Depuis la guerre de Corée, dernier conflit où l’usage de l’arme atomique fut envisagé, la Corée du Nord est désignée comme un pays dystopique, némesis des Etats-Unis et plus globalement des droits humains, un pays en marge des relations internationales. Vestige de la confrontation Est-Ouest, marginalisée par les Etats-Unis d’Amérique, vivant dans l’un des derniers régimes totalitaires de la planète, la Corée du Nord maintient pourtant loin des projecteurs des liens assez étroits avec nombre de pays africains, sur fond de lutte contre l’impérialisme occidental. Si les pays africains sont marginalisés dans le système international de par leur faiblesse, la Corée du Nord l’est du fait de son régime politique et de son opposition frontale aux Etats-Unis d’Amérique. Qu’en est-il de ces relations entre ces deux blocs en marge du système international ?
Les liens historiques entre la Corée du Nord et les pays africains

La Corée du Nord prend sa place dans la scène internationale après la guerre de Corée (1950-1953). Cette guerre meurtrière (plus de 2 millions de coréens) mit fin à une présence militaire étrangère dans le nouvel état constitué. En effet la péninsule coréenne avait connu une colonisation japonaise entre 1910 et 1945, avant que ceux-ci ne soient chassés par les troupes soviétiques, soutenant notamment les nord-coréens pro-communistes locaux et exilés auxquels appartenait Kim II Sung. La doctrine de la Juche (du coréen Juchesang) évoquée dans un discours de Kim II Sung en 1955 : lutte anti-impérialiste concrétisée par la volonté d’acquérir une indépendance économique et militaire, y compris face aux alliés chinois et soviétiques. Dans ce cadre-là, la Corée du Nord aux côtés de la Chine et de l’URSS soutint alors tous les mouvements africains indépendantistes dans la seconde moitié des années 50.
Ainsi naquit les premières relations entre les pays africains et la Corée du Nord, sur fond d’aide logistique voire militaire aux mouvements de luttes anticolonialistes comme le FLN en Algérie pour l’Afrique du Nord, l’accueil de leaders nationalistes (Guinée Conakry, Congo Brazzaville) plus ou moins sympathisants du communisme.
La Corée du Nord apporta un soutien militaire et logistique direct aux mouvements de libération nationalistes dans les colonies portugaises (Angola et Mozambique en particulier), et c’est en cela que l’aide coréenne se démarque de l’aide chinoise ou soviétique : une coopération militaire sans conditions. Ce trait-là marque ainsi les relations entre les pays africains et la Corée du Nord, au détriment alors de la Corée du Sud, du moins jusqu’aux années 1980.
Enfin en Afrique australe, le RDPC soutient sans ambages la lutte armée de l’ANC contre le régime d’apartheid en Afrique du Sud, ainsi que la ZANU de Robert Mugabe. Ainsi, les relations entre la Corée du Nord et les pays africains sont celles d’une coopération contre la lutte impérialiste de manière assez franche, à l’instar de Cuba.
Les liens entre les pays africains et la Corée du Nord sont donc basés sur les principes de la lutte anti-impérialiste (et donc contre les pays occidentaux). Le juche, doctrine du régime (du coréen juchesasang pensée du corps) place la construction de l’indépendance, politique et militaire de la Corée, comme principe moteur. Et de ce fait cela place les luttes anti-impérialistes ainsi que la solidarité avec les peuples luttant contre toute forme d’impérialisme et de colonisation. Ainsi, l’Ouganda, l’Ethiopie de Mengitsu bénéficient de l’expertise nord-coréenne, qui représente alors un modèle en termes de reconstruction industrielle après la guerre de Corée. Les résultats sont certes modestes, dû à la distance géographique, culturelle et la modestie des moyens engagés.
Pays
Guinée Mali Ghana Congo Mauritanie Tanzanie |
Date d’établissement de relations diplomatiques
1958 1961 1964 1964 1964 1965 |
Les liens économiques entre la Corée du Nord et les pays africains : entre opacité et illégalité
De nos jours, la Corée du Nord est visée et sanctionnée par les Nations Unies notamment sous l’influence des Etats-Unis d’Amérique. Considérée comme un état voyou, il devient difficile pour les pays africains d’entretenir de manière classique des liens diplomatiques et économiques, d’autant plus que la Corée du Sud tend aussi à devenir un partenaire en Afrique et mène du coup un lobbying pour isoler le régime nord-coréen.
