Le Nigéria, autopsie d’une puissance défaillante ?

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Qu’est-ce qu’une puissance et qu’est-ce un Etat défaillant ? Une puissance se caractérise par sa capacité à influer sur la scène internationale ainsi que des institutions qui la régulent.

En substance, l’Etat qui se doit d’être souverain, rayonne via une attractivité culturelle qui symboliserait son Soft Power, tout comme son économie qui doit avoir un poids dans le volume des échanges, d’une politique extérieure active qui fait preuve d’autorité à plusieurs échelles ainsi que de moyens militaires capables d’exercer un Hard Power sur des espaces stratégiques.

A priori, ce sont deux notions antagonistes, dans la mesure où, une puissance qui se définie comme telle, ne peut en théorie, contenir les mêmes caractéristiques qu’un Etat déliquescent.

Pourtant, le cas du Nigéria (que nous analyserons au cours de cet article) n’est pas isolé, en effet, plusieurs puissances sont dans la liste des pays faillis ou « en danger de défaillance ».  La Chine par exemple, figure dans la liste des nations «en danger de défaillance ». Toute l’Afrique est classée dans les « Etats en situation critique ou de défaillance » ou en « danger de défaillance), idem pour l’Asie excepté pour le Japon et la Corée du Sud.

Cependant, même si le Nigéria est une puissance régionale aux prétentions continentales voire internationales, des fossés la séparent de la Chine, de l’Inde ou encore du Brésil. Si ces derniers rassemblent certaines caractéristiques de l’Etat défaillant (Indices de corruption élevés,  incapacité à assurer les missions régaliennes, présence de milices indépendantes, de zones grises, appareil d’Etat incompétent…), ils peuvent compenser par une stabilité politique globale, en plus d’un territoire sous contrôle et d’une influence internationale ou dans leurs sphères régionales respectives.

Indépendant depuis 1960 de l’Empire Britannique, le Nigéria est une République fédérale de 36 Etats qui comptent 190 millions d’habitants en 2017. Première puissance africaine devant l’Afrique du Sud et l’Egypte, troisième armée derrière ce même pays et l’Algérie et premier producteur d’hydrocarbures devant l’Angola, le Nigéria accumule les caractéristiques dignes d’un Etat fort en Afrique.

Cependant, tous ces atouts masquent une réalité qui n’est même pas occultée : les Etats du Sud, notamment ceux qui sont bordés par le Delta du Niger et donc par les gisements pétroliers, sont largement plus développés que ceux du Nord qui stratégiquement et économiquement, ne pèsent pas dans le développement national du pays. En plus de cette inégalité géographique, n’oublions pas que la corruption généralisée empiète sur la redistribution de la rente pétrolière, dont la gabegie du secteur enrichit les élites nigérianes et les firmes étrangères, au détriment du peuple nigérian.

Ainsi donc, le paradoxe du Nigéria se résume de la sorte : Un Etat au potentiel énergétique, démographique et économique incommensurable, dont les atouts représentent également ses principaux points faibles.

Souvent décrit comme le « géant aux pieds d’argiles » ou le « géant boiteux », le Nigéria facilite les critiques de ces détracteurs tant les défis à relever sont à sa portée : Au vu de son arsenal militaire et de son positionnement stratégique idéal (Pays carrefour entre l’Afrique de l’ouest, sahélienne et centrale) pour toutes opérations extérieures, le Nigéria a participé a pratiquement toutes les missions de paix qui ont pu nécessiter sa présence. Des conflits au Congo-Kinshasa entre 1960-1965, aux guerres civiles tchadiennes, libériennes et sierra-léonaises, ou plus récemment au Mali. Capable d’influer en dehors de ses frontières, le Nigéria est la puissance militaire active en Afrique, étant donné les préoccupations égyptiennes dans les conflits du Moyen-Orient, ou la relative passivité de l’armée algérienne sur le continent.

