La double nationalité : le cas de la RDC et du Cameroun

Les enjeux de la nationalité d’un individu sont multiples et peuvent s’analyser sous plusieurs angles. D’ailleurs, la question de la nationalité renvoie à plusieurs notions. La plus évidente est le terme de nation. Le professeur Jean Salmon la définit comme un ensemble de personnes qui présentent un certain degré d’homogénéité et tiennent à la fois à des liens objectifs de race, de langue, de religion et à des liens subjectifs qui expriment une volonté de vivre ensemble. La nation englobe donc une dimension subjective des individus et des caractéristiques objectifs. À l’inverse, selon le juriste Carré de Malberg, l’idée d’État repose exclusivement sur des faits objectifs (communauté d’hommes sur un territoire avec une organisation).

Quelle que soit la définition retenue (il en existe une multitude), la nationalité d’un individu engendre plusieurs conséquences telles que le statut de national pour l’individu (à l’inverse d’un étranger), ou encore la protection diplomatique de celui-ci par son État de nationalité. 

Alors que la plupart des ordres juridiques européens reconnaissent un droit à la nationalité, ni la Charte Africaine des droits de l’homme et des peuples, ni le Congo ni le Cameroun ne l’admettent. Les deux pays sont néanmoins signataires de la Convention relative aux droits de l’enfant et ne reconnaissent donc que le droit pour l’enfant d’acquérir une nationalité (article 7 de la Convention).

Pourtant, la nationalité est un sujet important non seulement par rapport aux conséquences qu’elle produit mais, aussi par rapport à ce qu’elle représente : elle est un élément à part entière de l’identité d’un individu. Elle l’individualise dans la société et le rattache à une Nation.

De ce fait et pour plusieurs autres raisons, de nombres Etats admettent la possibilité de posséder une double nationalité, parfois sous certaines conditions. Aujourd’hui, seule une poignée de pays africains interdisent complètement la double nationalité. Le Cameroun et la République démocratique du Congo font partie de ces pays. Nous avons donc décidé de nous pencher sur les positions que tiennent ces États et les raisons qui les justifient. 

1. Le cas de la république démocratique du Congo : la problématique de la nationalité de la communauté rwandophone

La législation congolaise relative à la nationalité, et à la double nationalité a fait l’objet de plusieurs revirements. La question substantielle de tous ces changements était la date d’installation des autochtones sur le territoire du Congo (c’est une question qui touche plus particulièrement la communauté rwandophone dans l’est du pays).

Le premier acte législatif traitant de la question remonte au 27 décembre 1892. Alors appelé Etat indépendant du Congo, Léopold adopte un décret considérant comme congolais l’individu né sur le territoire congolais (jus solis) et descendant d’un Congolais (jus sanguinis). Lorsque le Congo devient officiellement une colonie belge en 1908, les Congolais deviennent alors des sujets belges mais ne jouissent pas de droits civils. C’est finalement avec l’adoption d’une ordonnance le 6 novembre 1959 faisant suite à la Table ronde pour l’indépendance que le droit de vote est reconnu pour les Congolais et les Rwandais.

La Constitution de Luluabourg du 1er Août 1964 pose pour la première fois le principe d’unicité et d’exclusivité de la nationalité congolaise. Elle dispose en son article 6 qu’il « existe une seule nationalité congolaise ». Ainsi, elle vient abroger le décret de 1892 et considère alternativement le droit du sol ou le droit du sang pour la reconnaissance de la nationalité congolaise, là où le décret exigeait les deux. Concernant la date d’installation de la tribu à prendre en considération pour l’établissement de celle-ci sur le territoire congolais, elle se place à la date du 18 octobre 1908.

En 1971 arrivent les premières élections législatives sous la présidence de Mobutu. Barthélémy Bisengimana, alors directeur du bureau du président, Tutsi originaire du Nord Kivu souhaite clarifier le statut des rwandophones afin de leur permettre de voter. Ainsi, la même année, une loi-ordonnance est adoptée. Celle-ci reconnait aux personnes originaires du Rwanda et du Burundi arrivées avant le 30 juin 1960 la nationalité congolaise. En effet, la plupart transplantées sous la colonisation belge, ces personnes ne pouvaient pas se prévaloir d’une nationalité congolaise selon la Constitution de 1964 puisqu’elles étaient arrivées après 1908.

