’immigrants pour le Canada. En effet une étude commandée par le NCBI (National Center for Biotechonology Information)  conclue sur une hausse de 27,1 % entre 2005 et 2015 de l’exode des étudiants africains en médecine de manière globale, en parallèle avec une hausse de la formation des étudiants en médecine formés au départ sur le continent (de 2014 à 8150 en 2015 soit 308% d’augmentation). L’augmentation du nombre de diplômés ne coïncide pas avec une cessation du brain drain effectuée par l’Amérique du Nord, au contraire.

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IMGs in the US, 2015 data (source : https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC5485566/)

D’où la question du manque de débouchés pour les diplômés, peu ou hautement qualifiées dans les débouchés classiques du monde professionnel. Seules les activités politiques permettent une représentativité réelle des universitaires africains.

Historicité des mouvements étudiants africains : vecteur de modernisation pour l’Etat et de contestation pour les mouvements insurrectionnels

Toutefois ce brain drain n’est pas l’expression d’un désintérêt général des gouvernements africains pour les jeunesses estudiantines africaines. Bien au contraire, ceux-ci l’ont considérée  dès les indépendances comme un élément majeur pour la transformation sociétale, particulièrement dans les pays africains se réclamant par la suite d’obédience marxiste. De manière générale, le militantisme politique, toutes tendances confondues y compris celle des différent régimes en place, fit des universités africaines des relais et des viviers pour influencer et recruter des nouveaux militants.

En premier lieu, les mouvements étudiants africains représentent et se confondent avec le vivier politique africain, de l’après guerre aux indépendances. En effet, l’enseignement supérieur  fourni les premières élites nationalistes africaines, et est considéré par celles ci comme un rouage essentiel pour l’établissement de la nation africaine ainsi que comme un outil de modernisation des sociétés, en véhiculant les idées politiques. Il s’agit là des héritages militants ou la contestation étudiante va de pair avec la contestation politique du modèle colonial comme par exemple les sections du RDA (Rassemblement Démocratique Africain) et autres mouvements politiques africains, présents en Afrique Occidentale Française et  ayant des ramifications en Afrique Equatoriale Française, avant la création de la FEANF en 1951 (Fédérations des Etudiants d’Afrique Noire Francophone) qui ont vu l’émergence de Joseph Ki-Zerbo ou Cheikh Anta Diop.

Ensuite, le caractère post-colonial des Etats Africains à la suite des indépendances fit la bascule et la séparation entre les mouvements étudiants militants et les gouvernements africains. L’anticolonialisme, ancien ferment d’unité, devint la pomme de la discorde.  Les accointances avec les rhétoriques révolutionnaires marxistes-léninistes nourrissent la contestation voire les soulèvements populaires où étudiants et syndicats réalisent une union militante (cas des Trois Glorieuses au Congo Brazzaville). Plus globalement les mouvements étudiants se comportent en contestation d’un pouvoir d’Etat appliquant la même coercition que l’ancien appareil colonial (Guinée de Sekou Touré, tournant autoritaire du régime de Kwame Nkrumah).

A contrario, les régimes africains savent aussi se servir du milieu estudiantin comme alliée idéologique et logistique dans  leur volonté de transformation de la société. Ainsi le DERG en Ethiopie de Mengitstu (suite au renversement d’Hailé Sélassié en 1974)    s’appuya sur des ses branches étudiantes acquises aux marxismes-léninismes pour appliquer sa politique de collectivisation agricole où les étudiants étaient censées inculquer aux paysans éthiopiens les réformes agricoles conformes à la nouvelle idéologie du régime. Autre illustration, les Shebab de Somalie dont le nom éponyme aussi bien que dans sa composition sociologique évoque certains étudiants somaliens acquis à l’islam politique (les branches jeunes de l’Union des tribunaux islamiques pour résoudre la crise politique somalienne.

Le corps social estudiantin est divers mais recèle en son sein de franges réclamant des changements profonds vis-à-vis de l’Etat, de la société ou au contraire  une accélération d’une politique déjà en vigueur. Par essence et définition, de par la classe d’âge et l’appartenance au milieu universitaire, lieu de savoir, d’échange et de remise en question.

Une fortune diverse dans les politiques éducatives, une même répression face aux contestations

Derrière le tableau général de la condition estudiantine africaine actuelle, les problématiques selon les régions et les dynamiques nationales varient considérablement les enjeux et défis des étudiants africains dans leur concrétisation. Ainsi l’Éthiopie, le Sénégal, et le Kenya font de la politique estudiantine une de leurs priorités gouvernementales, celle-ci concrétisée par la part du budget du ministère chargé de l’enseignement supérieur. Ainsi, même si la part de l’enseignement supérieur occupe une place modeste dans le budget de l’Etat sénégalais (5,6% environ en 2017), ce poste est en constante augmentation et cela s’illustre par la place occupée par l’Université Cheikh Anta Diop, parmi les meilleures universités africaines (Shangai Ranking).

