« 472 millions d’habitants dans les zones urbaines en Afrique », une population qui se verrait multipliée par deux d’ici les vingt-cinq prochaines années selon les prévisions de la Banque mondiale.
L’accroissement démographique dans les villes africaines reste un phénomène en mal de quantification du fait des limites administratives qui ne permettent pas la cartographie ni le recensement exhaustif des quartiers spontanés, favorisant la sous-évaluation de la population occupant les lieux. Aussi, les populations africaines demeurent très sceptiques à l’égard de l’exercice du recensement. Souvent associé à l’augmentation des taxes par les habitants ou instrumentalisé par les autorités à des fins politiques, les données de recensement sont régulièrement l’objet de falsifications et sources de tensions sociales.
Autant d’obstacles qui rendent toute quantification ou comparaison des différentes dynamiques urbaines dans les villes africaines complexes.
Cependant, la tendance reste à une croissance de la population nettement plus rapide en milieu urbain qu’en milieu rural. Plusieurs villes africaines telles que Kinshasa (RDC), Lagos (Nigéria) ou Luanda (Angola) comptabilisent entre cinq et treize millions d’habitants, dont plus de 60% vivent dans des logements non-formalisés selon ONU-Habitat.
L’urbanisation rapide associée à l’insuffisance d’infrastructures de bases, complexifient d’avantage la gestion foncière dans les villes africaines. Le contrôle de l’accès au sol échappe aux autorités, la sécurisation foncière et l’habitat sont inaccessibles pour les habitants les plus défavorisés tandis que les transactions foncières au profit d’investisseurs étrangers s’intensifient.
La gestion des ressources foncières, particulièrement en zone urbaine où la pression spatiale est à son comble, est un enjeu clé de la gouvernance territoriale, se situant au carrefour des attentes privés et publiques tout en assurant une exploitation des ressources disponibles durable et inclusive.
Après la mise en lumière des enjeux de la gestion foncière en vue d’une harmonie spatiale, sociétale et économique au sein des villes africaines, nous nous questionnerons sur l’efficience des outils administratifs et techniques de gestion foncière choisis par les autorités, indispensables à l’implémentation de toute stratégie territoriale.
Enjeux fonciers en ville : contexte et problématiques
Le souci de la bonne gestion foncière, indispensable à la bonne gouvernance demeure au cœur des programmes gouvernementaux et donne lieu à de multiples réformes.
Des travaux de cadastres et immatriculations ont été amorcés en Côte d’ivoire dans les localités de Yabayo, Oupouyo et Megui en mars 2017. Au bénin, l’élaboration d’un cadastre national qui se veut exhaustif, moderne et fiable a été lancé courant 2017, en mai 2018 le président de l’agence nationale du domaine foncier (ANDF) du Bénin a annoncé que les titres fonciers seront désormais délivrés en 120 jours.
En avril 2018, au Rwanda, le nombre de procédures pour l’obtentions du permis de construire a été réduit de moitié tandis que le coût d’obtention s’élève désormais à 600 000 francs rwandais au lieu de 3 millions.
La Marchandisation du sol.
Si à l’heure d’aujourd’hui les gouvernements africains ont saisi les enjeux d’une bonne gestion du sol et tentent de maîtriser les dynamiques foncières, ils furent longtemps dépassés par les transformations macroéconomiques résultants des mesures d’ajustement négociées avec leurs créanciers.
En effet, la libéralisation des économies associée aux négociations de dettes entre les pays émergents et la Banque mondiale, le FMI, le CNUCED, le GATT et autres organisations internationales dans les années 90 ont joué un rôle important dans la recomposition des sociétés urbaines africaines. Les principales incidences sur le foncier furent les suivantes :
- L’ouverture du marché foncier aux investissements étrangers bénéficiant de régimes exclusifs
- La valorisation marchande du patrimoine foncier ainsi que les mesures en vue d’un marché attractif pour les investisseurs donnent lieu à une gouvernance territoriale partagée impliquant de plus en plus d’acteurs privés. La délivrance de titres fonciers et les mesures de protection de la propriété privée encouragées par les institutions internationales, stimulent la spéculation foncière. Les stratégies spéculatives favorisent la parcellisation des terrains et nourrissent un marché foncier dynamique mais très fragmenté.
- La réduction des programmes publics occasionne un déséquilibre entre les parcs locatifs privés et publics. L’apparition de quartiers spontanés en zone périurbaine, rognant progressivement les terres arables des espaces ruraux est symptomatique de l’incapacité des acteurs publics et privés à répondre à la demande de logement croissante des populations aux revenus les plus modestes.
