Image en couverture : Une manifestation organisée contre le pass sanitaire a la maison des syndicats de Fort-de-France image : LP/Olivier Corsan, Le Parisien
La Caraïbe fait référence à l’archipel d’îles situées entre les Amériques du Nord et du Sud. La plupart de ces îles ont acquis leur indépendance dans les années 1970. Certaines d’entre elles comme les îles des Antilles francophones (Martinique, Guadeloupe, etc.), demeurent sous tutelle française et font partie des territoires français d’outre mer. Ces îles ont développé des économies fondées majoritairement sur le tourisme et l’industrie et en second lieu sur l’exportation de produits agricoles et de matières premières. Les territoires antillais partagent des réalités socio-culturelles communes. Leurs histoires respectives, même si elles divergent, font aussi partie d’un héritage commun plus large.
Les premières campagnes de vaccination anti Covid-19 annoncées en 2012 ont suscité de fortes réactions de la part du grand public partout dans le monde. On a vu des protestations éclater en France, mais aussi aux États-Unis, faisant surgir de l’ombre les détracteurs du vaccin de la Covid-19, qualifiés un peu partout « d’anti-vax ». En France, ces protestations ont été observées dès décembre 2020. Alors que la première campagne de vaccination est en plein essor, de nombreuses études ont été menées sur le profil et les sentiments de ces détracteurs. On peut prendre l’exemple d’une étude réalisée en décembre 2020 par trois sociologues Alexis Spire, Nathalie Bajos et Léna Silberzan, mise en ligne sur MedRxiv.org dans l’attente d’être publiée dans une revue scientifique. Elle a été menée auprès d’un échantillon de 85.000 personnes et donne une idée du profil des personnes qui hésitent ou manifestent un sentiment de rejet face au vaccin contre la Covid. Cette étude montre qu’environ un Français sur quatre serait particulièrement hésitant face à la vaccination. La France a aussi été nommée le pays le plus « vaccino sceptique ». dans les médias. Cela n’a pas empêché le Président de la République d’annoncer, le 11 août 2012, le lancement d’une campagne de rappel de vaccination anti-Covid-19. Selon le site covidtracker.fr, le nombre de Français vaccinés avec au moins une dose en fin d’année 2021 correspondait à 75% de la population. L’Hexagone s’est donc empressé d’affirmer avec raison, que le taux « d’anti-vax ». le plus élevé se trouvait dans les territoires d’outre-mer. Ce discours s’avère arrangeant, au regard des fortes vagues de « protestation anti-vax ». qui se sont déroulées durant la seconde moitié de l’année 2021, en Martinique, mais aussi en Guadeloupe. Ces territoires ont été au centre des débats sur le vaccin contre la Covid-19 en France. On note plus globalement qu’il y a un faible taux de vaccination dans beaucoup d’autres îles de l’archipel de la Caraïbe, et cela presque deux ans après les débuts des premières campagnes de vaccination mondiale.