Un an plus tard, en 1972, une nouvelle loi-ordonnance est adoptée. A son tour, elle vient modifier la date d’installation. Elle considère les personnes originaires du Rwanda et du Burundi résidentes au 1er janvier 1950 comme congolaises à dater du 30 juin 1960, date de l’indépendance. Ces lois, appelées lois Bisengimana, viennent donner automatiquement la nationalité collective aux Banyrwanda arrivés dans le pays après 1908. Pour établir la nationalité congolaise devant un tribunal, l’existence de présomptions graves, concordantes et précises était suffisante. Ce standard de preuves bien connu en droit vient alléger la charge de la preuve et facilite la reconnaissance de la nationalité zaïroise à un peuple dont la « congolité » est sujette à contestations.

En effet, alors qu’une partie de la population ne considéraient pas les Banyrwanda comme congolais dû à leur arrivée tardive sur le territoire, ces lois viennent intensifier le rejet de la communauté rwandophone. En effet, après l’adoption d’une loi foncière en 1973 permettant aux détenteurs de la nationalité congolaise le droit à la concession perpétuelle, càd de jouir indéfiniment de son fonds, une grande majorité des plantations de l’époque coloniales situées dans le Kivu revinrent aux Banyrwanda ce qui entraîna un sentiment d’expropriation auprès des autochtones. Les Banyrwanda exercent ainsi une influence économique, politique et progressivement sociale sur la région.

Après l’évincement du directeur du bureau du Président, Bisengimana en 1977, une nouvelle loi sur la nationalité est adoptée en 1981 afin de revenir sur les effets des lois Bisengimana. Cette loi vient durcir la reconnaissance de la nationalité congolaise : sont pris en considération les tribus établies sur le territoire congolais au 1er août 1885 et la preuve de la nationalité ne peut se faire que par la présentation d’un document officiel, les présomptions graves, précises et concordantes n’étant plus suffisantes. Plus encore, le décret d’application de cette loi de 1981 a un effet rétroactif : il annule tous les certificats délivrés en vertu de la loi de 1972. En conséquence, un nombre important de Banyrawanda devient apatride. Cette situation ne va que renforcer les tensions entre la communauté rwandaise et les autochtones et rendre la gestion administrative de de la région Kivu plus que difficile.

Alors que la communauté rwandophone souffre d’une exclusion de la vie publique au Congo, le gouvernement de transition de 2003 en application des accords de Sun City adopte une nouvelle Constitution dans laquelle toute discrimination entre ethnies est prohibée. Cette prohibition se situe au même article que le principe d’exclusivité et d’unicité de la nationalité congolaise, positionnement laissant affirmer le lien entre les ethnies rwandophones et la question de la nationalité (cf. article 14 Constitution de 2003).

Aujourd’hui, le droit positif repose sur la loi de novembre 2004. Ayant pour volonté de « mettre fin à la fracture sociale créée par la question de la nationalité », celle-ci se réfère à l’année 1960 pour la reconnaissance de la nationalité et réaffirme le principe d’exclusivité de la nationalité congolaise. Ainsi, comme le font remarquer certains juristes, elle se base toujours sur l’appartenance ethniques plutôt que sur des critères objectifs. En effet, toute la législation congolaise relative à la nationalité se place sur l’ethnie sans pour autant préciser les groupes ethniques auxquels elle renvoie, ce qui rend son application d’autant plus difficile. La Constitution du 18 février 2006 instituant la Troisième République congolaise entérine la législation de 2004. Le président Joseph Kabila reste ainsi muet sur une possible double nationalité. Il ne relancera d’ailleurs pas le débat jusqu’à la fin de son mandat.

Jusqu’à aujourd’hui, le débat de la nationalité congolaise reposait donc essentiellement autour du statut de peuples dont la congolité était fortement contestée. Dans cet esprit, il était logique que l’ouverture à la double nationalité soit difficilement envisageable ; comment légiférer sur l’obtention de la nationalité congolaise pour des individus possédant déjà une nationalité alors que plusieurs personnes dans l’est du pays en sont dépossédées ?

 2. Le cas du Cameroun : une législation faite pour exclure

Le sujet de la nationalité au Cameroun se pose à peu près dans les mêmes termes qu’en République démocratique du Congo (RDC).

C’est la loi du 11 juin 1968 qui établit les critères d’admission à la nationalité camerounaise. Elle dispose dans son article 6 que pour être Camerounais, il faut être né de parents Camerounais (droit du sang), ou être né sur le territoire du Cameroun (droit du sol). Elle n’autorise pas, par ailleurs, la double nationalité dans la mesure où l’acquisition d’une nationalité étrangère, entraîne la déchéance de la nationalité camerounaise (art. 31).

