La démolition des statues de Schoelcher en Martinique : un pas vers la décolonisation.

« En abolissant l’esclavage il y a 172 ans, Victor Schœlcher a fait la grandeur de la France. Je condamne avec fermeté les actes qui, perpétrés hier en Martinique, salissent sa mémoire et celle de la République » posta le président français Emmanuel Macron sur son compte Twitter le 23 mai. Les actes évoqués, ici sont la destruction dans deux communes martiniquaises de deux statues de Victor Schoelcher, homme politique français présenté comme l’une des figures majeures du mouvement abolitionniste français des années 1840. L’action s’était déroulée la veille, lors de la commémoration de l’abolition de l’esclavage en Martinique. Quant à l’expression “grandeur de la Francecelle-ci résonne, pour beaucoup, comme une imposture qui tend à réhabiliter l’état de sa structure coloniale passé. Qui peine, aujourd’hui encore, à s’assumer.  Pour de nombreux antillais, cette bipolarité trouble le processus de construction identitaire. Qui, accentuée par la pérennisation de stigmate coloniaux, reste toujours à définir. En effet, comment pardonner une société qui refuse de présenter ces excuses ?  

Il en a “ fallu du temps pour que cette mémoire soit enfin reconnue par la République« , avait constaté l’ancien président français François Hollande lors de sa dernière cérémonie de commémoration de l’esclavage en 2017. Mais peut-on réellement considérer cela comme acquis ? Difficilement, si on soulève le problème de mystification des personnalités blanches dans les représentations et mémoires collectives. En confisquant la voix des afro-descendants, il reconstruit ce passé historique. Pire, il s’assimile à un acte de pénitence pour l’état colonisateur qui oblitère les seules figures de résistances ; les insurgés noirs. C’est du moins ce que dénonce, une des membres emblématiques du mouvement responsable Jay Assani« Nous en avons assez, nous jeunes Martiniquais d’être entourés de symboles qui nous insultent« . Faisant écho aux nombreuses rues, établissements scolaires ou encore station de bus dédicacées aux abolitionnistes et politiques blancs. Dans une vidéo disponible sur ces réseaux sociaux, elle interpelle les élus locaux à renommer ces balisages de l’espace martiniquais à l’effigie d’une revendication plus relative localement.

De nombreux intellectuels, personnalités et association avait déjà condamnés cette spoliation culturelle. Rappelons qu’en 1991, le buste de Joséphine de Beauharnais s’étaient fait décapiter par des activistes. L’épouse de Napoléon de Bonaparte, investigateur du rétablissement de l’esclavage en 1802, sera immatriculée de la formule “Honneur dignité et reconnaissance pour nos ancêtres Africains”. La déification de Victor Schoelcher dans la société antillaise est un symbole tant significatif de cette doctrine expansionniste, qu’il donna naissance au “Schœlchérisme”. Définit par l’auteur martiniquais P. Chamoiseau comme une notion « d’idéologie assimilationniste qui occulte et renie la résistance incessante des esclaves”. Elle idéalise “une France abolitionniste généreuse”.  La vision abolitionniste Shoelcherienne est abondante de concessions au profit des colons. Or, au sujet du système esclavagiste, aucune ne sera jamais acceptable. Tout comme la majorité des abolitionnistes blancs, il véhicule une vision raciste et intériorisée des esclaves noirs. Les réactions suscitées par cette action du 22 mai, située aux antipodes l‘une de l’autre, sont révélatrices d’un malaise social. Qui, en conséquence d’un mutisme sociétal imposé, lutte pour faire émerger un dialogue public et inclusif autour de l’esclavage. La demande de réparation et reconnaissance du peuple antillais se confronte au refus gouvernemental d’assumer son passé colonial.

Ce qui, aujourd’hui encore, donne un aspect amer à la date officielle commémorant l’esclavage en Martinique. Nier ce contexte historique et condamner ces événements comme un acte de vandalisme isolé nourri un paternalisme français. Assumé et martelé par la gouvernance politique, il allègue le combat moral des abolitionnistes blancs au-delà des réalités historiques et révoltes noires. La mise en scène des statues détruites se faisait vecteur de cette propagande. Au côté d’un enfant, en plein mouvement et avançant droit devant, la posture de Schoelcher incarnait un prophète bienfaisant populaire. Symptôme d’un mépris structurel envers les antillais du passé comme du présent, sa vocation mémorielle véhicule une légitimation de la supériorité euro-centré. Dont l’idéologie raciste reste, encore aujourd’hui, à déconstruire.

Alors non, les éclaboussures n’ont pas sali la mémoire de la République, mais bien celle des limites de son modèle d’assimilation et d’intégration. Alimenté par l’inégalité sociale, la discrimination, l’exclusion et le manque de considération dont sont victime les DOM-TOM. Perceptible par l’inégal accès aux soins, à l’éducation ou encore à un travail par apport à la France hexagonal. Le silence et l’improductivité de l’état faces aux crises sanitaires récentes (chlordécone, incendie de l’hôpital en Guadeloupe en 2017, difficultés d’accès à l’eau potable…) est symptomatique de son inadaptation et maintien du système de domination. Ce décalage insiste sur la nécessité d’élaborer un dialogue entre ces deux pôles. Car ces crises sont symptomatiques d’un système arbitraire, construit pour asservir la population locale et avantager les colons. Procédé encore d’actualité aujourd’hui, leurs descendants ont hérité des exploitations agricoles. Ces dernières étant majoritairement responsable de la pollution au chlordécone.

Cette politique post-coloniale, fondé exclusivement par les abolitionnistes blancs, a toujours été remis en cause par la population. Le renversement et la démystification des personnages érigés aux rangs de figures héroïques par l’état Français en est l’écho. Qu’elle soit physique, comme orchestrée ce 22 mai dernier, ou symbolique elle répond au besoin du devoir de mémoire et de lutte contre son instrumentalisation. Car si l’implantation multiple de statues aux figures abolitionnistes est un acte politique. Leurs déboulonnements le sont aussi. Matérialisant la chute du régime colonial et la rébellion du peuple martiniquais, il marque un élément de rupture sans précédent. Manifestation d’une envie de renouveau, il apporte une réponse nette à la lutte contre l’invisibilisation des figures de résistances noires.

 

La république doit se confronter à ces démons du passé pour être en phase avec ces valeurs actuelles. L’hypocrisie dont camoufle ce malaise fracture davantage le discours social. Le multiculturalisme hérité de l’esclavage ne peut être perçu comme un patrimoine culturel à part entière. Il appelle à une déconstruction et une valorisation de l’africanité dans cette société. Sans cela, la fragmentation est inévitable. Il questionne également la perpétration de ces rapports. Qui, initié par le dédommagement des colons, dont Schoelcher est l’investigateur, orchestre le maintien du monopole économique de leurs descendants.

Appelés localement “békés” et aidés par des subventions gouvernementales, ils contrôlent l’industrie agro-alimentaire Antillais ; Dont les prix côtoient une augmentation de plus de 35% par rapport à la France hexagonale. Cela, alors que le PIB est très inférieur à la moyenne nationale. Conséquence de la colonisation, cette hiérarchisation raciale, n’a jamais disparue de la société antillaise. Pour autant, le peuple antillais a toujours lutté contre l’oppression et pour l’élaboration d’une politique alternative. Et bien que le combat ne soit pas entièrement terminé il est légitime de lui laisser discerner seul, ses figures à célébrer.

 

CESAIRE Kassandra

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