Au vu des fortes protestations recensées en Martinique fin 2021-début 2022 et avec un taux de vaccination qui s’élève à 27% à Sainte-Lucie en décembre 2021, une question s’impose : pourquoi observe-t-on une résistance au vaccin sur ces deux territoires caribéens voisins ? Est-ce qu’elle relève simplement de la méfiance ? Le site datavaccin-covid.ameli.fr, montre par exemple les chiffres relatifs à la vaccination par département : en ce qui concerne les territoires comme la Guadeloupe, la Martinique et la Guyane, le taux de vaccinés se situe entre 24 et 35 % en novembre 2021. À Sainte-Lucie, île moins peuplée que la Martinique (150 000 habitants VS 400 000), le taux de vaccination ne s’élève guère à plus d’un quart de la population. De nombreux médias ont qualifié ces « anti-vax » de « complotistes ». En réalité, les choses sont beaucoup plus nuancées. De plus, il convient de rappeler que la question vaccinale a suscité des résistances partout dans le monde. Le contexte politique, social et historique de ces territoires a aussi contribué à renforcer cette méfiance. Sans pour autant en faire un point central, il faut aussi se rappeler que la société caribéenne maintient certains héritages coloniaux, dont les impacts socio-politiques restent présentement palpables et font, par ailleurs, ressurgir les méfiances
La Martinique
La Martinique est une île française de la Caraïbe située plus précisément dans l’archipel des Petites Antilles. C’est un département et une région d’outre-mer administrée dans le cadre d’une collectivité territoriale unique, par la Collectivité territoriale de Martinique (CTM). Le PIB régional s’élevait à 8,4 milliards d’euros en 2014, (22 209 euros par habitant). Ce chiffre est le plus élevé des départements et régions d’outre-mer. Il reste cependant inférieur à la moyenne nationale française (32 199 euros par habitant). L’économie martiniquaise est principalement tertiaire. En 2010, les services publics représentent plus de 80% de la richesse produite. Les secteurs de l’industrie représentent 13% et l’agriculture et la pêche seulement 2,3%. Malgré cela, la Martinique connaît une situation économique difficile. On le voit notamment avec le taux de chômage important (18,9 % de la population active en 2015).
Avec l’approche des élections présidentielles d’avril 2022 en France, le président Macron a annoncé la levée des restrictions auxquelles les Français faisaient face depuis presque deux ans. La question du motif politique reste au cœur de tous les esprits, car le virus, et surtout le variant Omicron, continue de circuler. Dans le cadre de la mise en place du passeport vaccinal, le 24 janvier 2022, la levée des restrictions a eu lieu en deux temps, les 2 et 16 février. Pendant que les habitants de France métropolitaine savouraient une liberté nouvellement acquise, il n’en était pas de même dans les territoires d’outre-mer. À ce moment-là, la Martinique était en état d’urgence depuis le 8 décembre 2012. L’annonce de la levée du couvre-feu a été faite le 21 mars par le préfet de Martinique. Cette levée impliquait la suppression de l’autorisation d’ouverture des restaurants et des bars. Le port du masque quant à lui n’est plus obligatoire depuis le 9 avril. Dans ces territoires d’outre-mer, sous l’effet du variant Omicron, la circulation de la Covid-19 connaissait une « augmentation considérable ». Au 28 mars 2021, seulement 45% de la population martiniquaise de plus de 12 ans est vaccinée d’une dose. Un peu plus tard que dans l’Hexagone, les territoires ultramarins se voient, eux aussi, confrontés à une hausse des contaminations du coronavirus. Même les pics de contaminations de Covid observés en fin d’année 2021 n’ont pas su convaincre les habitants de se faire vacciner.
Ce phénomène semble plutôt répandu dans la Caraïbe. La Guadeloupe n’est pas l’objet de cet article, mais il reste utile de mentionner quelques chiffres qui montrent que cette logique n’est pas propre à la Martinique et à Sainte-Lucie. En Guadeloupe, la résistance à la vaccination est toujours forte. Dans un bilan du 10 janvier, la préfecture annonçait que le variant Omicron était présent dans plus de 95% des prélèvements positifs en Guadeloupe. En chiffres, c’est la Guyane qui présentait le taux d’incidence le plus élevé parmi les cinq départements d’outre-mer, avec près de 3 400 cas pour 100 000 habitants sur le territoire. Juste après, l’indicateur frôlait les 3 000 cas pour 100 000 habitants en Guadeloupe. Avec de telles valeurs, ces deux territoires affichent désormais un taux d’incidence plus élevé que le niveau national actuel alors que depuis fin novembre 2021, le niveau national était supérieur à celui des territoires ultramarins. La tendance s’est donc inversée.