La loi du 11 juin 1968 exclut donc de fait de la nationalité camerounaise, une majorité de Camerounais de la diaspora, et leurs enfants nés à l’extérieur du pays. Nombreux sont en effet les Camerounais de la diaspora qui ont acquis une nationalité étrangère. Cette loi est aussi discriminatoire dans la mesure où elle autorise aux hommes la transmission de leur nationalité camerounaise par le mariage, alors qu’elle l’interdit aux femmes camerounaises (art. 17). Toutes ces dispositions non orthodoxes ont été prises dans une conjoncture politique particulière au Cameroun.

Dans les années 1960, le Cameroun est en proie à une guerre civile larvée sur son territoire. Des militants et des responsables politiques de l’Union des Populations du Cameroun (UPC) contestent violemment la légitimité politique du régime d’Hamadou Ahidjo, le premier président de la République du Cameroun. Avec le soutien de certains pays étrangers, et d’une partie importante de la diaspora camerounaise, ils prennent les armes contre le pouvoir en place dans la perspective de le renverser. La loi du 11 juin 1968 intervient dans ce contexte politique. Ses dispositions ne sont certainement pas étrangères à cette conjoncture de crise. Il est admis que certaines d’entre elles visent, en leur privant de leur nationalité camerounaise, à exclure les membres radicaux de cette diaspora du jeu politique national.

3. Une situation qui perdure dans le temps pour les deux pays

Aujourd’hui, le temps a fait son œuvre. La diaspora camerounaise, comme celle de nombreux pays africains, a fortement augmenté et se compte en millions de membres. Certaines figures emblématiques de cette diaspora ont une notoriété internationale dans les domaines de la littérature avec Hemley Boum, Patrice Nganang ou encore Léonora Miano, du sport avec Samuel Eto’o, ou encore de la musique avec Richard Bona, etc. Mais la plupart des membres de cette diaspora qui rayonne à l’étranger est considérée comme l’ennemi de l’Etat camerounais. En effet, elle est vue comme une entité qui cherche à déstabiliser le pays à cause de ses nombreuses prises de positions contre les activités du gouvernement. Pour exemple après avoir insulté le chef de l’Etat sur les réseaux sociaux, Patrice Nganang camerounais de nationalité américaine a été incarcéré pendant 21 jours au Cameroun puis relâché et expulsé du pays. Il est aujourd’hui interdit de territoire. De ce fait, les autorités ne sont pas du tout dans une position où elles pourraient accorder le droit de vote à des personnes ayant acquis une nationalité autre que la nationalité camerounaise. 

Ce qui n’empêche pas la diaspora camerounaise de part le monde de continuer à manifester sa volonté d’acquisition de la double nationalité, d’autant qu’une partie non-négligeable de l’élite dirigeante du pays s’octroie de fait la double nationalité. La revendication d’une réforme de la loi du 11 juin 1968 s’amplifie donc au Cameroun. Le principe de cette réforme semble être acquis, y compris par le pouvoir en place. En effet, de passage en France en 2009, le président Paul Biya a admis la nécessité de réformer cette loi pour instaurer la double nationalité au Cameroun. Il s’en est suivi, à cet effet, la mise en place d’un Comité technique interministériel. Les travaux de ce comité se sont enlisés, notamment à cause des réticences qui portent sur la compensation des incidences financières de l’instauration de la double nationalité. En 2011, le droit de vote de la diaspora a été retenu et approuvé, mais la question de la double nationalité est restée lettre morte. Ce débat est beaucoup revenu en 2018 avec les élections présidentielles, car le candidat Maurice Kamto l’a remis sur le devant de la scène en promettant que s’il était élu il mettrait en place des dispositions pour qu’enfin la double nationalité s’applique. Mais les critiques ont fusé, et ce candidat a été accusé de brandir cette proposition pour s’attirer les faveurs de la diaspora. L’inertie du gouvernement est toujours d’actualité puisque pour les élections régionales du 6 décembre il a été interdit aux bi nationaux de se présenter. 

Il y a également la question des recettes des visas. Il se trouve que l’État du Cameroun perçoit aujourd’hui des revenus non négligeables, à travers la facturation des visas d’entrée aux membres de la diaspora titulaires d’une nationalité étrangère. L’instauration de la double nationalité lui priverait de ces recettes qui constituent une source de financement importante de ses services consulaires dans ses ambassades à l’étranger. Des réflexions sont donc en cours pour pallier ce manque à gagner.

