Du panarabisme nassérien à l’échec d’une union arabe.
Face à tous ces problèmes, la nation arabe affiche sa léthargie, sa division et sa faiblesse. […] Si elle ne parvient pas à réaliser son unité, elle sera perdue à jamais. […] »
Muammar Kadhafi, le 15 mars 1997, devant des milliers de Libyens réunis à Sebha, dans la région du Fezzan.
La République arabe libyenne, révolutionnaire et socialiste, instaurée le 1er septembre 1969 par le Conseil de Commandement de la Révolution, avait pour objectif de promouvoir « l’union des pays du Tiers-Monde » afin de « vaincre le sous-développement économique et social ». Révolutionnaire et anti-impérialiste, son discours se veut universel et appuie les rébellions armées en Afrique septentrionale et subsaharienne.
La politique africaine de Kadhafi est inhérente à la géopolitique arabe ainsi qu’aux relations entretenues avec les chancelleries occidentales. Ayant pour modèle le père du Panarabisme, l’Égyptien Nasser, le Guide libyen se voyait tel son successeur, mais à une plus grande échelle. Incluant les pays sahéliens, Kadhafi rêvait de diriger cet amas d’Etats arabes ou islamisés afin d’ouvrir une « troisième voie » susceptible de sortir l’humanité de l’alternative entre capitalisme et socialisme; l’essentiel de sa pensée figurant dans le célèbre Livre vert.
De sorte à pouvoir concrétiser ses desseins idéologiques, Kadhafi tenta vainement d’unir politiquement les Etats de la Ligue arabe.Cependant, les tentatives d’unification avec le Soudan et l’Égypte ( 1969), l’Égypte et la Syrie ( 1971), la Tunisie ( 1974), à nouveau la Syrie ( 1980), le Maroc ( 1984), et une fois encore le Soudan ( 1990) ont toutes été vaines. Comment expliquer ces échecs successifs avec les pays septentrionaux et du Proche-Orient ? Avant même de reprendre les rennes des idéaux panafricains, Kadhafi souhaitait créer une sorte d’Etats-Unis arabe. De ce fait, ses critiques récurrentes où il pouvait fustiger les frontières, qui reflètent à la fois le passé colonial et un obstacle à ses propres objectifs personnels, le leader libyen savait également convaincre par ses diatribes unitaires et révolutionnaires.
En dépit de son succès grandissant auprès des populations arabes et africaines, sa diplomatie hégémonique et exaltée suscite des réactions plus radicales qui aboutissent à la fin des années 1990 à son isolement sur la scène internationale. Cette mise à l’écart est concomitant avec son soutien au terrorisme islamiste ainsi qu’au délitement graduel de l’unité arabe survenue au cours des années 1970 (Guerre des six-jours, Choc Pétrolier, Révolution iranienne…).
Mis sous embargo au cours des années 1990 par la communauté internationale, Kadhafi obtint un maigre soutien de la part des Etats arabes, a contrario de la défunte OUA qui en 1998, décida d’une levée partielle des embargos. Dès lors, cet acte fut vraisemblablement décisif pour le changement d’horizon à venir pour le Guide libyen qui déclara : «Je me suis endormi aux côtés de quatre millions de Libyens ; je me suis réveillé aux côtés de sept cents millions d’Africains »
Un regard à la fois stratégique et idéologique vers l’Afrique subsaharienne.
« Bismarck a unifié l’Allemagne. Lincoln a fait de même en Amérique, Mao en Chine, Garibaldi en Italie et Gandhi en Inde. Notre mission consiste, aujourd’hui, à réaliser l’unité africaine. Mais, contrairement à Napoléon et à Hitler, qui ont tenté d’unifier l’Europe par la force, nous réaliserons l’unité de notre continent par la paix et le dialogue. »
Muammar Kadhafi, le 8 septembre 1999, au complexe Ouagadougou Hall, à Syrte, le IVe sommet extraordinaire de l’Organisation de l’unité africaine (OUA).
Essayant de mettre en parallèle panarabisme et panafricanisme n’a été qu’un échec à mesurer, en effet, Kadhafi a été le grand artisan de l’Union Africaine dont les fondements se trouvent dans la ville de Syrte, en Libye. Si les Etats arabes n’ont pas voulu adhérer à son paradigme, l’ancien dirigeant libyen a extirpé le panarabisme de son centre civilisationnel afin de le rattaché à l’OUA puis à l’UA, institutions basées sur le Panafricanisme
Puisant dans la rente issue des champs pétrolifères nationaux, Kadhafi disposait de moyens colossaux afin d’être un partenaire indispensable quant au développement de l’Afrique et à son émancipation structurelle. Madrassas, mosquées, crédits, dons, bourses étudiantes, accords commerciaux, financements structurels, soutiens aux mouvements d’indépendance (Afrique du Sud ou Namibie), coopérations militaires, commissions mixtes… La présence libyenne en Afrique subsaharienne était non-négligeable, surtout à partir des années 2000.
Suite à la levée des sanctions onusiennes en 2003, la Libye de Kadhafi était au fait de son rayonnement sur la scène internationale, bien que les relations avec les cadors de la Ligue Arabe soient mitigées -Notamment l’Arabie Saoudite-, le réchauffement diplomatique avec les chancelleries occidentales et le leadership exercé en Afrique subsaharienne permettent à Tripoli de se concentrer sur cette région stratégique. Il est de source sûre que Kadhafi aspirait à rendre les pays africains indépendants de leurs anciennes métropoles, en particulier ceux de la zone francophone qui entretiennent des liens très pervertis avec Paris.
