Depuis l’implication de la Russie sur le dossier centrafricain en 2017, la politique de Moscou en Afrique est surveillée au sein des médias occidentaux et notamment français. Tandis que sur les réseaux sociaux, les internautes africains sont globalement satisfaits des multiples déclarations –fausses pour la plupart- de Vladimir Poutine concernant l’impérialisme des anciennes puissances coloniales sur le continent africain, les autorités françaises restent mitigées quant à la présence russe à l’intérieur même de ses zones d’influences traditionnelles.
Près de 50 chefs d’Etats sont présents à Sotchi depuis le 22 octobre pour prendre part au sommet Russie-Afrique. C’est la première grande messe diplomatique entre ces deux pôles, force est de constater que seules les puissances influentes sont à même de tenir ce genre d’évènements, véritable outil de Smart Power. C’est d’ailleurs une occasion de se rapprocher davantage de l’Egypte, dont le président Al-Sissi –Actuel président de l’Union Africaine- codirigera ce sommet. Le premier ministre éthiopien, prix Nobel de la paix 2019 sera également un invité d’honneur.
Pour la Russie, l’Afrique est un partenaire stratégique, notamment à l’époque de la Guerre Froide où l’ancien géant soviétique avait noué des relations profondes avec plusieurs pays africains comme l’Angola ou le Mozambique. Ce sommet est essentiel pour les futures ambitions russes sur le continent africain :
- Premièrement, l’accès aux matières premières qui sont capitales pour l’approvisionnement en énergie de Moscou. Il est important de diversifier ses partenaires, surtout lorsque l’extraction de ces ressources sont souvent moyennées au profit de services rendus.
- Deuxièmement, la coopération sécuritaire, où les russes fournissent des armes et de l’équipement militaires aux forces armées africaines, à l’instar de la Centrafrique. Aussi, la formation de cadres et de soldats de façon à ce que les problèmes sécuritaires africains soient gérés par les acteurs locaux, et non étrangers. Une fois de plus, l’exemple de la Centrafrique illustre parfaitement cet aspect des relations russo-africaines.
- Troisièmement, l’Afrique est un enjeu d’une lutte d’influence face aux Etats-Unis d’Amérique, aux Etats d’Europe de l’ouest et dans une certaine mesure, la Chine. Bien que la Russie affiche un retard important sur le sol africain, les vides sont encore à combler dans certains domaines, et le Kremlin souhaiterait s’y assurer.
Pour l’Afrique, il serait difficile d’y percevoir une réponse singulière quant à la coopération russe. Toutefois, cet énième partenaire est apprécié par les Chefs d’Etats africains. Comme la Chine ou l’Inde, le Consensus entre Moscou et l’Afrique repose sur plusieurs points essentiels : La non-ingérence et le respect mutuel de la souveraineté de l’intégralité du territoire. Une coopération gagnant-gagnant aux bénéfices mutuels. Des relations amicales d’égal à égal focalisées sur la confiance et la rentabilité des partenariats. Tout comme Pékin, Poutine se montre très critique à l’égard de la politique occidentale en Afrique, n’hésitant pas mettre en comparaison le soutien des soviétiques prodigué aux leaders d’indépendances africains au temps de la Guerre Froide, face aux nouvelles formes de néocolonialismes actuelles tant décriées sur les réseaux sociaux.
La Russie est donc perçue comme une grande puissance alliée, pouvant contrebalancer l’hégémonie occidentale dans le monde à l’instar de la Chine. Les dossiers syrien et ukrainien confortent cette image d’une Russie qui a la possibilité de tenir tête aux agendas des Etats-Unis d’Amérique, voire d’imposer son rythme selon la situation. Malgré les sanctions économiques et les menaces perpétuelles qui siègent le long de ses frontières, Moscou ne ploie pas le genou, Vladimir Poutine est donc considéré comme un homme politique intarissable et intraitable. Cette force de caractère est même jalousée, considérant que les chefs d’Etat africains n’ont pas le même leadership ni la même capacité à pouvoir dire non à l’Occident.
De ce fait, s’allier à la Russie revient à être protégé par un Etat membre du conseil de sécurité de l’ONU, un de plus avec la Chine, ce qui est considéré comme une barrière diplomatique de premier choix pour certains pays africains qui n’auraient plus à craindre d’une intervention étrangère. Enfin, le Kremlin est surtout reconnu pour ses exportations d’armes en Afrique dont il est le premier partenaire pour le continent, notamment en Afrique du nord (Egypte et Algérie). En plus des milices issues des sociétés privées, la présence russe n’aurait rien d’hégémonique et ne contiendrait pas de facteurs d’impérialismes, tout au contraire, la Russie serait un autre moyen pour se soustraire du joug des puissances occidentales.