On le voit, le Cameroun apparaît en définitive comme rétrograde sur ce sujet ou double nationalité et politique tout comme à la période d’Ahidjo restent étroitement liés, la question financière est également une question à ne pas minorer.

La quasi-totalité des pays africains ont à ce jour instauré la double nationalité sous la pression de leur diaspora et des instances politiques panafricaines. L’intérêt économique est l’un de leurs principaux arguments. Le phénomène des « repat » (retour au pays), très répandu dans des pays comme la Côte d’Ivoire, le Sénégal, le Ghana ou encore le Nigéria, s’appuie sur cet argument. Il s’agit du retour au pays d’une main-d’œuvre qualifiée, productive, et ouverte sur le monde. Le Cameroun ne devrait pas tarder à s’inscrire dans ce mouvement pour son propre intérêt.

Pour le cas du Congo, l’interdiction de la double nationalité semble bafouée pour plusieurs individus. La première dérogation provient d’un moratoire politique adopté en 2007. En effet, l’Assemblée nationale congolaise souffrait d’une crise sévère : plusieurs candidatures des parlementaires issues du parti d’opposition MLC (Mouvement de libération du Congo créé par Jean Pierre Bemba) ont été remises en cause par la CEI au motif que les candidats étaient détenteurs d’une double nationalité. En réponse à ces accusations, l’opposition a souhaité proposer une motion devant l’Assemblée pour la création d’une commission d’enquête afin de rechercher tous les binationaux membres de l’Assemblée afin de traiter tous les cas binationaux. L’Assemblée se retrouva en situation de blocage. Vital Kamehre, alors président de l’Assemblée Nationale, proposa alors la mise en place d’un délai pour les binationaux afin qu’ils aient la possibilité de se mettre en règle en renonçant à leur double nationalité. Toutefois, 13 ans plus tard le moratoire n’a pas été levé et est toujours en vigueur.

De plus, les doutes sur la détention d’une double nationalité par des acteurs de la vie politique congolaise persistent sur plusieurs personnalités et font régulièrement scandale sans pour autant que la tendance s’inverse. Une autre dérogation s’applique aux sportifs nationaux : souvent titulaires d’une nationalité occidentale, ils se voient attribuer la nationalité congolaise afin de pouvoir jouer pour l’équipe nationale.

La question de la double nationalité en République démocratique du Congo prend elle aussi de l’ampleur et devrait être adressée rapidement. En effet, avec l’investiture du président Félix Tshisekedi, le débat est relancé. Lui-même issu de la diaspora, il nourrit les espoirs de la diaspora congolaise installée dans le monde entier et estimée à plus de 16 millions d’individus de voir le Congo (enfin) autoriser la double nationalité. A l’inverse de son prédécesseur, il fait part de sa volonté d’aller dans cette direction.

Possibilité d’acquérir la double nationalité en Afrique

La République Démocratique du Congo, la Guinée Équatoriale, le Malawi, et le Cameroun font parties des derniers pays africains à priver leurs citoyens d’origine de la double nationalité très souvent pour des raisons politiques remontant à des décennies. Ces motivations sont aujourd’hui admises comme sans objet et inopportunes aussi bien par les populations, que par les pouvoirs publics de ces pays. La légalisation de la double nationalité dans ces pays est donc prévisible durant les années à venir. 


Article rédigé par Julia NTUMBA et Alexandrine BOUOPDA.


SOURCES

https://www.refworld.org/docid/3ae6b4d734.html

https://www.jeuneafrique.com/mag/284412/societe/double-nationalite-pays-africains-lautorise/

https://www.jeuneafrique.com/196840/politique/bient-t-la-double-nationalit/

https://afric.online/fr/23317-la-double-nationalite-en-afrique-lurgence-dune-reflexion-evolutive/

https://blogs.mediapart.fr/franklin-nyamsi/blog/060518/touche-pas-ma-nationalite-camerounaise-manifeste#:~:text=IL%20est%20constitu%C3%A9%20ce%20jour,outre%2C%20%C3%A0%20une%20nationalit%C3%A9%20%C3%A9trang%C3%A8re.$

https://afrique.lalibre.be/43331/opinion-rdc-plaidoyer-pour-la-reconnaissance-de-la-double-nationalite/

https://www.jeuneafrique.com/mag/561018/politique/rd-congo-double-nationalite-le-bal-des-hypocrites/

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