En revanche, la crise dans le Nord-Est du Pays, surtout dans l’Etat du Borno et les pays bordés par le Lac Tchad (Niger, Tchad et Cameroun) symbolisée par Boko Haram, amenuise la crédibilité du Nigeria qui ne parvient pas à s’affranchir de ce problème depuis 2009. Pire encore, Boko Haram s’est internationalisé en projetant ses activités chez les voisins régionaux du Lac Tchad, obligeant Abuja a mené une coalition militaire avec le Cameroun, le Tchad et le Niger depuis 2015. D’autant plus que Boko Haram n’est pas la seule épine du Nigeria, d’autres crises politico-sécuritaires troublent le centre du pays, notamment le Mouvement Islamique du Nigeria.

D’obédience chiite menace l’Etat de Kaduna, le Mouvement Islamique du Nigéria est en opposition depuis 2015 face à l’Etat nigérian. Désirant un Etat islamique sous le même modèle que l’Iran, les partisans du MIN ont été massacré en Décembre 2015. Réclamant la libération de leur chef et son épouse incarcérés depuis trois ans, les partisans du MIN ont été confronté mortellement à l’armée fédérale en Octobre 2018 où une quarantaine de fidèles ont trouvé la mort.

En ce sens, cette incapacité à résoudre ses propres problèmes à l’échelle nationale, contraint la première puissance continentale, à mesurer ses prétentions au leadership en Afrique.

D’autant plus que Boko Haram et le Mouvement Islamique du Nigeria ne sont  pas les seuls éléments perturbateurs du Nigéria, des groupes sécessionnistes comme le MEND (Mouvement pour l’Emancipation du Delta du Niger), le MASSOB (Mouvement pour l’Actualisation de la Souveraineté de l’Etat du Biafra) ou l’OPC (Congrès du Peuple Oodua) remettent en question l’autorité fédérale qui est menacée de dislocation dans les décennies à venir.

Toutefois, malgré toutes ces formes de contestations régionales ou ethniques, le Nigéria ne s’est pas fragmenté comme la Somalie ou le Soudan. De plus, son niveau de défaillance n’est pas comparable à celui de la Somalie, de la Centrafrique ou même du Mali, en effet, en dépit de la fragilité du pays, celui-ci peut compter sur quelques bases solides institutionnelles et militaires et sait user de sa diplomatie afin d’arriver à ses fins.

L’armée nigériane est omniprésente dans tout ce qui concerne les crises internes, celle-ci intervient automatiquement à chaque contestation. Précisons que l’ancien protectorat britannique n’a pas de gendarmerie, c’est donc l’armée qui endosse ce rôle. Réputé pour son intransigeance et ses exactions lors de ses opérations, l’appareil militaire fédéral n’a jamais usurpé cette renommée. Adepte de la théorie de l’ancien colonel américain Warden, les militaires ne se préoccupent pas des dommages collatéraux (Humains et matériels) ou d’une certaine discrétion, de véritables descentes sanglantes et expéditives contre les contestataires sont préférées, et lorsque cette méthode affiche clairement ses limites, Abuja recourt à la diplomatie (Rançons, libérations d’otages, négociations…).

Avec une économie fortement dépendante de la rente pétrolière (A plus de 90%), les hydrocarbures sont par conséquent, indissociables au développement du Nigéria, encore faut-il que ce secteur d’activité soit totalement performant et transparent.

Tout d’abord, rappelons que les gisements pétroliers sont pour la plupart situés dans le Delta du Niger au Sud, de ce fait, ce sont les Etats limitrophes qui bénéficient le plus des retombées économiques des extractions de cette matière première très appréciée par les firmes étrangères.

Cependant, les sociétés d’extraction d’hydrocarbures sont à l’origine de plusieurs polémiques puisque les populations locales subissent les dégâts environnementaux issus de la pollution des sites pétroliers. Les citoyens de l’Etat du Delta sont également expropriés de force sans même la possibilité d’être relogés, par ailleurs, certaines revendications provenant du MEND exigent une hausse de la part des revenus de la rente pétrolière. Cette ressource, qui constitue 90% des exportations nigérianes, ainsi que 70% des recettes fiscales, est victime de contrebandes criminelles. Afin de s’auto-suffire dans la mesure où, l’Etat ne répond pas aux besoins des populations les plus démunies, certains groupes mafieux siphonnent des pipelines ou raffinent leurs propres pétroles avec des raffineries artisanales qui mettent en danger la santé des concernés.