L’Éthiopie allouerait 27 % de son budget à l’éducation, suivant la politique de puissance enclenchée par son ancien chef de gouvernement Méles Zenawi. En effet, depuis la chute du DERG (régime communiste de Mengistu) en 1991, 44 universités sont existantes contre deux auparavant, une politique volontariste qui se poursuit afin d’affronter l’explosion démographique actuelle et à venir de la jeunesse éthiopienne.

Au-delà de prise de conscience de l’intérêt national, il s’agit aussi de contenter une classe sociale particulièrement prompte à manifester son opposition aux gouvernements voire à mener des manifestations à caractère insurrectionnel.

A l’inverse, la condition estudiantine est malmenée pour ces mêmes raisons (difficultés économiques, brimer toute forme de contestation), comme dans le cas du Congo-Brazzaville où les bourses étudiantes ne sont plus versées depuis plus de 18 mois, suite à la chute du prix du baril de pétrole et à la récession économique généralisée (plus de 120% d’endettement par rapport au PIB). En effet, le non versement des bourses par l’Etat congolais, celui- ci faisant face à des déséquilibres macroéconomiques importants, entraine pour les étudiants congolais à l’étranger une précarité extrême, les laissant livrés à eux-mêmes avec des conséquences socio-économiques fâcheuses et à la merci pour certains des réseaux criminels de toutes sortes (criminalité de toutes sortes) aussi bien pour les étudiants restés au Congo que ceux étudiants à l’étranger. A cela s’ajoute une répression politique violente envers les leaders de la contestation étudiante tels que Nelson Apanga vis-à-vis de la situation précaire des étudiants congolais dans le pays et à l’international, dans une cadre de tension politique générale.

En Guinée Conakry, la contestation étudiante en soutien aux mouvements de grève des enseignants, durant l’année 2017, à l’encontre de la présidence d’Alpha Condé, s’était soldée par une répression violente ainsi que la suspension de matériel informatique scolaire jusqu’alors promis par la présidence. Celle-ci s’est durcie notamment avec des répressions régulières durant la fin de l’année 2017 ainsi que le début de l’année 2018 faisant plusieurs morts. Ceux-ci soutenaient le mouvement de grève des enseignants réclamant de meilleures conditions de travail ainsi qu’une revalorisation salariale.

Pour ce qui est de la répression envers les mouvements étudiants face à leurs réclamations ou la tentative de manipuler les militantismes étudiants, cette tendance est transversale, autant par les pays africains négligents en terme de politique d’enseignement supérieur que parmi les mieux lotis du continent.

Ainsi, au Sénégal, des manifestations pour le paiement des bourses restent un enjeu majeur, et à la suite de manifestations au début du mois de mai 2018, un étudiant sénégalais nommé Fallou Sène est décédé lors de la répression policière (15 mai 2018). Une situation qui illustre les problématiques de la condition estudiantine africaine comme n’épargnant aucun pays africain.

Conclusion

La considération ambivalente envers de l’étudiant africain, à la fois indispensable pour la pérennité du développement du pays et à la fois potentiel déstabilisateur des gouvernements, est illustré par ces divers cas. Si les pays africains investissent de manière différente dans les infrastructures et l’encadrement de l’enseignement supérieur, la méfiance et la tentative de juguler les étudiants par la violence est un trait commun à tous. Par essence, les étudiants africains représentent un facteur de changement des élites supérieures et intermédiaires du pays, elles sont donc traitées en conséquence : comme un allié potentiel et une nécessité pour le pays (amélioration de leurs conditions de vie et d’études) ainsi que comme un instrument à maîtriser, un élément instable à canaliser, amadouer.

Bruce MATESO

Sources (non exhaustives)

https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC5485566/ (Etude de la NCBI sur les étudiants africains en médecine aux Etats-Unis)

http://portal.unesco.org/fr/ev.php-URL_ID=33154&URL_DO=DO_TOPIC&URL_SECTION=201.html (synthèse d’un rapport de l’UNESCO sur la mobilité étudiante)

http://uis.unesco.org/fr/uis-student-flow (outil statistique de l’UNESCO pour identifier les flux de mobilité étudiante selon les pays de départ et d’accueil)

« Etudiants africains en mouvements, contribution à une histoire des années 68″sous la direction de Françoise Blum, Pierre Guidi et Ophélie Rillon, Editions Publications La Sorbonne, 2018

http://www.rfi.fr/afrique/20180212-tchad-une-manifestation-etudiante-violemment-reprimee-ndjamena

http://www.bbc.com/afrique/region-44132371

Yengo Patrice, de Saint-Martin Monique, « Quelles contributions des élites « rouges » au façonnement des États post-coloniaux ? », Cahiers d’études africaines, 2017/2 (n° 226), p. 231-258. URL : https://www.cairn.info/revue-cahiers-d-etudes-africaines-2017-2-page-231.html

Terrier Eugénie, « Les mobilités spatiales des étudiants internationaux. Déterminants sociaux et articulation des échelles de mobilité », Annales de géographie, 2009/6 (n° 670), p. 609-636. DOI : 10.3917/ag.670.0609. URL : https://www.cairn.info/revue-annales-de-geographie-2009-6-page-609.htm

https://journals.openedition.org/hommesmigrations/2882 (Globalisation et mobilités internationales des étudiants au Cameroun)

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