Les grèves et les révoltes de 2021-2022 dans les Antilles françaises sont des mouvements issus d’un conflit social qui a débuté en novembre 2021. Cette crise est née suite à la décision du gouvernement français d’instaurer sur tous ses territoires une obligation vaccinale pour le personnel soignant ainsi qu’un pass sanitaire. Ce pass est obligatoire dans tous les lieux publics clos. En réponse, une grève générale et des manifestations éclatent d’abord en Guadeloupe et ensuite en Martinique. Le taux de vaccination relativement bas est essentiellement dû à plusieurs facteurs socio-culturels distincts, ajoutés à une méfiance vis-à-vis des injonctions de l’État. Beaucoup de personnes incriminent des informations jugées « obscures » et parfois même contradictoires. Benjamin Garel, l’ancien directeur du CHU de Fort-de-France témoigne auprès de Marion Lecat (journaliste indépendante qui écrit pour Basta sur l’obligation vaccinale) en ces termes : « Même durant la quatrième vague qui a été meurtrière, on continuait à nous accuser de mensonge, à dire qu’il n’y avait personne en réanimation ». De nombreuses questions se posent sur la réelle dangerosité du virus : il faut prendre en compte que des virus et des épidémies font souvent apparition aux Antilles qui est une zone tropicale (ex: Chikungunya et Zika en 2014 et 2015). Pourtant, à ce jour il n’y a eu aucune mesure de vaccination obligatoire pour ces virus.. La dengue fait, quant à elle, régulièrement des apparitions dans ces régions. Elle touche jusqu’à 50 millions de personnes dans le monde et en tue près de 20 000 par an. Peut-être qu’en comparaison, le coronavirus reste une maladie qui a un effet global et est hautement transmissible, mais en même temps, on ne peut pas nier l’effet qu’a eu la médiatisation du coronavirus sur les esprits. Pourtant, selon l’Institut Pasteur, deux milliards et demi de personnes vivent dans des zones à risques de dengue. Cette maladie comporte un potentiel meurtrier élevé, mais n’est pourtant pas autant médiatisée. L’article de Madame Lecas fait écho à cela. Elle relève : « Au cours des groupes de parole organisés pour l’étude, des Guadeloupéens s’étonnaient aussi qu’aucun vaccin n’ait encore été trouvé contre le zika ou le chikungunya, deux virus répandus dans l’île. Beaucoup préfèrent se tourner vers les pratiques de soin traditionnelles. En effet, les pratiques de médecines traditionnelles sont très répandues en Martinique et dans la Caraïbe en règle générale. L’approche de cette médecine est avant tout préventive, mais peut aussi servir de traitement. Les alternatives naturelles sont parfois préconisées aux dépens de la médecine classique, allopathique comme par exemple, pour un rhume ou une angine. Le virapic (herbe médicinale) et les grogs au gingembre sont deux remèdes utilisés communément. »
Le caractère obligatoire du vaccin est aussi un frein qui revient souvent lorsqu’on interroge sur les raisons de la résistance. Pour certains, c’est une atteinte aux libertés. C’est sûrement une des mesures qui a poussé le peu de gens qui se sont vaccinés à le faire, notamment le personnel soignant, qui pour beaucoup, estime l’avoir fait sous le poids de la contrainte. L’article de Lecas fait aussi mention d’un fait qui paraît très intéressant et qui, en réalité, est au cœur de la question à mon sens : certains revendiquent là un acte de résistance. Parmi les personnes interrogées, il y a Marie-Aline Faraux, radiologue depuis plus de vingt ans qui à été suspendue : « En tant que Guadeloupéenne, du fait de l’histoire de mon peuple, j’ai une défiance accrue vis-à-vis de tout ce qui est forcé », explique-t-elle. Il y a donc une réelle dimension politique en Martinique comme en Guadeloupe. Beaucoup le perçoivent comme une manifestation du néo-colonialisme. Il faut aussi se rappeler qu’au début du confinement en hexagone, il y avait très peu de cas recensés aux Antilles. La Martinique a essentiellement vécu ce que ses habitants considèrent comme deux confinements et cela ne gêne personne. De plus, ce n’est pas juste un geste d’opposition contre l’État. On ne peut pas nier que les problématiques antillaises ne sont pas à la tête des considérations du gouvernement français : la Martinique et la Guadeloupe vivent des scandales sanitaires à répétition depuis des années sans que cela n’émeuve autant. On peut citer le manque d’eau courante en Guadeloupe, à cause de problèmes de distributions et d’épuration. Lors d’ouragans, certaines communes se voient privées d’eau pendant des semaines à cause de l’état général de la tuyauterie. La pollution au chlordécone est aussi une question qui revient souvent, cet insecticide très toxique qui, grâce à des dérogations ministérielles, a été massivement utilisé dans les bananeraies de 1972 à 1993. Plus de 90 % des Guadeloupéens et des Martiniquais sont désormais contaminés à ce produit pouvant provoquer des cancers, notamment de la prostate, des diabètes et d’autres troubles hormonaux. Il provoque aussi des troubles du développement chez les nourrissons.
