Covid-19, la pandémie de la vérité.

Avec le décès de la 2ème vice-présidente de l’assemblée nationale du Burkina Faso (Mme Marie-Rose Comparoé), de Manu Dibango, etc, et les confirmations des cas de contaminations qui s’enchaînent dans plusieurs pays africains, on ne saurait davantage se laisser berner par des considérations qui incitent à admettre en fait que « l’Afrique Noire » est bel et bien en retard par rapport à d’autres régions du monde. Ces dernières semaines, en effet, on a pu entendre dire que les africains (noirs) ne seraient pas concernés par la pandémie du Corona Virus parce qu’étant <<naturellement>> protégés[1] contre ce genre de mal auquel le reste de l’humanité serait condamnée – par défaut de mélanine. C’est certainement ce genre de considérations qui poussent des gouvernements africains à montrer une totale inconscience dans la réponse qu’ils apportent à ces circonstances si graves, malgré des situations qui durent depuis des décennies, traduisant de graves négligences[2] de la santé publique.

Or, non seulement il n’y a aucun orgueil à tirer des conditions naturelles « généreuses » dont le continent africain serait pourvu[3], mais en plus – selon les dernières nouvelles relatives aux possibles évolutions et au traitement contre le Corona Virus – il faut plutôt considérer que la Nature est absolument indifférente autant au sort des noirs, des blancs, que des jaunes, etc[4].

 

Une présence inconsciente dans le concert des nations ?

 

D’abord, il est primordial de considérer ceci, plus que le fait naturel, la propagation du virus s’inscrit dans un processus – que l’on peut dire – culturel auquel les sociétés africaines sont parties prenantes. Il s’agit bien entendu des intrications extrêmes du niveau local et du niveau global de nos organisations sociales contemporaines. Ainsi, le virus ayant commencé à sévir dans une région bien précise de la Chine, s’est répandu dans tout le pays, puis a touché les voisins de celui-ci pour être présent désormais dans le monde entier.  Se complaindre dans des rêveries selon lesquelles les africain(e)s (noirs) seraient favorisé(e)s par la Nature devant de tels drames, cela prouve qu’en tant qu’africains, nous n’avons pas assez conscience de notre présence dans ces interactions mondiales qui concernent aussi bien le culturel, l’économique, que le politique.

Ainsi, autant est-il plus avéré que nos sociétés soient exposées aux divers impacts de la globalisation à laquelle nous participons – qu’importe notre rang ou notre rôle dans ces rapports mondiaux –, autant le seul privilège de la Nature sur lequel compter pour venir à bout des dérives[5] de cette même globalisation (aujourd’hui le covid-19) est l’intelligence humaine. Celle-ci, et non des considérations obscurantistes, permet assurément de tirer des leçons des choix sociétaux que certains peuples ont pu faire, dans la quête du progrès.

C’est la puissance de cet instrument que nous avons vu à l’œuvre en Chine – dans le domaine de la santé et du savoir-faire technique lié à celui-ci – d’où est parti l’expansion du virus et qui a été la première à enregistrer des journées sans contamination au covid-19[6] ; c’est aussi la force de l’intelligence humaine et la foi en la force de la discipline collective qui a pu aujourd’hui confondre le cynisme d’un certain regard qu’on a pu porter sur les opérations gigantesques chinoises de confinement et de traitement de l’épidémie dans ce pays.

L’urgence des circonstances invite à entendre les voix qui s’élèvent depuis longtemps pour interroger de façon pertinente les possibilités de construire une puissance africaine qui s’appuie davantage sur les dynamiques locales et la coopération intra-africaine (mondes africains diasporiques compris) – et donc dans une perspective panafricaine. Cela est d’autant plus pertinent que l’évolution de la démographie africaine permet d’envisager des performances économiques portées principalement par un commerce interne prospère, dans la mesure où les cultures africaines sont riches à tous égards et parce que cette richesse favorise des échanges dans tous les secteurs entre les différentes régions africaines. Cette réflexion, ainsi que les décisions urgentes qu’elle impose, requiert une attention absolue et par conséquent il convient ne pas se laisser distraire plus longtemps par des considérations d’une incohérence injurieuse pour l’ensemble des africains.

