« Plus proche de Baltimore que de Mindouli « : l’américanisation des afro-descendants de France ?

Cette expression humoristique illustre l’identification abusive des afro-descendants en France, aussi bien d’origine africaine ou que caribéenne, aux afro-américains. Plusieurs explications peuvent apparaître : américanisation du monde, popularité de la black culture dans la pop culture, modèle assimilationniste français freinant l’émergence d’une afro-culture française. Les néologismes avec le préfixe afro, la réification de l’identité noire brouille les pistes. De l’individu moyen aux militants, les références afro-américaines constituent le socle, le point de bascule permettant à l’individu d’affirmer sa singularité noire en Occident, en l’occurrence en France. De Nas à Baldwin en passant par Angela Davies et Beyoncé . Cela se fait au détriment de l’Afrique, aussi bien dans l’imaginaire que la pensée politique, y compris dans les milieux militants. Et en dépit d’une réalité sociologique qui se base en partie sur les héritages africains remodelés en Occident. L’Afrique n’est alors qu’une caution victimaire, mémorielle, pour affirmer une fierté raciale ou pour culpabiliser l’Occident, dans un schéma binaire. Si le Noir existe en fonction du Blanc, l’Afrique elle n’existe ni en fonction de l’Occident ni d’une autre civilisation.

Le Soft Power américain
En premier lieu, il est nécessaire de rappeler que le soft power américain influence le reste du monde, occidental ou non. Ce n’est pas l’apanage des afro-descendants de France d’adopter les codes culturels du monde afro-américain. Il s’agit à vrai dire d’une constante dans l’Histoire mondiale de la longue durée. En histoire politique et histoire des idées, le monde atlantique représente la modernité occidentale, qui tient le monde sous sa coupe depuis le XVIII ème siècle. Le monde entier est influencé par le modèle américain, du moins sa culture de masse par ses contenus culturels et les moyens technologies de la diffuser.
Fruit de leur créativité et de la résonance de la 1ere puissance politique mondiale, la black culture des afro-américains séduit au-delà des frontières et affirme alors le caractère universel de représenter la quintessence de l’âme dite nègre. La racialisation désafricanise et recrée un nouveau moule, différent de la culture occidentale dite blanche. Elle n’en est pas moins la créature de la rencontre traumatique des cultures africaines avec l’impérialisme américain.
Mais la culture noire américaine ne manque pas d’innovations culturelles, de penseurs. Si le panafricanisme est caribéen (Blyden, Garvey, Delany, Firmin), les Etats-Unis participent en tant que réceptacle au bouillonnement intellectuel noir aux Amériques. La ségrégation a nourri la volonté d’établir un monde noir distinct des Américains Blancs. On peut mentionner le cas des Gullah.
L’affrontement Garvey/Dubois puis la lutte contre la ségrégation irrigue les mouvements politiques noirs américains, avec une résonance internationale autour du mouvement de Civil Right, des Blacks Muslims et du Black Power.
Ces mouvements et leurs leaders ont développé des pratiques militantes, des pensées politiques relayées dans la black culture, la pop culture. Par effet de ricochet, les afro-descendants en Europe s’en emparent et en sont imbibés. A côté de l’influence de la gauche (socialiste, communiste, trotskiste), cela constitue les deux jambes de la vision politique des afro-descendants. Dés lors, la différence entre les afro-caribéens et les afro-descendants originaires d’Afrique s’estompent. La base commune n’est pas l’Afrique comme territoire mais la race noire. Les différents mouvements noirs nés après la première guerre mondiale mêlent dans un attelage nouveau, identité de race et les différentes identités culturelles (africaines, malgaches, caribéennes). Ainsi naît en France le Comité de Défense de la Race Nègre par Lamine Senghor en février 1926 puis la Ligue de Défense de la Race Nègre par ce dernier et Tiémorou Kouyaté en mars 1927. L’impact historiographique de ce mouvement est majeur. La Ligue de Défense de la race nègre a eu des relations avec l’Association Amicale des Originaires de l’Afrique Equatoriale Française fondée par André Matsoua ma Ngoma. Les deux mouvements ont connu des destins inégaux : l’un a laissé un précédent historiographique majeur mais avec une empreinte politique moindre, l’autre a donné lieu au premier mouvement politique de masse congolais, 20 ans avant la loi cadre Deferre. Pourquoi ? Parce que le mouvement a fait la jonction entre une africanité sociologique vécue(le milieu kongo et congolais), la réalité sociologique africaine parisienne (africains urbains) et une ouverture à tous les afro-descendants ( collaboration avec l’avocat guadeloupéen Sylvère Alcandre). La synergie s’est faite sur les bases africaines, cette dernière n’a pas été minorée ou servi de tremplin, de décor pour l’identité noire.
Ainsi les organisations militantes diasporiques réalisent donc un amalgame entre les enjeux africains et afro-descendants. Ces forces pereclitent lorsqu’elles ne se basent pas sur les revendications africaines. Ces exemples historiques n’ont pourtant pas servi de leçon, ni changé les dynamiques en histoire des idées et histoire culturelles des africains de France, des afro-descendants de France, des Noirs de France.