Pour beaucoup d’Antillais, il y a une défiance de l’État. La question du délabrement des services est aussi en cause. Les hôpitaux publics en Martinique souffrent d’un manque de personnel et de locaux en piteux état. Il y a un manque d’investissement dans les hôpitaux. L’hôpital de Pointe-à-Pitre en Guadeloupe a également fait la une des médias pour l’état de ses locaux. On y constate des fuites au plafond, des inondations et des moisissures. Le ramassage des déchets est régulièrement paralysé en raison d’une mauvaise gestion financière. La Sécurité sociale a vu ses effectifs diminuer, ce qui a affecté la qualité du service fourni. Enfin, la hausse des prix du carburant et du gaz domestique a placé la question de la hausse du coût de la vie au centre du débat public. Il ne faut pas oublier que la vie est plus chère aux Antilles, notamment à cause de caractères insulaires comme la difficulté de l’acheminement de marchandises. Le mouvement actuel ne cible donc pas uniquement le vaccin mais réveille également des conflits sociaux auxquels font face les Antillais depuis des dizaines d’années. Lors de l’examen du budget 2021 pour les Outre-mer, la sénatrice socialiste Catherine Conconne a fait un appel direct au Ministre : « Un plan santé est nécessaire où l’ambition doit être portée, où l’équité doit prévaloir. La Martinique présente des chiffres de vieillissement de sa population et on ne peut plus se contenter d’ignorer ces pathologies, souvent déclenchées par des vies de labeur éprouvantes, qui peinent à être prises en charge. L’administration déploie tous les dispositifs dont elle dispose mais l’ambition du pouvoir central peine à apporter des solutions efficientes . Les conditions d’accueil et l’accès à la santé sont indignes. On meurt à la Martinique faute de soins, faute de médecins. » La sénatrice à également tiré la sonnette d’alarme sur l’état de délabrement des hôpitaux évoquant notamment celui de la Trinité : « Les promesses de longue date n’ont pas été tenues, des budgets n’ont jamais été exécutés pour l’hôpital de Trinité ». Selon Martinique 1ère, l’UGTM (Union Générale des travailleurs martiniquais) se bat depuis près de 20 ans pour la reconstruction de cet hôpital.
Sainte-Lucie

Sainte-Lucie est une île anglophone indépendante faisant partie du Commonwealth. Elle a été libérée de la tutelle coloniale anglaise en 1979. Elle a su construire une économie indépendante basée en grande partie sur le tourisme, mais aussi sur une production agricole à petite échelle. En 40 ans, elle a su entreprendre une grande campagne d’éducation et a fondé un système scolaire efficace fondé sur l’embryon de système hérité des Anglais. En un peu plus d’une génération, le taux d’alphabétisation à atteint les 78%. Ainsi la population est majoritairement éduquée. Elle est dirigée par le premier ministre Philippe J. PIERRE élu en juillet 2012 après un bilan assez terrible de l’ancien premier ministre Allan Chastanet. La pandémie de la Covid-19 a radicalement affecté l’économie de l’île. Cela notamment car l’île compte majoritairement sur son secteur touristique, comme nous l’avons déjà souligné.
