Crise du Covid-19 : état des lieux sur le continent africain

Alors que le premier cas de Covid-19 en Afrique est apparu au mois de février en Égypte, la barre des 700 décès sur les 13 145 cas recensés a été franchie samedi dernier. Sur les 54 pays que compte le continent, 52 ont été touchés par la pandémie. Si les pays les plus touchés sont en Afrique du Nord, l’Afrique subsaharienne n’est pas en reste. L’Afrique du Sud a dépassé les 2000 cas confirmés pour 34 morts, le Cameroun quant à lui compte 658 cas et 9 décès selon le dernier bilan officiel. Le Sénégal et la République démocratique du Congo quant à eux comptent respectivement 314 et 254 cas confirmés, pour 2 et 21 décès.

Un nombre de cas et un nombre de décès considérés comme faibles, comment les expliquer?

Alors que les États-Unis et l’Europe occidentale sont durement frappés par l’épidémie, l’Afrique semble jusqu’alors plus ou moins épargnée. Or, les spécialistes s’inquiétaient d’une rapide propagation sur le continent africain peu après l’apparition du virus. Serait-ce le climat? Le facteur démographique? Ou encore les systèmes de détection du virus défaillants?
Selon des chercheurs de l’université Sun Yat-sen de la province du Guangdong en Chine, la température optimale de transmission du coronavirus s’élèverait à 8,72 degrés° C. Or, les températures moyennes des pays africains sont rarement inférieures à 15°C. Cela n’implique pas une impossibilité de transmission du virus sur le continent africain, autrement, le nombre de décès que déplorent ses pays serait moins élevé, néanmoins, cela signifierait peut-être qu’il pourrait être moins délicat de le contenir. En plus du climat dont bénéficie l’Afrique, il faut y ajouter un facteur démographique non-négligeable : son âge médian de 18 ans. Le taux de létalité du coronavirus repose en grande partie sur l’âge médian de la population touchée par celui-ci. Ce n’est pas une coïncidence si le taux de mortalité en Italie – avec son âge médian de 45,8 ans – est de 9%, contre 5% en Afrique.
Pour de nombreux experts, ce bilan semble peu élevé, et pourrait révéler des données épidémiologiques lacunaires, rendant la lutte contre l’ennemi invisible encore plus difficile qu’elle ne l’est déjà. Cependant, « s’il y avait des cas massifs en Afrique, [on] le saurait, car l’OMS est en alerte et beaucoup de gens sont très attentifs. », a déclaré Amadou Alpha Sall, patron de l’Institut Pasteur de Dakar.

Des mesures prises pour ralentir la propagation du virus.

Afin de lutter contre la pandémie, des mesures de confinement partiel ou total ont été prises à travers le continent. Des capitales économiques ou politiques telles que Lagos, Abidjan, Brazzaville et Kinshasa sont concernées. Les autorités sud-africaines et ougandaises quant à elles, ont mis en place un confinement appliqué à toute la population depuis deux semaines. Ces mesures sont quasiment impossibles à envisager pour de nombreux chefs d’État, conscients des réalités socio-économiques de leurs territoires : Premièrement, les grandes villes regorgent de quartiers surpeuplés aux logements insalubres. Deuxièmement, il y a une prépondérance du secteur informel dans les économies africaines.

L’informel représenterait près de 55% du produit intérieur brut (PIB) cumulé de l’Afrique subsaharienne, et 80% des emplois selon la Banque africaine de développement. Bien qu’un peu datée, une étude sur le terrain de l’Agence française de développement a révélé que 90% des personnes travaillaient dans le secteur informel au Cameroun et au Sénégal, contre 80% en Afrique du Sud et 50% en Éthiopie. Les travailleurs exercent notamment les métiers de commerçants, couturiers, mécaniciens, ferrailleurs, artisans, taxis, chauffeurs, maçons, plombiers etc.