L’émergence d’un marché foncier n’est réalisable que par l’affaiblissement des modalités d’acquisitions foncières traditionnelles au profit d’un droit foncier individualisé et transférable.
La formation des droits du sol et leurs modes d’acquisitions sont le produit d’un maillage historique, culturel et socio-économique allant au-delà du clivage propriété privée/propriété publique constituant la summa-divisio du droit de propriété hérité du droit romain. Les caractères communs et superposables des droits fonciers traditionnels représentent un obstacle à la création d’un marché foncier.
L’approche évolutionniste de la théorie économique des droits de propriétés (Platteau, 1996) établit un lien entre propriété privée, sécurisation foncière et investissement. Le démembrement de la propriété en titres individuels est indispensable à la sécurisation et l’acquisition de terrain par le titre de propriété aliénable et transférable, stimule les investissements fonciers par la simplification des transactions.
Formalisation et conflits fonciers
On observe un dualisme entre les modes d’accès au foncier : l’accès au sol par le marché se généralise au centre des zones urbaines au profit des élites, alors que les plus vulnérables se tournent vers des circuits fonciers non-formalisés dans les espaces périurbains.
Le dualisme se perpétue par les modalités juridiques de sécurisation foncière. Tandis que les élites ne reculent pas devant une bureaucratie lourde, coûteuse et souvent corrompue en vue de l’acquisition d’un titre foncier, le droit foncier traditionnel est privilégié par les populations les moins solvables dans les zones périurbaines.
Les différents droits fonciers traditionnels et la pluralité des modes d’acquisition, transferts et d’usages inhérente à ces modèles se heurtent à la politique de l’immatriculation foncière, héritée de l’administration coloniale, ayant pour seule fonction la protection de la propriété privée. La confrontation entre ces deux systèmes antagonistes par essence se traduit par la hausse des conflits fonciers et la détérioration du tissu social.
Risques environnementaux et foncier durable
Sur l’ensemble des territoires africains, à l’approche de la saison des pluies, les éboulements de terrains et pluies diluviennes occasionnent des pertes humaines et matérielles considérables au sein des villes africaines.
Entre Juin et Août 2017, les glissements de terrains, coulées de boue, pluies diluviennes et éboulement ont fait plus de 700 morts au total entre la province de l’Ituri (République démocratique du Congo), Abidjan (Côte-d’Ivoire), Freetown (Sierra Leone), Niamey (Niger) et Conakry (Guinée).
Le bilan de l’année 2017 se veut particulièrement lourd compte tenu des pluies torrentielles et coulées de boues qui se sont abattue sur la ville de Freetown, capitale de la Sierra Leone. On compte plus de 300 tués ainsi que des milliers de sans-abris, selon la Croix-Rouge.
Les zones à risque comptent de plus en plus de quartiers spontanés. Ces lotissements fragiles sont ravagés par les éboulements et pluies torrentielles, plongeant les habitants dans une précarité encore plus vive.
Une cartographie des zones à risque doublé du recensement des populations occupant ces espaces, permettrait de mieux jauger la vulnérabilité des habitants afin d’anticiper la précarisation corollaire de la condition de sans-abris.
L’absence de systèmes d’informations fonciers complets intégrant données géographiques et topographiques concernant les zones les plus exposées en cas de catastrophe climatique constitue un frein à la résilience.
Implémentation des politiques foncières : cadastre et systèmes d’informations fonciers.
Modernisation conceptuelle des systèmes d’information fonciers.
Dans la dernière décennie, les cadastres et systèmes d’informations fonciers ont fait l’objet de multiples innovations afin d’appréhender les nouveaux défis de planification et d’aménagement territoriaux.
En février 2018, le gouvernement tanzanien présentait un nouveau projet de système d’information qui a terme, devrait réduire les conflits fonciers à Dar Es Salaam.
Durant la même période, le gouvernement Burkinabé annonçait « La mise en place d’une base de données cadastrale, domaniale et foncière ainsi que la mise à jour des données cartographiques et de l’adressage vont contribuer à une meilleure connaissance des territoires fiscaux »
Cependant, il y a souvent confusion entre systèmes cadastraux et systèmes d’informations fonciers.
« Le cadastre est normalement un système d’information foncière, basé sur la parcelle et actualisé, qui contient un registre des intérêts fonciers (droits, restrictions et responsabilités). Il comprend habituellement une description géométrique des parcelles, qui sont reliées à des enregistrements décrivant la nature des intérêts, la propriété ou le contrôle de ces intérêts, et souvent la valeur de la parcelle et de ses améliorations. Il peut être établi à des fins fiscalistes (évaluation et taxation équitable), légales (transfert de propriété), pour appuyer la gestion du territoire et de l’usage du sol), et mettre en œuvre le développement durable et la protection de l’environnement » (traduit de l’anglais – Fédération internationale des géomètres, 1995).
Dans les pays où les ressources humaines et administratives sont restreintes, les dispositifs complexes que demandent les systèmes cadastraux ne peuvent être supportés par les autorités.
Les gouvernements optent donc pour des systèmes d’information fonciers simplifiés, à finalité fiscale (dans les zones urbaines) et/ou juridique (afin de prévenir les litiges fonciers dans les zones rurales). Le cadastre n’est donc qu’un type de système d’information foncier permettant d’implémenter une certaine stratégie territoriale, suivant les attentes et devoirs de l’ensemble des acteurs privés et d’un territoire donné.
Les intérêts privés et publics sous-jacents à un système d’information cadastral.
Les systèmes d’informations fonciers dans un contexte de gouvernance territoriale.
Malgré l’abondance des financements de programmes cadastraux dans l’ensemble des territoires africains (mais aussi dans les pays en voie de développement hors Afrique) par des organisations internationales telles que les banque mondiale ou l’ONU, la mise en place de systèmes d’informations fonciers sur le modèle du cadastre n’a pas généré d’améliorations notables en matière de sécurité foncière.
Le cadastre (et les systèmes d’information fonciers en général) n’est pas un outil neutre car il est le produit d’une politique territoriale. La conception des outils de gestion foncière dans les villes africaines repose sur l’immatriculation foncière indissociable de la notion de propriété privée, héritage de la politique de mise en valeur des terres de l’Administration coloniale. Les juristes de l’administration coloniale ont jugé plus efficace d’occulter le droit foncier traditionnel dans les colonies car collectifs et superposables, ils complexifient les transactions et sont un obstacle à la circulation de la terre.
En ignorant la pluralité des systèmes juridiques ayant survécu aux politiques territoriales coloniales, les systèmes d’informations fonciers contribuent à accentuer le dualisme juridique qui est un obstacle évident à la sécurité foncière.
Conclusion
Interface entre le politique, le social et le spatial, le foncier joue un rôle central dans la gouvernance territorial d’un pays.
Une gestion foncière inefficiente freine la sécurité foncière nécessaire pour attirer et sécuriser les investissements et fragilise les populations dans l’incapacité de négocier leurs intérêts au sein des administrations. L’inventaire de la propriété foncière en milieu urbain permet aussi d’évaluer et exploiter le potentiel fiscal en vue de financer les services urbains de base.
L’insécurité foncière est aussi le produit de deux systèmes juridiques : le système d’immatriculation foncière héritée de l’administration coloniale et les différents droits fonciers traditionnels dans toute leur complexité.
L’analyse de la question foncière soulève également la question du choix des dispositifs administratifs et techniques. En effet, les projets de titrements et projets de cadastre butent sur des obstacles juridiques, socio-économiques et culturels.
Une politique foncière qui se veut efficace ne peut se penser indépendamment de la structure économique, sociétale et culturel de la société qui la porte.
Article rédigé par Nathalie Kababa.
Bibliographie :
« Sécurisation foncière et urbanisation en Afrique subsaharienne », http://www.resaud.net/repenser-les-moyens/131-chapitre-1-securisation-fonciere-et-urbanisation-en-afrique-sub-saharienne
« Outils de gestion de l’information foncière » https://www.foncier-developpement.fr/publication/note-de-synthese-2-les-outils-de-gestion-de-linformation-fonciere/
« Le foncier urbain en Afrique », Armelle Choplin https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00411086/document
« Systèmes de villes : l’urbanisation au service de la croissance et de la lutte contre la pauvreté »http://documents.worldbank.org/curated/en/723351468177567961/pdf/787190WP0Urban0ox377352B0000PUBLIC0.pdf
« La situation foncière en Afrique à l’horizon 2050 » http://archives.strategie.gouv.fr/cas/system/files/11-a-savoir1.pdf
« Les outils de gestion de l’information foncière » https://www.foncier-developpement.fr/wp-content/uploads/Notes-de-synthese_Numero2_Senegal.pdf
« Formalisation des droits sur la terre dans les pays du sud » http://www.foncier-developpement.fr/wp-content/uploads/Formalisation-des-droits-sur-la-terre-3.pdf
« Le droit d’agir », Alain Rochegude, Cahiers d’anthropologie, 2005.
« La Banque mondiale et les villes : du développement à l’ajustement », Annick Osmont, 1995.
« Enjeux fonciers en Afrique noire » Emile Le Bris, Etienne Le Roy, 1982.