Dès les débuts de la pandémie fin 2019, on compte très peu de cas recensés à Sainte-Lucie. En effet, le gouvernement a pris très vite la décision de fermer ses frontières, dès février 2020. Cette décision s’est avérée judicieuse, au vu de la pression que la pandémie aurait placée sur le système hospitalier très fragile de l’île.
En effet, il y a trois hôpitaux sur l’île ainsi que de nombreuses petites cliniques et dispensaires, mais le système médical saint-lucien n’est pas tout à fait adapté pour une grosse vague de contaminations, d’autant plus que les soins médicaux demeurent chers pour la majorité des habitants. Le salaire moyen d’un Saint-Lucien est de 2,820 XCD par mois (environ 900 dollars US), Les soins médicaux nécessitent de souscrire à une assurance pour couvrir les frais en cas de maladie ou d’accidents graves, sinon la note hospitalière peut très vite monter.
Une série d’actions a vite été entreprise pour contrer l’arrivée de l’épidémie sur l’île. On le voit notamment avec le refus d’accueillir des bateaux de croisière possiblement contaminés dans le port de Castries. Les hôtels, les restaurants et tous les lieux qui accueillent le public ont été fermés pendant plus de deux mois et les frontières sont restées solidement verrouillées pendant près de cinq mois. L’économie a reçu un sacré coup : un couvre-feu quasi permanent depuis l’annonce du premier couvre-feu en mai 2021 a été instauré jusqu’en février 2022. Celui-ci a changé plusieurs fois pour les horaires. En décembre 2012, on compte environ 13 000 cas et 295 morts au total, selon les chiffres donnés par Our World in Data and JHU CSSE Covid-19 Data.
Au mois de mars 2022, il y a eu une légère hausse du nombre de cas avec environ 11 cas détectés par jour sur l’île, ce qui correspond à 3% du chiffre pendant le pic épidémique de janvier 2022. Ce bilan n’est pas terrible, mais il faut toujours prendre en compte le nombre d’habitants sur l’île. Le ministère saint-lucien de la santé a lancé un appel aux habitants à de nombreuses reprises, de manière quasi hebdomadaire, pour les appeler à se vacciner contre la Covid-19. Tout ceci en affirmant que les réticences à se faire vacciner augmentent le risque de contracter le virus et ses variants notamment le Delta et l’Omicron.
Sainte-Lucie a reçu sa première commande de vaccins le 7 avril 2012 de la part de COVAX avec 24 000 doses du vaccin Oxford Astrazeneca. La première vague de vaccination a débuté tardivement et a été lente. Le 29 décembre, Tecla Jean-Baptiste, la directrice de l’institut d’immunisation nationale annonce que seules 49193 personnes avaient reçu leur deux doses de vaccin, ce qui correspond à environ 27 % de la population. Elle insiste sur le fait que ce n’est pas assez d’immunité collective pour réellement réduire l’impact du coronavirus sur le territoire. Le ministère de la santé a fait circuler une alerte urgente pour le renforcement des mesures prises dans le domaine de la santé publique en général, y compris sur le lieu du travail. De nombreux hôtels et autres lieux pour touristes ont exigé de leurs employés qu’ils soient vaccinés, en les menaçant de les suspendre de leur travail s’ils ne respectaient pas la consigne. En décembre 2012, la chief medical officer, chef de l’ordre des médecins, le Dr. Sharon Belmar-George suggère que le variant Omicron pourrait être en train de circuler sur l’île. Pourtant, ce dernier n’a pas été détecté à ce moment précis. Le docteur Belmar-George affirme tout de même qu’avec les taux de transmission déjà observés, le variant Omicron n’allait pas tarder à être repéré sur l’île. Les premiers cas du variant Omicron font leur apparition en janvier 2022. Des actions de sensibilisation ne cessent d’être menées. Pour rentrer dans l’île, les résidents ont le droit de passage sous réserve d’avoir présenté un test PCR négatif et sous condition d’avoir validé une autorisation de voyage avec le ministère de l’intérieur. Les personnes vaccinées ne sont pas obligées de présenter un test covid. Si la personne n’est pas complètement vaccinée, elle est soumise à une quarantaine à son arrivée sur l’île. La vaccination quant à elle demeure accessible et se fait dans tous les centres médicaux équipés ainsi qu’auprès de médecins et personnels soignants auxiliaires. Elle est entièrement gratuite.