Ainsi, de nombreux Africains dépendent de leurs revenus journaliers pour se loger et se nourrir ; à la crise sanitaire pourrait donc s’ajouter la crise alimentaire. Les mesures de confinement sont souvent accompagnées d’un couvre-feu. Parfois, le couvre-feu est la seule mesure pour restreindre les mouvements de population ; ce dernier est privilégié par la plupart des pays du continent. Mais, un problème survient avec cette mesure qui, au premier abord, semble plus adaptée aux populations africaines : de Nairobi à Dakar, la police a recours à la violence pour la faire respecter. Ne serait-il pas absurde que les citoyens finissent par remplir les lits d’hôpitaux à cause de bavures policières, alors même que la mise en place du couvre-feu visait à éviter que les établissements de santé ne soient pris d’assaut et débordés? Le 27 mars, à Nairobi et Mombasa, coups de fouet, passages à tabac, et menaces via des armes à feu ont été utilisées par les forces de l’ordre avant-même le début du couvre-feu. Des scènes similaires ont eu lieu en Afrique du Sud. Des policiers d’Abidjan, de Dakar et de Ouagadougou sont aussi coupables d’avoir commis des actes de violence.

Les autorités de plusieurs pays tels que Madagascar, le Bénin, la Côte d’Ivoire et la République démocratique du Congo quant à elles, ont décidé de rendre le port du masque de protection obligatoire pour leurs populations à l’échelle locale ou nationale. Néanmoins, l’accès aux masques est difficile, faisant déjà l’objet d’une pénurie à Cotonou et à Abidjan. Ajoutons à cela que l’achat et la production de millions de masques est plus aisé pour certains pays comme la Côte d’Ivoire, et le Ghana, et plus difficile pour des États quasi-faillis, comme la République démocratique du Congo. Ainsi, il paraît sensé d’imposer le port du masque pour des raisons sanitaires, mais insensé pour des raisons plus qu’évidentes : les réalités socio-économiques de certaines zones concernées par cette mesure comme le Sud-Kivu, où le Dr. Mukwege a enjoint la population à fabriquer son propre masque et où le gouverneur Théo Ngwabidje Kasi a prévenu que les récalcitrants «seront traqués et punis», rendraient presque l’imposition du port du masque absurde.

Des systèmes de santé inefficaces : une responsabilité partagée entre les élites locales et des institutions financières internationales du FMI du Groupe de la Banque mondiale.

Hérités des systèmes coloniaux et souvent mal gérés par les élites locales, les systèmes de santé en Afrique accusent d’un niveau de sous-développement général. En imposant des coupes budgétaires brutales via leurs plans d’ajustement structurels, le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale ont joué un rôle dans la détérioration des systèmes de santé publique. Sous-investissements dans les infrastructures, les équipements et les ressources humaines, privatisations, et augmentation des prix des médicaments, sont les mesures qui ont été prises par les pays débiteurs afin de solder leur dette à leurs créanciers.

Ainsi, on observe que de nombreux pays africains consacrent une plus grande part de leur PIB au remboursement de leur dette qu’aux dépenses pour la santé. À titre d’exemple, la Gambie consacre 24% de son PIB au remboursement de sa dette, les dépenses de santé n’en représentent que 0,8%. En République démocratique du Congo, les chiffres atteignent respectivement 9% et 2%. Il n’est pas donc étonnant que l’Afrique accuse d’un manque, voire d’une quasi-inexistance d’équipements, qu’il s’agisse des appareils respiratoires, des lits de réanimation, des tests de dépistage ou encore des masques. En République centrafricaine, on ne compte que 3 respirateurs pour population de 4,7 millions d’habitants, au Niger, ce n’est guère mieux puisque l’on en compte 5 pour une population de 22,5 millions d’habitants. Quant aux lits de réanimation, les chiffres sont plus élevés, mais révèlent tout de même le cruel sous-équipement à l’échelle continentale. On en compte 40 au Mali pour une population de 19 millions d’habitants, et 15 en Somalie pour une population de 15 millions d’habitants. En plus du manque d’équipements, il faut ajouter que pour lutter contre la pandémie en amont, il est difficile d’effectuer le simple geste barrière qui consiste à se laver des mains pour les 63% d’habitants des zones urbaines (258 millions d’habitants) qui n’ont pas accès à l’eau potable et au savon en Afrique, selon l’Unicef.