« Il est important de ne pas dépasser la frontière entre prévention et intervention dans les affaires intérieures des Etats. Tout porte à croire qu’un certain nombre de nos collègues sont très proches de cela. Pour le moment, nous avons toutes les raisons de croire que le Cameroun est capable de résoudre ce problème épineux tout seul. Nous sommes disposés à aider, mais seulement si nos partenaires au Cameroun le jugent nécessaire. »
Diplomate Russe en Décembre 2018.
Malgré les dynamiques positives actuelles, la Russie a conscience du retard accumulé sur ces trente dernières années. Certes, depuis presque dix ans, Moscou a multiplié les réceptions et les visites officielles avec les Etats africains, favorisé un climat favorable pour les étudiants africains en Russie en raison d’une négrophobie ambiante. Néanmoins, ces efforts n’ont pas permis d’hisser Moscou en tant que partenaire primordial pour l’Afrique, se classant loin derrière la Chine, les Etats-Unis, l’Inde, la Turquie ou l’Union Européenne dans son ensemble. D’autant plus que dans la vente d’armes, la Russie est le premier fournisseur de l’Afrique selon SIPRI. In fine, le secteur militaire est capital dans les relations russo-africaines, et c’est en partie sur ce terrain que l’ancienne URSS se démarque très largement des autres puissances telles que la Chine. En effet, la qualité des armes ainsi que les coopérations de rénovations de matériels militaires, de productions industrielles et techniques font en sorte que Moscou se pose comme un partenaire de premier choix pour le secteur militaire africain.
Face à ses défaillances sécuritaires constantes qui s’inscrivent dans la durée pour plusieurs pays africains (Centrafrique, Cameroun, République Démocratique du Congo, Soudan, Somalie, Mali ou encore le Tchad notamment), la Russie s’érige en principal soutien des Etats qui traversent des guerres ou des crises. Grâce à son siège permanent au sein du Conseil de sécurité et de l’absence de toute trace de colonisation en Afrique –la Russie a tout de même assisté à la Conférence de Berlin- Moscou se construit une solide légitimité dans le cœur des élites africaines. Face à l’Occident, Poutine se voit comme une solution alternative pour les enjeux africains, surtout lorsque les intérêts russes sont menacés. Suite à l’intervention franco-américaine en 2011 en Libye, la Russie veille à ce qui rapporte à la sécurité des Etats africains.
La Conférence de Berlin (1884-1885) est surtout un fait historique dont l’historiographie ou une lecture biaisée de l’Histoire, font en sorte que l’Afrique aurait été partagée au couteau par les puissances colonisatrices. Il est vrai que ces dernières ont délimité certaines de leurs zones d’influences qui seront intégrées plus tardivement au sein de leurs empires coloniaux (Notamment le Congo-Belge), cependant, cette période coïncide avec les guerres coloniales où plusieurs entités africaines n’étaient pas encore sous le joug des européens, le partage de l’Afrique était surtout une course contre la montre. Ainsi donc, la Conférence de Berlin a été initiée par Bismarck, Chancelier Allemand, afin que les rivaux européens acceptent les territoires allemands en Afrique, en particulier le Cameroun qui a été disputé avec les britanniques.
Le Sommet Russie-Afrique 2019 s’inscrit dans une série de dynamiques conflictuelles entre grandes puissances, le continent africain n’est effectivement, qu’un autre terrain où les plus capables en profitent pour étaler leurs outils de Soft, Smart et Hard Power. L’Afrique est une fois de plus un moyen, une étape à franchir lorsqu’un Etat désire atteindre le rang de Puissance globale, cela passe par un tremplin composé de ressorts fragiles. Sous fond de rivalités inter-étatiques et pour compenser les sanctions occidentales, le Kremlin concrétise ses récents investissements via ce Sommet, qui est aussi utile pour prouver au monde que la Russie a plusieurs cartes à jouer en dépit des menaces économiques et sécuritaires qui pèsent le long de ses frontières.
Encore une fois, il est difficile de déterminer ce que l’Afrique attend réellement de la Russie, chaque pays tire son épingle du jeu. Tandis que d’autres s’appuient notamment sur l’expertise russe dans le domaine nucléaire, certains tissent des liens avec Moscou pour les exportations d’armes ou une coopération militaire très poussée. Comme pour la Chine ou la France, il n’y a pas de politique africaine au sens propre concernant la Russie, c’est davantage une demande extérieure. Cela montre une nouvelle fois que les Etats africains n’ont pas la réelle ambition d’accorder collectivement leurs agendas géopolitiques ou économiques même si les institutions régionales ou supranationales existent comme l’Union Africaine ou la CEDEAO. Durant la conférence de Berlin, les puissances occidentales ou orientales se sont réunies pour discuter de leurs futures zones d’influences en Afrique, depuis les indépendances et le XXème siècle notamment, la France, les Etats-Unis, l’Inde ou la Russie organisent leur propre sommet, tout en prenant le soin d’inviter les africains contrairement en 1884.