Rappelons la question qui nous intéresse: pourquoi le sentiment « anti-vax » sévit-il à Sainte-Lucie ? À l’inverse de la Martinique, on n’observe pas forcément de vagues de protestations violentes, exacerbées par le contexte socio-politique. Il faut bien se rappeler que les deux îles ne fonctionnent pas de la même manière sur le plan politique : la Martinique est un département français et les structures politiques qui gèrent le niveau local et régional dépendent directement du gouvernement français. À l’inverse, Sainte-Lucie est indépendante, donc toutes décisions politiques prises n’engagent que le gouvernement et son peuple. C’est une jeune économie. Le système médical y est nettement plus fragile qu’en Martinique qui bénéficie de l’aide française (même s’il faut souligner que les hôpitaux martiniquais sont délaissés depuis longtemps). Il y a peut-être une absence de protestations mais – le chiffre de seulement 27 % démontre la réticence de la population à se faire vacciner, alors que la vaccination est ouverte et gratuite depuis mai 2012. Depuis le début de la pandémie, le nombre de morts comparé au nombre de cas est plutôt faible – cela correspond à environ 1% des cas recensés. C’est un argument qui ressort souvent, car certains considèrent que c’est une maladie « inventée » par les médias. Les habitants de Sainte-Lucie vivent la pandémie violemment car le secteur touristique est à l’arrêt, mais d’une certaine manière, les populations la vivent « de loin » à travers des informations que font circuler les médias. Sainte-Lucie est tournée vers les pays anglophones et suit de près l’actualité nord-américaine et anglaise. C’est donc aussi à travers les médias qu’ils perçoivent la gravité de la situation. Ils ne se voient pas affectés comme les anciennes puissances occidentales.
Certaines personnes dénoncent le fait qu’au début de la campagne de vaccination, le seul choix possible était de se faire vacciner avec Oxford Astrazeneca. Il n’empêche que l’annonce faite par l’Union européenne et même l’OMS concernant une possible suspension de son utilisation a inquiété certains Saint-Luciens, suite au présumé lien qu’aurait le vaccin avec des cas de thrombose et qui a suscité un débat. Pourtant, rien n’indique précisément que ces événements soient en lien avec la vaccination. Les données évaluées par l’Agence européenne des médicaments (EMA) ont conclu qu’il n’y a aucun lien direct avec ces cas de thrombose. Ces raisons ont freiné beaucoup de personnes. D’autres voient le vaccin comme une relégation des puissances occidentales de stocks qu’elles n’utilisent pas en priorité sur leur propre population.
La vaccination a engendré beaucoup de réactions mixtes. On observe une prévalence du sentiment de méfiance. Certains taxent cette méfiance d’ignorance et d’autres de bon sens …Chacun sa vision. Quelles autres raisons font donc que le vaccin contre la Covid-19 est aussi impopulaire à Sainte-Lucie ? Dans toutes les catégories confondues de la population, les jeunes comme les personnes plus âgées, les hommes comme les femmes, tous sont tiraillés. Chez les générations les plus anciennes et les moins lettrées, il y a une méfiance liée à un manque de formation, certes, mais aussi à un manque de confiance à l’encontre du système médical de l’État. Chez des personnes entre 18 et 40 ans, tous sexes confondus, la question des rapports entre les citoyens et leurs dirigeants apparaît. Le fait de ne pas se faire vacciner relève parfois d’un « political statement”. Des personnes avec qui j’ai pu échanger sur la question, ainsi que des membres de ma famille, affirment que c’est plus globalement une méfiance à l’égard de la parole publique et du capitalisme, à qui ils associent les laboratoires médicaux.Compte-tenu du prix des soins médicaux, les habitants font parfois le lien entre l’hôpital et la dette. Ces personnes ne se présentent pas forcément comme politisés, mais affichent un avis idéologique comme en Martinique, avec l’idée de faire face au “babylone system” associé à l’industrie pharmaceutique. D’autres personnes évoquent des sentiments de colère et de défiance hérités de l’histoire de l’économie de plantation et de l’esclavage dans la Caraïbe. Ce mécontentement se manifeste face à toute tentative de la classe dirigeante qui tente d’imposer un protocole, même s’il s’agit d’un protocole sanitaire. C’est l’idée de l’atteinte à la liberté de choisir ce que l’on met dans notre corps, le corps étant un enjeu considérable pour des populations qui portent les cicatrices d’un lourd passé esclavagiste.