Plus que l’opacité, les affaires nord-coréennes en Afrique se font discrètement dans des domaines du BTP spécialisés dans la statuaire monumentale comme Mansudae Overseas Projects. Celle-ci a réalisé une statue en hommage aux soldats éthiopiens à Addis-Abeba le 12 septembre 1984 (sous le régime de Mengitsu), et plus récemment le Monument de la Renaissance Africaine à Dakar.
Les transactions économiques plus opaques liées aux ventes d’armes sont effectuées par la Korean Mining Development Trading Corporation (Komid). Les opérations bancaires illicites sont effectuées soit via les ambassades nord-coréennes présentes en Afrique, soit via des banques chinoises. Ces dernières prennent généralement une commission entre 15% et 30 %.
La Corée du Nord : une alternative à la coopération militaire occidentale ?
L’effondrement du l’URSS et du bloc soviétique marque une nouvelle phase dans les relations entre la Corée du Nord et l’Afrique subsaharienne. En effet, après 1991, les partenariats économiques avec les pays du bloc soviétique cessent alors qu’ils sont essentiels pour l’économie et l’indépendance du pays, au cœur de la doctrine du RDPC (la Juche). De plus en plus isolée sur la scène internationale en face de la puissance hégémonique américaine, les pays africains deviennent plus que des pays frères dans la lutte anti-impérialiste, ils sont un intérêt stratégique vital pour contourner l’endiguement américain et augmenter la marge de manœuvre face à l’allié chinois.
Dans les années 2000, l’isolement de la Corée du Nord est à son paroxysme après les sanctions onusiennes, des ONG quittent la Corée du Nord refusant d’acheminer les aides alimentaires (celles-ci sont réquisitionnées par l’armée plutôt d’être acheminées aux populations les plus démunies).
La Corée du Nord et les pays africains ont comme intérêt commun d’être marginalisés dans le système international, le 1er par son régime dictatorial et son opposition frontale aux Etats-Unis, les seconds par leur faiblesse et leur état de pays dominés par les pays occidentaux. Les sanctions onusiennes pèsent sur l’économie nord-coréenne, l’isolant encore plus politiquement. Cependant, la Corée du Nord possède un savoir-faire en ingénierie de pointe, en matière de sécurité défense, des domaines où les pays africains manquent d’alternatives (anciens pays colonisateurs ou désormais Chine massivement).
La Corée du Nord se démarque de la Chine par une coopération militaire totale avec un réel transfert de technologies et la constitution de petites unités industrielles capables de garantir ce transfert technologique. De plus, elle-même étant marginalisée dans le système international, la RDPC n’est pas du tout regardante sur ses clients, d’autant plus que les ventes d’armes et de formation technique lui permettent d’obtenir des devises, vitales pour une économie encore largement autarcique et dépendante de la Chine. La RDPC vend des armes, des équipements de surveillance ainsi que des technologies civiles high tech pouvant servir à des fins militaires.
Les relations de longue date : Angola, Ouganda, Zimbabwe
Les liens forts entre la Corée du Nord et le MPLA d’Angola remontent à la guerre d’indépendance (1961-1975). Lorsque le MPLA s’empara du pouvoir d’Etat à l’indépendance du pays, les liens devinrent des liens entre deux états souverains partenaires. 3 000 soldats nord-coréens ont même été présents en 1987 pour soutenir le MPLA dans sa guerre civile contre l’UNITA de Jonas Savimbi, qui avait regagné des forces soutenues par l’administration américaine de Ronald Reagan. En 1993, l’Angola obtint pour 95 millions de $ des missiles SA-2, BM-P1 et BM-P2 ainsi qu’une formation pour l’aviation angolaise (une aviation décisive 5 ans plus tard dans l’intervention angolaise dans la guerre civile au Congo Brazzaville).