Bien que les Etats africains soient restés amorphes durant l’intervention franco-américaine en 2011, certaines sociétés civiles africaines étaient prêtes à combattre pour le « rois des rois » africains, nonobstant des recommandations adressées aux dirigeants africains qui préfèrent attendre la chute du gouvernement de Tripoli pour tenter une médiation via l’UA. Entre temps, les Etats de la Ligue Arabe avaient favorablement apprécié la guerre menée par les anciens présidents Sarkozy et Obama en terres libyenne, Kadhafi dérangeait de part son attitude et ses ambitions, seule l’Afrique y perdait au change se disaient-ils.
Kadhafi, un allié de la première heure en Afrique ?
En revanche, il convient de s’interroger sur les intentions réelles de Muammar Kadhafi, à savoir qu’un grand nombre d’africains regrettent sa disparition compte tenu de sa politique africaine relativement bénéfique pour l’Afrique subsaharienne.
Kadhafi désirait-il affranchir l’Afrique de la tutelle occidentale ? Très certainement, d’une approche superficielle, nous avons tendance à penser qu’un acteur anti-Occident -et tout ce qui se rapport à l’occident à savoir les Institutions de Bretton-Woods ou les philanthropes- sont de facto, des alliés répondant aux intérêts de l’Afrique, comme la Chine aujourd’hui, ou l’Inde d’autres puissances demain. Effectivement, Kadhafi entretenait des relations contrastées avec les puissances occidentales jusqu’à ce que celles-ci l’évince manu-miliitari du pouvoir en 2011. Toutefois, l’hégémonie souhaitée sur l’Afrique par l’ancien dirigeant libyen n’était pas sans risques de dépendances et de perte de souveraineté pour le continent. En effet, il désirait la création de ses États Unis d’Afrique -idée développée par Kwame Nkrumah- avec une armée, une compagnie aérienne et une monnaie africaine, nantie d’une absence de frontières et de tarifs douaniers. Une Afrique aux africains, pour les africains et avec les africains telle que l’avait théorisée les premiers chantres du panafricanisme, sauf que l’utopie était aux mains du « Négus » libyen.
Toutefois, Kadhafi ne faisait pas l’unanimité en Afrique subsaharienne, aujourd’hui très regretté par les communautés virtuelles sur le continent ou la diaspora, les projets libyens croisaient inévitablement ceux d’autres puissances africaines ou personnalités non-féodées aux pétrodollars de l’ancien Guide. Le Nigeria ou l’Afrique du Sud par exemple, n’intégraient pas forcément les réformes institutionnelles au sein de l’UA. En outre, son intronisation au rang de « roi des rois traditionnels de l’Afrique » n’a pas été accepté par tous, bien que la propagande libyenne autour laisse penser le contraire.
Malgré sa popularité qui devrait être scrutée plus en détail, Kadhafi profitait d’un manque de leadership africain pour imposer son paradigme aux autres pays. C’est l’une des raisons pour laquelle il suscitait l’admiration auprès de beaucoup d’africains, en raison du vide politique et institutionnel sur le continent, qui n’a pas les capacités ou le souhait d’être dirigé par une figure forte, aux relents impérialistes cependant.
Car le Tchad n’oubliera pas le conflit qu’il l’a opposé à la Libye, le soutien important prodigué à l’Ouganda face à la Tanzanie n’a pas été effacé non plus. Tout comme l’assistance apportée aux milices du Darfour face à l’Etat soudanais. Durant la Guerre civile ivoirienne et la chute de Laurent Gbagbo, l’aide envers Alassane Ouatarra n’a pas été négligeable non plus. Quid des chefs d’Etats « amis » qui finissent par trahir la confiance du Guide libyen ? Très proche de l’ancien dirigeant Burkinabè, Blaise Compaoré, notamment du temps de l’embargo sur la Libye, les relations s’étaient toutefois ternies en raison du rapprochement entre Blaise Compoaré et Israël.
Kadhafi était-il capable d’atteindre ses objectifs ? Probablement oui, si l’on s’en tient aux mails tirés des Wikileaks, Kadhafi avait les moyens et les fonds nécessaires afin de concrétiser son projet panafricain. A priori, l’une des raisons qui ont poussées l’intervention franco-américaines en 2011 était d’empêcher une potentielle émancipation financière, spatiale et bancaire de l’Afrique.
L’occident, la Chine ou Kadhafi, est-ce tomber de Charybde en Scylla ? A fortiori, il est difficile d’imaginer un État africain exercer une politique impérialiste envers son homologue géographique. Bien que l’actualité et l’Histoire nous prouvent le contraire en Afrique des Grands Lacs ou en Afrique Australe du temps de l’Apartheid, il est plus que probable que les africains jugeaient la domination libyenne moins contraignante et plus bénéfique. Attendu que les Etats-Unis d’Afrique devaient se doter d’un président à plein temps en la personne de Kadhafi, attendu que la monnaie panafricaine était basée sur le dinar libyen, attendu que l’islam diffusé par le Guide était la religion de référence afin de resserrer les liens dans une Afrique hétérogène et multiculturelle, attendu que par le passé, Kadhafi est impliqué dans la déstabilisation de plusieurs pays africains en finançant des rébellions ou des figures très controversés ou encore, en participant à l’assassinat de panafricains burkinabé en 1987.
« Les Etats n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts ».