Compte-rendu de la conférence : Les responsabilités des industries extractives en Afrique subsaharienne

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Le jeudi 22 février s’est tenue notre conférence tant attendue : « Les industries en Afrique subsaharienne : quelles responsabilités ? », modérée par deux de nos membres : Samya Idi et Steeve Flagbe.

La conférence animée par plusieurs intervenants de renom : avocats internationaux, experts en géopolitique et professeurs d’université s’est déroulée en deux temps.

Dans un premier temps, le premier panel nous a fait part de son expertise sur la question des perspectives et enjeux de la gestion des ressources minières et leur impact sur la gouvernance en Afrique.

Pour cela, Yves Favennec, professeur à l’Université Paris-Dauphine et expert en géopolitique de l’énergie, est revenu sur la production pétrolière et gazière en Afrique. Il a ainsi souligné la faible consommation énergétique en Afrique subsaharienne, alors que bon nombre d’exploitations minières et de gisements pétroliers sont présents sur le continent.

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Monsieur Favennec a également rappelé que contrairement aux sociétés nationales extractives, telles que l’ARAMCO en Arabie saoudite qui a le monopole des ressources d’hydrocarbures, les sociétés nationales en Afrique, notamment en Afrique de l’Ouest travaillent toujours en association avec les grands groupes pétroliers étrangers (Exxon, Shell…). Ce qui traduit leur faible capacité à assumer de lourds investissements les obligeant à devoir faire appel à des investisseurs étrangers.

Ce dernier a ensuite adressé les challenges auxquels les Etats font face. Il a notamment fait part de la nécessaire prise de conscience des États, à ne pas faire dépendre ipso facto le développement local des recettes pétrolières. Selon lui, il conviendrait de contrôler les masses d’argent issues de ces exploitations et favoriser une meilleure allocation de ces ressources. Il serait, dès lors, nécessaire de consacrer des politiques incitant au Local Content (utiliser au maximum les ressources locales pour développer l’activité pétrolière), à une juste répartition des ressources entre l’État et les compagnies pétrolières ainsi qu’à une utilisation des revenus à travers la création des fonds souverains.

Notre deuxième intervenant, Abdoulaye Sylla, doctorant en droit international à l’Université Paris X Nanterre, a quant à lui axé son intervention sur la redistribution des richesses des entreprises extractives en République Démocratique du Congo (RDC).

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Ce dernier a débuté sa présentation sur cette citation d’un journaliste congolais: « le problème du Congo est d’être trop grand, trop riche et trop faible ».

Selon le jeune doctorant, les instabilités politiques persistant sur le continent trouveraient en partie leur cause dans la captation, la production, et l’évacuation des ressources naturelles.

Si à l’aune des indépendances les États ont tenu à nationaliser les ressources naturelles, cette initiative ne sera pas de longue durée. Abdoulaye Sylla rappelle que le consensus de Washington établissant l’ouverture des frontières aboutira à la privatisation des ressources naturelles, entrainant ainsi l’accaparement de l’exploitation des ressources minières par une vague de multinationales.

Abdoulaye Sylla relève cependant le paradoxe qui marque ces exploitations. En principe l’ouverture des exploitations minières aux investisseurs étrangers favorise l’investissement et le transfert de technologie. Cependant la réalité est tout autre. Notre intervenant fait le constat qu’en Afrique une abondante exploitation des ressources n’a guère d’impacts positifs sur les conditions de vie des populations marquées par une extrême pauvreté.

Il rappelle également la nécessité d’instaurer un climat de transparence. En amont, l’État doit prendre des mesures, planifier une politique de gestion des ressources minières qui va dans l’intérêt de la population, et en aval, rendre des comptes de la gestion de ces ressources. L’allocation équitable des recettes minières est un droit qui est consacré par l’article 58 de la Constitution qui dispose que : « tous les congolais ont le droit de jouir des richesses naturelles, l’état a le devoir de les redistribuer équitablement … »

Pour finir, Abdoulaye Sylla, nous présente un triptyque qu’il considère être les limites de l’exploitation minière en Afrique :  