Les effets pervers de l’américanisation : plus black qu’africain
Le mouvement de la négritude a tenté via une érudition de donner un contenu culturel à l’identité nègre/noire. Mais c’est bien l’américanisation qui va tout au long du XX ème siècle donner le là aux afro-descendants en France. Au delà du mérite d’icônes admirables (Martin Luther King, Malcolm X) et de mouvements majeurs (Black Panther Party, Nation of Islam), il y a une identification sociologique via le racisme subi en Occident, l’un en Europe, l’autre aux Etats-Unis. Mais cette grille de lecture n’est pas satisfaisante. Les affiliations à l’Afrique du Sud (hors noyaux durs militants) est très faible :Steve Biko, l’ANC, l’Inkhata ne connaissent ni ce succès ni cette affiliation. Car c’est bien un rejet identitaire de l’Afrique qui est opérée par les afro-descendants, d’origine africaine ou afro-caribéenne. Pour les Africains, il ne s’agit pas d’une distanciation logique car pluriséculaire, mais d’une prise de distance effectuée en une génération voire dans une seule vie. L’Afrique n’attire qu’en étant fantasmée, iconique, pas vécue. Elle n’est que la terre d’origine, l’alibi pour exhorter la fierté raciale. Sinon pour beaucoup, intrinsèquement, dans son histoire récente, dans ses cultures, dans son quotidien, elle n’offre pas de réconfort symbolique ni d’armes intellectuelles face au racisme, face à la culture occidentale, dominante et écrasante. Ainsi l’attache identitaire est niée dès que c’est possible, on affirme autant que possible ne pas être africain, ne pas faire partie du lot. De nos jours, c’est par bienpensance, pour ne pas parler et réfléchir à la place des concernés. C’est en tout cas l’alibi avancé, en même temps que le néologisme afro-descendant, à double tranchant. S’il exprime une réalité ascendante et sociologique, il exprime aussi un rapport politique et identitaire vis à vis des pays africains et des peupls africains. Ce n’est pas par décence ou manque d’affiliation que certains se détachent de l’Afrique et des Africains, mais par volonté de ne pas partager le destin des Africains. Ainsi l’afro-descendant, disons le, l’Africain en France se veut plus proche du destin des afro-américains du Mississippi que celui du du peul malien de Mopti, du lari de Kindamba, du Nande de Beni, quand même bien ils partagent avec ces derniers une région ancestrale, une langue et des lignages communs.
Comme si être en Occident revient à être sur les Terres Promises, donnant accès à une humanité pleine et entière tandis qu’être africain c’est par définition souffrir sur les terres africaines. Les conditions socio-économiques et le bien-être matériel, mental qui en découlent deviennent consubstantiels à l’africanité. L’africanité ne serait qu’un matérialisme, même pas historique, un matérialisme de l’instant présent, nietzschéen par sa dictature de l’instantané mais évanescent. Un capital culturel et matériel inadapté en dehors du Continent. Tel un virus, les cultures et les identités africaines ne survivent pas à l’air libre, elles décèdent sitôt passer le périmètre de sécurité correspondant à leur lieu de naissance.