L’Europe, la Chine, le Groupe de la Banque mondiale, le FMI, et autres grands bailleurs prêtent main forte à l’Afrique pour lutter contre une crise sanitaire et une future crise économique sans précédent

Les experts africains estiment que 10 milliards de dollars seront nécessaires pour faire face aux dépenses de santé afin de lutter contre la pandémie. La France a décidé d’aider ses partenaires bilatéraux «en réorientant une partie substantielle de [son] aide au développement sur les enjeux de santé et les enjeux alimentaires pour près de 1,2 milliard d’euros», a annoncé le ministre des Affaires étrangères français Jean-Yves Le Drian. Cette aide se divise en 1 milliard d’euros sous forme de prêt, et 150 millions d’euros sous forme de dons.
L’Union européenne a quant elle débloqué 15 milliards d’euros pour aider les pays les plus vulnérables en Afrique et dans le reste du monde, néanmoins, 90% de cette aide reviendra à des pays africains. Par ailleurs, la crise sanitaire du Covid-19 entraîne l’Afrique subsaharienne dans sa pire récession depuis 25 ans. La croissance initialement prévue à 3,2% pour 2020, devrait tomber à 1,8% selon Vera Songwe, secrétaire exécutive de la Commission économique des Nations-yunies pour l’Afrique (CEA).

Les pays exportateurs de pétrole tels que le Nigéria, l’Angola ou encore la République du Congo, seront les plus sévèrement touchés du fait de la baisse des cours et de la guerre commerciale arabo-russe sur les prix du baril, qui est passé à moins de $20 ces derniers jours. De plus, la croissance devrait fortement ralentir dans les pays les plus dynamiques du continent, à savoir les pays de l’Union économique et monétaire de l’Afrique de l’Ouest (UMOEA) et de la Communauté est-Africaine (EAC). Enfin, le secteur du tourisme sera fortement touché du fait des restrictions sur le traffic aérien. Deux millions de personnes pourraient perdre leur emploi, et cinquante milliards de dollars pourraient être perdus par le secteur à l’échelle continentale. Ajoutons à cela qu’une crise alimentaire est probable : la contraction de la production agricole est estimée entre 2,6% et 7%, et les importations de denrées alimentaires vont elles aussi fortement reculer (de 13 à 25 %), étant plombées par des coûts de transaction plus élevés et une demande intérieure en baisse.
Ayant anticipé cette récession à l’échelle continentale et ses conséquences, Abiy Ahmed, le Premier ministre éthiopien a demandé un plan d’aide financière de 150 milliards de dollars aux pays du G20. Ce plan comprend également un allègement de la dette des pays les plus vulnérables et une annulation des intérêts sur les prêts des gouvernements. Cette demande du détenteur du prix Nobel de paix 2019 n’est pas tombée dans l’oreille d’un sourd puisque la Banque mondiale a décidé « d’apporter jusqu’à 160 milliards de dollars de financements au cours des 15 prochains mois, afin d’aider les pays à protéger les populations pauvres et vulnérables, soutenir les entreprises et favoriser le redressement de l’économie. ».

Cette aide permettra à plusieurs pays d’avoir accès à des équipements médicaux vitaux, de créer des centres de traitement, de former leur personnel de santé ou encore d’acquérir des tests pour dépister leur population à grande échelle. Kristalina Georgieva, la numéro du FMI, a déclaré que l’institution pourrait prêter jusqu’à cinquante milliards de dollars aux pays africains, dont dix milliards qui pourraient être prêtés à taux zéro. De plus, le FMI va payer le service de la dette de 19 pays africains pendant 6 mois. Cela revient à annuler une partie de la dette de ces pays envers l’institution de Bretton Woods.
À la suite d’une discussion avec des représentants de l’Union africaine qui ont plaidé pour un moratoire (la suspension du paiement des intérêts de leurs dettes), le président français Emmanuel Macron a porté leur proposition auprès du club de Paris et du G20 Finances qui a acté en faveur de celle-ci. Le président sénégalais Macky Sall qui a été le premier homme d’État à demander une annulation des dettes des pays africains afin que ces derniers puissent concentrer leurs ressources dans la lutte contre le coronavirus n’a donc pas vraiment obtenu gain de cause. Cependant, Bruno Lemaire, le ministre français de l’Économie a déclaré que des annulations « au cas par cas et dans un cadre multilatéral » pourraient avoir lieu. Reste à savoir si la Chine qui est le premier créancier des pays africains si l’on prend en compte leur dette privée envisage des mesures de la même nature.
En somme, il faudra attendre les prochains mois, voire les prochaine années, pour mesurer l’ampleur des dégâts causées par cette crise sanitaire du Covid-19 qui se mutera probablement en récession sur le continent africain. Une chose est sûre : l’Afrique devra repenser son économie dépendante des grandes puissances ainsi que ses systèmes de santé fragiles.