  • Troc mines contre armes : il rappelle la collusion des marchés d’armes et de l’exploitation minière en Afrique et du financement occulte qui s’opèrent entre ces deux domaines.
  • Troc mines contre infrastructures : la plupart des États africains concluent des contrats avec des États étrangers tels que la Chine par exemple, pour la construction d’infrastructures en échange de l’octroi à la Chine de la libre exploitation des mines ; cependant, et Monsieur SYLLA le soulève très bien, ces contrats paraissent indéniablement déséquilibrés, dès lors que se pose le problème de quantification de la valeur des infrastructures par rapport aux recettes que percevra l’État étranger exploitant.
  • Les contrats léonins : C’est une clause qui fait peser sur une partie au contrat la totalité des charges et des frais au bénéfice de l’autre partie. Il arrive que les États africains signent des contrats avec des investisseurs étrangers dans lesquels ils font peser sur ces derniers tous les frais liés à l’exploitation. Si le contrat paraît de prime abord plus bénéfique pour l’État africain, en réalité les investisseurs amortissent rapidement leur investissement avec l’exploitation, et perçoivent beaucoup plus, sans que l’État n’arrive à déceler à quel moment ces investissements sont amortis.

Pour clore cette première partie, Emmanuel Igah, expert en géopolitique et directeur du cabinet PHOBOS international, nous a présenté le cas du Nigéria. Il suffirait de suivre un tant soit peu l’actualité pour savoir que le Nigéria se classe parmi les pays producteurs de pétrole les plus influents du monde.

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Tel que l’a rappelé Emmanuel Igah, l’économie nigériane était originellement caractérisée par l’agriculture avant d’être remplacée progressivement dans les années 60 par le pétrole ; une métamorphose qu’il considère comme étant l’une des erreurs de la politique nationale de développement.

Bien que l’arrivée du pétrole ait permis la réalisation de grands projets (80 % des recettes nationales proviennent de l’exportation pétrolière), cette consécration pétrolière engendra des problèmes de répartition de richesses qui seront la cause des conflits qui marqueront l’histoire du pays, à savoir la guerre civile (Biafra).

Créée originellement pour résoudre les tensions entre les régions, la fédération au Nigéria (12 États au début, et maintenant 36 États) a consacré l’État central – les États fédérés – et les gouvernements locaux qui se partagent les richesses de manière inégale.

Au Nigéria, les richesses pétrolières sont contrôlées par le pouvoir central qui s’octroie la plus grande part des richesses et redistribue le reste. Une distribution arbitraire qui a créé des conflits avec la partie sud du pays qui s’est plaint de ne pas bénéficier d’une part juste des richesses, ce qui a engendré la création de groupes d’insurrection et de mouvements contestataires.  En réaction à ces conflits, un terrain d’entente a pu être trouvé par la consécration du principe de dérivation qui prévoit que les pays du delta du Niger (zone d’extraction pétrolière au Nigéria) se répartissent d’office 13 % des recettes, avant que le reste ne soit divisé entre les autres états.

Pour finir, Emmanuel Igah a déploré plusieurs inconvénients et manques qui caractérisent l’économie du pétrole au Nigéria :

  • La gabegie et la corruption massive
  • Le fait que des secteurs comme l’éducation et la santé soient relégués au second plan, au profit d’autres secteurs comme la Défense ;
  • Le fossé qui se creuse entre les pauvres et les riches, alors que l’argent du pétrole devrait être utilisé pour stimuler le développement local, et l’innovation.

De cette première partie consacrée à l’impact de la gestion des ressources minières pétrolières ou gazières, il ressort une question qui nous interpelle et qui nous laisse perplexe : les ressources naturelles en Afrique sont-elles une bénédiction ou une malédiction ? Nous vous laisserons, chers lecteurs, le soin d’y répondre.

Au cours de la seconde partie de la conférence, il a été question d’envisager les outils juridiques mis en place afin de réguler et de responsabiliser les activités de ces industries.

Dans un premier temps, Maître Lynda Amadagana, avocate au Barreau de Paris et du Cameroun, spécialiste dans les opérations corporate, énergie et infrastructures, concessions et financement de projet en Afrique et en Europe, est intervenue pour nous présenter le modèle camerounais de la Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE). Celle-ci déplore le vide et l’insécurité juridique en raison des lois sectorielles, et le manque de cadre général normatif et répressif de la RSE au Cameroun. En effet, ce cadre général pourrait se manifester par l’intégration des initiatives RSE dans les critères de performance des contrats de partenariat avec les investisseurs étrangers.