 

 

Des Fuites-en-avant dangereuses.

 

Nous pouvons ensuite montrer combien cela profite aux gouvernements africains démissionnaires de considérer que les africains seraient naturellement épargnés par une pareille pandémie.  En effet, cela revient à légitimer l’irresponsabilité de ces gouvernements pour qui les systèmes – sinon inexistants du moins moribonds – de santé de leurs pays ne sont l’objet d’aucune préoccupation réelle. Puisque la Nature est si protectrice et bienveillante à notre égard pourquoi se tourmenter que les principaux hôpitaux des villes les plus densément peuplées compte moins d’une centaine de salle de réanimation ? Pour quelles raisons s’alarmer qu’un pays ne soit pas en capacité de produire du matériel médical et qu’il importe tous ses stocks de médicaments ? La Nature pourvoira… car « l’homme noir ne meurt pas de microbe », ainsi qu’une conscience populaire africaine l’affirme.

Pourtant, comment tricher ? Par quel stratagème ces gouvernements pourraient-ils mentir sur les chiffres des éventuelles victimes du Covid-19 ? Lorsqu’on sait que, dans le déplacement de l’épicentre de la pandémie, on est passé de l’Asie – avec la Chine qui comptait 3248 morts – à l’Europe, avec l’Italie qui comptait (au même moment) 3405 victimes pour en compter aujourd’hui près de 10.000 victimes. Sur cette base, il convient d’envisager très sérieusement que, si l’Afrique devient le nouvel épicentre de la pandémie, le nombre de victimes sera proportionnellement plus élevé. On ne pourra pas mentir sur les capacités réelles des hôpitaux – en termes de salles de réanimation, de nombre de lits ou encore sur les stocks de masques protecteurs que l’on ne produit pas. Oui, certes, on pourra toujours compter sur l’ami chinois qui en profitera pour accroitre son prestige mondial, à travers sa « diplomatie du masque »[7].

 

Enfin, la Nature est en effet indifférente au sort des noirs, des blancs, des jaunes, etc. D’autant plus indifférente que le virus est doté d’une capacité à muter. Mutation qui peut en diminuer la capacité de nuisance ou l’augmenter. A ce titre, si l’on peut parler de clémence de la Nature, celle-ci ne peut concerner que ceux qui investissent dans la recherche scientifique, le savoir-faire technologique et la discipline collective pour faire face à une « catastrophe » qui en annonce peut-être d’autres – plus graves. Un espoir sérieux est fourni aujourd’hui par le fait que la chloroquine, un anti-paludique, pourrait permettre de traiter efficacement la maladie causée par le covid-19. Etant donné que le paludisme sévit de façon chronique en Afrique et que le recours aux anti-paludique y est récurrent, on peut estimer que le métabolisme des sujets africains a pu développer une relative résistance à l’espèce de virus qu’est le covid-19. Mais alors, ce n’est pas dans de prétendues bonnes dispositions de la Nature qu’il faudrait en trouver l’explication – mais dans les performances réelles d’un système de santé à adapter sa viabilité aux défis sanitaires.

 

 

            Bâtir une stratégie Africaine dans le cadre des changements géopolitiques de notre temps.

 

En somme, cette pandémie concerne bel et bien les africains, d’Afrique ‘’noire’’ ou d’autres régions du continent et des mondes africains – même dans le cas où les noir(e)s seraient naturellement doter d’une immunité contre ce genre de fléau. Car, nous voyons que la mise en place en France du confinement des populations dans le cadre de la lutte contre le Covid-19, semble fournir un cadre légal à la recrudescence des violences policières[8] vis-à-vis des dits « noirs de France ». Violences qui, plus largement, touchent également les jeunes nord-africains et qui ravivent le sentiment d’une stigmatisation sociale ayant des racines profondes et que certaines figures médiatiques[9] se plaisent à exacerber. Le terme donc de ‘’noir(e)s’’ est inapproprié et celui d’africains convient mieux pour mesurer les conséquences, à l’échelle diasporique comme continentale, de la pandémie sur cette partie de l’humanité (ses peuples, ses nations) dans ses rapports avec d’autres groupes humains (leurs peuples et nations).