En outre, la responsabilité des multinationales et du Nigéria est à prendre en compte quant au taux de pollution extrêmement élevé dans le Delta du Niger. Bien que des efforts de dépollution soient fournis depuis la présidence de Buhari, l’écosystème est complètement ravagé, ce qui impacte intrinsèquement la santé des populations locales

Bien que la rente pétrolière soit à l’origine socio-politique comme celle du Biafra entre 1967-1970, ou celles liées au MEND,  les hydrocarbures sont paradoxalement, le vecteur d’union de la fédération puisque tous les Etats souhaitent une redistribution équitable de la rente pétrolière.

Le deuxième paradoxe se focalise sur le développement du pays, qui se déroule à plusieurs vitesses. En effet, les Etats du Nord ne bénéficient pas des mêmes budgets que ceux du Sud, le pétrole est le fer de lance du Nigéria mais il est à la fois la personnification de la défaillance de l’Etat qui ne parvient pas à endiguer la fuite des capitaux liée à sa mauvaise gestion.

  • Grâce à ses gisements d’hydrocarbures situés dans le Delta du Niger, le Nigéria est la première économie africaine devant l’Afrique du Sud et l’Egypte. Néanmoins, son secteur d’activité reste dépendant du pétrole, à tel point que lorsque le coût des matières premières baisse, le pays connait un marasme économique en parallèle, cette tendance touche les pays pétroliers africains à l’instar de l’Angola ou du Gabon. Bien que des efforts aient été fournis depuis la présidence de Buhari, la corruption généralisée ne laisse aucune administration intacte, des organes politiques aux postes douaniers. Fortement liée à la production du pétrole, la corruption amoindrit la rente de cette ressource tant prisée par les multinationales étrangères, qui ne sortent jamais innocentes de la « malédiction des hydrocarbures » en Afrique.
  • Troisième armée africaine, le Nigéria peut se targuer d’être la plus active quant à la résolution de conflits en Afrique de l’ouest (Via la CEDEAO), en Afrique centrale (Tchad, Congo, Centrafrique) ou orientale (Soudan). Cette volonté de peser sur la scène africaine lui procure un statut de « gendarme de l’Afrique », un rôle qui manque sur ce continent en proie à une flopée de crises internes qui influent sur les pays voisins. D’ailleurs, le Nigéria connait ce même phénomène avec Boko Haram, qui s’est déployé en dehors de ses frontières. Une épine dans le pied pour le géant africain, dont la crédibilité est remise en question tant le conflit s’est enlisé depuis 2009.
  • Ensuite, la puissance nigériane ne se limite pas à ses capacités militaires et économiques, c’est également une puissance qui sait composer avec son Soft Power culturel. Basé principalement sur l’industrie cinématographique Nollywood, le cinéma nigérian connait un franc succès en Afrique et même à l’échelle internationale. Deuxième poids lourd du cinéma derrière Bollywood, le Nigéria peut compter sur ce secteur afin d’exporter sa culture et son génie scénaristique sur nos écrans. En outre, sa diaspora, essentiellement concentrée dans les pays anglophones, participent au rayonnement du pays dans le monde.
  • Enfin, les prétentions à l’hégémonie continentale doivent d’abord, se confirmer au niveau régional. En effet, les échanges au sein de la CEDEAO sont risibles, les pays membres ne sont pas interdépendants, pire encore, leurs économies respectives sont concurrentes (Le coton est un parfait exemple). Les arrivées successives du Maroc et de la Tunisie devraient dynamiser cette région qui sort de ses bases géographiques originelles, cela devrait obliger le Nigéria à prendre plus en considération son poids au sein de la CEDEAO. Se tourner davantage en Afrique de l’ouest et centrale, permettrait à Abuja, de se renforcer économiquement et politiquement, avant d’aspirer au leadership continental.
  • Nous ne pouvons remettre en question la puissance du Nigéria. Même si nous ne pouvons le comparer aux pays du BRICS, la première puissance africaine possède des atouts qui la hisseront parmi les acteurs incontournables de la scène internationale. Si le Nigéria traîne les caractéristiques d’un Etat défaillant aux paradoxes uniques, son potentiel devrait lui permettre de réaliser ses ambitions, mais pour se faire, il faudra aborder une vision panafricaine qui lui échappe encore.

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