Ce n’est plus une ascendance, le partage d’une histoire, d’une culture et la volonté de faire perpétuer une identité à travers un destin.
Les pays africains, les peuples deviennent alors des arrières-boutiques, des réalités socio-historiques réelles mais en fond de décor. La littérature dite noire est d’abord recherchée avant la littérature africaine propre à son pays voire à son propre groupe ethnique. L’identité africaine n’est plus une base, elle n’est qu’un vernis, francophone pour les Noirs Africains de France.
Ce désintérêt est illustratif d’une déliquescence identitaire, d’une déstructuration profonde. Et la restructuration s’effectue via l’anti-racisme, la réaction au rejet. Certains découvrent leur condition sociologique noire à l’université et se réveillent brutalement, ébétés. Mais l’Afrique passera encore au travers de ce réveil brutal, et cette dernière tiendra toujours une place marginale. Trop problématique, trop lointaine, trop difficile. Les enfants de Marianne ne valorisent leur africanité que lors des poussées identitaires sur les chaînes d’information en continu. Quand bien même celle-ci existent dans leur quotidien, au sein de leur foyer familial.
Les élites intellectuelles et militantes ne sont pas épargnés. Les références intellectuelles, les grilles de lectures, les combats ne s’opèrent pas dans des rapports verticaux (Afrique-Europe), mais horizontaux au sein de l’Occident (France-USA).
La question n’est pas de reconnaître une identité plurielle. Se reconnaître en tant que diaspora, c’est attester d’une identité plurielle. Le panafricanisme de par ses racines hors Afrique, a permis de créer un canal de rassemblement où chacun peut exprimer son identité propre, tout en mettant l’Afrique au coeur, non pas dans un sens hiérarchique mais comme matrice originelle et commune à tous. Et cela n’implique pas forcément un retour en Afrique, que cela soit pour les afro-caribéens ou pour les Africains nés en France. Mais même pour vivre sereinement en Occident, les diasporas africaines ont tout intérêt à vivre en fonction de leur identité, africaine et française, en mettant au coeur leurs identités africaines pour affirmer leurs intérêts communautaires. Cela n’empêchera pas la solidarité avec les combats de tous les afro-descendants dans le monde, Etats-Unis compris. Par contre, la désertion vis à vis de l’Afrique sera de facto impossible car on ne peut pas déserter soi même. Il faut le rappeler, vivre sa culture, penser les enjeux de son pays, ce n’est pas un signe d’élitisme ou de wokeness. Tout ceci n’est que la base d’un individu qui sait qui elle est, d’une communauté qui sait ce qu’elle est et qui n’en est pas torturée.

Bruce MATESO

5 commentaires sur « « Plus proche de Baltimore que de Mindouli « : l’américanisation des afro-descendants de France ? »

  1. Article très intéressant qui explique bien les dynamiques historiques et culturelles de la création de l’identité « Afrodescendante » et qui est le résultat d’une crise identitaire profonde vis-à-vis d’un rejet progressif non dit de son Africanité mais en expliquant à juste titre que c’est bien plus complexe car comment vivre pleinement son Africanité en cohésion avec les valeurs et la culture de son pays de résidence face à la domination de la culture occidentale (américaine) ? + La lecture de grille de « racialisation » que nous avons importé des Etats-Unis au vu des inégalités sociales similaires que nous vivons tous ici en Occident à divers degrés…Merci de plus, d’avoir donner une réponse simple et réaliste en fin d’article sur la manière de combiner tout cela sans renier ce que nous sommes, des Africains en France 😊🌍.

    P.S : Le Congo 🇨🇩 dont je suis originaire, il n’est pas question de classifier les individus selon une « race » définie mais se définir en tant que Muntu (la tête/homme) = humain. Il serait plus que primordial que nous revenons à ces visions du monde dont nous sommes héritiers.

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  2. (j’essaie de publier à nouveau car mon commentaire ne semblait pas passer)
    Article très intéressant qui explique bien les dynamiques historiques et culturelles de la création de l’identité « Afrodescendante » et qui est le résultat d’une crise identitaire profonde vis-à-vis d’un rejet progressif non dit de son Africanité mais en expliquant à juste titre que c’est bien plus complexe car comment vivre pleinement son Africanité en cohésion avec les valeurs et la culture de son pays de résidence face à la domination de la culture occidentale (américaine) ? + La lecture de grille de « racialisation » que nous avons importé des Etats-Unis au vu des inégalités sociales similaires que nous vivons tous ici en Occident à divers degrés…Merci de plus, d’avoir donner une réponse simple et réaliste en fin d’article sur la manière de combiner tout cela sans renier ce que nous sommes, des Africains en France 😊🌍.
    P.S : Le Congo 🇨🇩 dont je suis originaire, il n’est pas question de classifier les individus selon une « race » définie mais se définir en tant que Muntu (la tête/homme) = humain. Il serait plus que primordial que nous revenons à ces visions du monde dont nous sommes héritiers.

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