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Afin d’encourager la pratique et une mise en œuvre effective de la RSE, Maître Amadagana a relevé la possibilité de mettre en place certaines mesures d’incitation fiscales qui consisteraient à déduire de l’assiette fiscale de ces entreprises les éventuels coûts consacrés aux projets de RSE.

Se basant sur la stratégie RSE du groupe Actis, pour lequel elle travaille, Maître Amadagana a insisté sur les vertus d’une telle politique non seulement sur le tissu social local, mais également sur l’entreprise. En effet, les projets RSE donnent une certaine légitimité sociale au projet qui se traduit en valeur ajoutée pour cette dernière.

Les entreprises commencent à prendre conscience de cette réalité, et plusieurs projets voient le jour, notamment la création de la plateforme Lekela qui est un projet de formation de 300 jeunes au Kenya à des métiers clés de la construction à même de correspondre aux besoins de mains d’œuvre de l’entreprise ; ou également la prise en compte durant les travaux de construction d’un barrage hydroélectrique de l’impact que ce projet pourrait avoir sur la communauté locale en mettant notamment sur pied des programmes de lutte contre les nuisances de la mouche noire causées par cette construction.

Dans un second temps, Maître Salimatou Diallo, avocate au Barreau de Conakry, Paris et New York ainsi qu’associée-fondatrice chez SD avocats, nous a apporté son expertise sur les cadres juridiques mis en place par les Etats africains pour garantir la responsabilité de ces entreprises extractives

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Tel que l’a rappelé Maître Diallo, plusieurs États ont adhéré à l’ITIE (Initiative pour la Transparence dans l’Industrie Extractive) qui est une norme mise en place par la Banque mondiale pour promouvoir la bonne gouvernance. Elle établit également le constat selon lequel les codes miniers et pétroliers des pays africains se densifient de plus en plus avec l’adoption de dispositions RSE. En effet, les études d’impact deviennent systématiques pour tout projet.

Bien que des législations en matière de RSE commencent à être consacrées, leur effectivité est toujours remise en question. Tel que l’a souligné Maître Diallo et Maître Amadagana ces textes ne s’accompagnent d’aucune sanction et ne présentent par conséquent aucun effet coercitif.

Quant à la responsabilité des Etats des sociétés mères, très peu de textes ont été consacrés sur ce point. Néanmoins, il est intéressant de mentionner que le Canada a mis au point un mécanisme de suivi des activités des industries extractives canadiennes à l’étranger. Dans cette même logique la France a également prévu un devoir de vigilance des sociétés mères quant aux activités de leurs filiales directes, indirectes ou de leurs sous-traitants.

Pour clore notre conférence et pour faire la synthèse de ce qui a été précédemment dit, Maître Brabant, avocat associé et responsable du groupe Afrique au sein du cabinet Herbert Smith Freehills, est revenu sur l’effectivité des initiatives de ces entreprises en matière de RSE.

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C’est sur une note positive et optimiste que Maître Brabant nous a présenté l’évolution de la notion même de RSE en Afrique et notamment la prise de conscience des entreprises quant aux impacts de leurs activités sur les populations locales.

Le visage de la RSE est tout autre aujourd’hui, la viabilité des projets dépendant fortement du respect des droits humains et de leur acceptabilité au regard de la population. En effet, les populations semblent être devenues les nouveaux juges et les nouveaux contrôleurs des éventuelles exactions commises par ces entreprises.

Des mesures de prévention et non de sanction sont prises en amont par diverses autorités. Les banques nationales et la Banque Mondiale, par les standards de performance, ne financent plus les entreprises qui ne mettent pas en œuvre des principes de respect environnementaux et sociétaux. Des avancées sont également à mentionner du coté de certains États quant à la responsabilité des sociétés mères, notamment l’Angleterre qui vient de circonscrire la responsabilité des maisons mères pour les dommages environnementaux causés au Nigéria par la société SHELL.

En conclusion en dépit de ces quelques textes juridiques consacrés çà et là,  force est de constater que la matière de la responsabilisation des entreprises extractives, et des entreprises en général reste extrêmement pauvre en Afrique, et un manque de volontarisme des États dans les politiques de RSE reste à déplorer.

L’équipe de l’AMECAS tient à remercier, pour sa première conférence, l’ensemble des intervenants et le public, qui par leur présence et leurs interventions , ont contribué au succès de cet évènement.

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