Références numériques :
Le Journal de Montréal – Covid-19 en Afrique, questions sur une catastrophe redoutée (11/04/2020) : https://www.journaldemontreal.com/2020/04/11/covid-19-en-afrique-questions- sur-une-catastrophe-redoutee
Oumy Diallo, TV5 Monde – Coronavirus en Afrique : quels sont les pays impactés? (11/04/2020) https://information.tv5monde.com/afrique/coronavirus-en-afrique-quels-sont-les-pays-
impactes-350968
Étienne Giros, Le Point Afrique – L’Europe et l’Afrique doivent relever ensemble le défi du Covid-19 : https://www.lepoint.fr/afrique/l-europe-et-l-afrique-doivent-relever-ensemble-le-defi- du-covid-19–06-04-2020-2370237_3826.php#
Sabine Cessou – Le Poids du secteur informel en Afrique : https://www.monde-diplomatique.fr/ mav/143/CESSOU/53893
Renaud Vivian, Investig’Action – La gestion calamiteuse du coronavirus (26/03/2020) : https:// http://www.investigaction.net/fr/la-gestion-calamiteuse-du-coronavirus-par-la-banque-mondiale-et-le- fmi/
Anna Sylvestre-Treiner, Courrier International – De Nairobi à Dakar, pour appliquer le couvre-feu, la police fait régner la terreur (31/03/2020) https://www.courrierinternational.com/revue-de-presse/ afrique-de-nairobi-dakar-pour-appliquer-le-couvre-feu-la-police-fait-regner-la
Milan Rivé, Le Vent se lève – EN PLEINE PANDÉMIE, L’AFRIQUE SE PRÉPARE-T-ELLE À UNE NOUVELLE CURE D’AUSTÉRITÉ ? (09/04/2020) : https://lvsl.fr/en-pleine-pandemie-lafrique-se- prepare-t-elle-a-une-nouvelle-cure-dausterite/
Olivier Marbot, Jeune Afrique – Nombre de lits de réanimation et de respirateurs : où en est l’Afrique ? (09/04/2020) : https://www.jeuneafrique.com/mag/913952/societe/coronavirus-la- crise-economique-est-deja-la/
Le Figaro – La France va consacrer 1,2 milliard d’euros à la lutte contre le Covid-19 en Afrique (08/02/2020) : https://www.lefigaro.fr/flash-eco/la-france-va-consacrer-1-2-milliard-d-euros-a-la- lutte-contre-le-covid-19-en-afrique-20200408
Franceinfo – Covid-19 : l’Union européenne débloque 15 milliards d’euros pour aider les pays les plus vulnérables (08/04/2020) : https://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/economie-africaine/ covid-19-l-union-europeenne-debloque-15milliards-d-euros-pour-aider-les-pays-les-plus- vulnerables_3905265.html
Le Point – La crise sanitaire du Covid-19 va coûter cher à l’Afrique, comme en atteste les prévisions de future croissance en berne et l’envolée de la dette (07/04/2020) : https:// http://www.lepoint.fr/afrique/covid-19-les-craintes-fondees-de-l-union- africaine-07-04-2020-2370323_3826.php
La Banque mondiale – La pandémie de Covid-19 (coronavirus) entraîne l’Afrique subsaharienne vers sa première récession depuis 25 ans (09/04/2020) : https://www.banquemondiale.org/fr/ news/press-release/2020/04/09/covid-19-coronavirus-drives-sub-saharan-africa-toward-first- recession-in-25-years

Le Point – Moratoire sur la crise africaine : « une étape indispensable » pour Macron (15/04/2020) https://www.lepoint.fr/afrique/moratoire-sur-la-dette-africaine-une-etape-indispensable-pour- macron-15-04-2020-2371478_3826.php
Le Monde Afrique – Coronavirus : le faible nombre de cas détectés en Afrique suscite des interrogations (27/02/2020) https://www.lemonde.fr/afrique/article/2020/02/27/coronavirus-le- faible-nombre-de-cas-detectes-en-afrique-suscite-des-interrogations_6031028_3212.html

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