L’abandon de la médecine traditionnelle et holistique, héritée de génération en génération, est aussi une raison citée par certains. À Sainte-Lucie comme en Martinique, on fait autant confiance à la médecine traditionnelle pour prévenir de maladies. Résister au vaccin est synonyme d’un attachement aux pratiques ancestrales. Les deux approches médicinales peuvent évidemment coexister. Certains préfèrent ne pas mettre de substances qu’ils jugent comme « étrangères » ou « chimiques » dans leur corps.
En fin de compte, les mesures prises par le gouvernement local suscitent des questionnements au sein de la population. Beaucoup de choix controversés rentrent en compte dans cette défiance : l’ancien premier ministre Alain Chastanet a décidé de rouvrir l’île au tourisme avec certaines restrictions en juin 2021. Il autorise par exemple les bateaux de croisières à accoster à nouveau dans les ports de l’île, ce qui suscite de fortes réactions. Il faut noter qu’il est lui-même propriétaire d’hôtels et a des intérêts dans l’industrie de croisière. Ces bateaux de croisières sont de vrais incubateurs pour les épidémies et il est commun que certaines maladies (qui reviennent régulièrement à Sainte-Lucie comme la grippe saisonnière) soient amenées sur l’île par ces bateaux, particulièrement durant la haute saison touristique. À tel point que les habitants faisaient automatiquement le lien entre la grippe et les croisiéristes avant même l’apparition du coronavirus. Les habitants déplorent ces mesures et sentent que leur gouvernement les délaisse pour les touristes. Ils se plaignent de ne pas pouvoir se balader aussi librement chez eux tandis que des exceptions sont faites pour des groupes de visiteurs restreints. Il y a une inégalité dans le traitement et les habitants se sentent abandonnés.
Pour finir, on peut nettement observer à travers tous ces exemples qu’il ne s’agit pas juste de déficience : dans les territoires français comme anglophones de la caraïbe la résistance au vaccin fait écho à des problématiques plus complexes et anciennes. La méfiance est héritée de l’histoire : l’oppression subie aux Antilles durant la période coloniale et esclavagiste fait que, souvent, les gens résistent à tout ce qu’ils perçoivent comme une injonction. Cette forme de dislocation sociale rend les actions de l’État (même si elles sont bienveillantes envers la population) difficiles à mener.
Auteur :
DFC Langue de feu
Sources :
https://www.medrxiv.org/content/10.1101/2021.06.07.21258461v1 Social inequalities in hostility toward vaccination against Covid-19
https://www.insee.fr/fr/statistiques/2128991
https://www.martinique.ars.sante.fr/les-chiffres-covid-19-de-la-semaine
https://www.monde-diplomatique.fr/2022/01/CRUSE/64191
http://www.salaryexplorer.com/salary-survey.php?loc=184&loctype=1
https://www.stlucia.org/en/covid-19/
https://stluciatimes.com/cmo-no-confirmation-of-omicron-in-saint-lucia-but-it-may-be-here/
Press Release :- The Ministry of Health, Wellness and Elderly Affairs in collaboration with the Division of Public Sector Modernization has rolled out Saint Lucia’s Covid-19 Digital Vaccination Certificate Programme on Wednesday December 29, 2021