Ceci dit, plutôt que « virus chinois », il convient d’appeler le Covid-19  « virus de la Vérité ». Car il révèle la fin du cycle du modèle social qu’est celui des sociétés africaines comme appendices ou marges des centres néolibéraux occidentaux. Modèle qui contraint africaines et africains à vivre au jour le jour, dans des corps sociaux que la volonté politique défaillante peine à constituer en système cohérent, et dont les différents maillons de la chaine socio-économique (culture, agriculture, santé, recherche scientifique, armées, etc) fonctionnent de façon désaccordée.

Aussi bien, si des changements géopolitiques mondiales s’annonçaient déjà depuis 20 ans, il faut reconnaitre que cette pandémie met en évidence le processus irréversible du déclin [réinvention ?] d’une époque (caractérisée par l’hégémonie occidentale) – et la naissance, voire le renforcement d’un nouveau leadership mondial[10]. Ce rendez-vous Historique concerne au premier chef les mondes africains dont les indépendances ont été dévoyées, sabotées, embrigadées pour le grand malheur des peuples martyrisés. Une occasion d’engager un processus – non nécessairement spectaculaire – de promptes et inédites ruptures que les Etats africains faillis devraient saisir.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[1] https://www.afrikmag.com/pourquoi-le-coronavirus-touche-moins-les-noirs-des-chercheurs-chinois-expliquent/?fbclid=IwAR39V7pR_ctuII6qnCvccbdRaLCvnnvQlXUOPfqFg-K-GCpEObvzM4Y_ZCI

[2] Voir le lien : https://www.vox.cg/2020/03/le-premier-ministre-suspend-le-directeur-general-du-laboratoire-national/?fbclid=IwAR3kzvOgb4Iv9ufjA7SJx949yR0UZYKOrSIndCFGVZIgWwML0dDI0cTAniw

[3] Voir C.A.Diop, Les Fondements économiques et culturels d’un Etat fédéral d’Afrique Noire.

[4] Nous vous recommandons aussi les articles suivants : https://zintv.org/naomi-klein-comment-lelite-mondiale-va-tenter-dexploiter-la-pandemie/?fbclid=IwAR3EfTTiZp3W8afT7H49Zyal7DoqHmNO2-fpOzcO-sPAB9-6qiEVs9j8gWQ ; https://solidariteetprogres.fr/chroniques-strategiques/monstre-malthusianisme-coronavirus-triage.html?fbclid=IwAR1kSYtzjcqZ7oXyv7vLxNZ9az28XEOsLg0uymT-K5SLsYULjZukTd683do

[5] Voir le lien : https://reporterre.net/Bolsonaro-laisse-les-Bresiliens-a-la-merci-du-coronavirus?fbclid=IwAR3NCwc-RX0-EcpxzHzx49XtCceFGT9GGv5l2y3Mhdxw4s7ieyU8CUMgTiY Egalement : https://acta.zone/agrobusiness-epidemie-dou-vient-le-coronavirus-entretien-avec-rob-wallace/?fbclid=IwAR3YHlkKMFzjrJMw191wKDTUhbObCLREPeU-EQ8oYYkf9GjJ8DRsNxEtU0A

[6] Cf. le lien suivant ainsi que plusieurs articles sur internet :  https://www.lefigaro.fr/sciences/en-chine-deuxieme-jour-sans-nouveau-cas-local-de-contamination-au-coronavirus-20200320

[7] Voir article sur lefigaro.fr

[8] https://actu.fr/ile-de-france/aubervilliers_93001/coronavirus-seine-saint-denis-est-tasee-frappee-ne-pas-avoir-montre-attestation_32488961.html

[9] http://www.fdesouche.com/1355273-michel-onfray-le-chef-de-letat-autorise-les-banlieues-a-contaminer-a-tout-va-qui-elle-voudra-le-message-est-on-ne-peut-plus-clair

[10] http://www.rfi.fr/fr/europe/20200322-coronavirus-armée-russe-dépêche-centaine-virologues-italie

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

%d blogueurs aiment cette page :