Actuellement, devant la pression américaine, l’amitié angolaise envers le RDPC est moins visible et mais toujours effective. La garde présidentielle angolaise est formée par des instructeurs nord-coréens, notamment aux arts martiaux. Plus important, en 2015, un accord a été conclu entre la Corée du Nord et l’Angola pour la marine angolaise, concernant des croiseurs de patrouille avec une formation des marins angolais par les Nord-coréens. Devant la pression onusienne, transgressant les sanctions économiques contre la Corée du Nord, l’Angola a annoncé la rupture de cet accord (surement poursuivi dans une plus grande clandestinité).
L’Ouganda est aussi un partenaire historique africain de la Corée du Nord, ce qui peut paraître surprenant, vu aussi les liens proches qu’entretient le pays avec les Etats-Unis d’Amérique. Les liens remontent à Amin Dada, dont les alliances volatiles lui ont valu les premiers partenariats entre la Corée du Nord et l’Ouganda. Néanmoins, l’ancrage des relations entre la Corée du Nord et l’Ouganda s’effectue durant la seconde présidence de Milton Obote. Ce dernier est en effet confronté à un mouvement de rébellion, une grande partie de ceux ayant les troupes tanzaniennes à faire chuter Idi Amin Dada en 1981 refusant de le reconnaître comme chef du pays après les élections générales de 1980. La National Resistance Army de Yoweri Museveni (NRA), coalisant plusieurs groupes de l’opposition, débute la lutte armée en 1981. Ce dernier bénéficie d’une expérience de guérilla auprès du FRELIMO au Mozambique, privilégiant un ancrage dans les populations rurales ainsi que des combattants politisés, convaincus de mener une révolution nationale.
Pour faire face à la NRA (National Resistance Army) dirigée par Yoweri Museveni, Milton Obote aux abois fait appel à la Corée du Nord qui envoie près d’une trentaine d’instructeurs pour encadrer les troupes d’infanteries. Ces instructeurs nord-coréens sont devenus les stratèges à part entières de la contre-insurrection d’Obote, perdue définitivement en 1986. Une fois au pouvoir, Museveni a maintenu ce partenariat, offrant à l’Ouganda une expertise militaire diversifiée.
Actuellement, ce partenariat comprend la formation militaire de l’infanterie, la vente d’armes de poing depuis au moins 2004. Les Nord-coréens sont aussi soupçonnés d’aider le régime de Museveni à avoir construit une petite factorerie d’armes de poing entre 2004-2007. Plus récemment en 2016, le RDPC participe à un programme de formation de pilotes et d’ingénieurs en aéronautique.
Le Zimbabwe a maintenu longtemps des relations privilégiées avec la Corée du Nord. Robert Mugabe a effectué en effet sa première visite officielle à Pyongyang en octobre 1980, aux lendemains de l’indépendance obtenue. Les nord-coréens ont ainsi formé l’unité d’élite tristement connue pour sa rudesse, the Fifth Brigade. En parallèle de cela, des armes de poing ainsi que des fusils d’assaut sont vendus régulièrement et en masse, étant même une des sources privilégiés (16.5 millions de dollars vendus entre 1981 et 1991).
Les dernières années du règne de Mugabe furent marquées par des échanges de matières premières (uranium et pétrole contre les armes), de manière assez avantageuse pour le régime. Peu de chances que les liens soient rompus totalement sous la présidence de Mnangagwa, étant donné que ce type de marché permet d’avoir des armements efficaces et modernes à bas prix.
Les relations héritées du bloc soviétique
L’Ethiopie a créé des liens avec la Corée du Nord lors de la chute d’Haile Selassie et de la prise de pouvoir par Mengitsu. A partir de 1985, Pyongyang a envoyé auprès des forces armées éthiopiennes des centaines d’instructeurs militaires en Ethiopie ainsi que des armes de poing. Entre 1989 et 1990, les Nord-Coréens ont déclaré avoir entraîné une quinzaine de brigades spéciales. En plus de cela, ils ont aidé à la création de factoreries pour fabriquer des armes de poings ainsi que des kalashnikovs. Un projet pour fabriquer de l’artillerie lourde et des missiles, avait été lancé mais il fut stoppé par la chute du régime.
Ayant pris ses distances avec la Corée du Nord et devant les pressions américaines, l’Ethiopie a néanmoins gardé des liens pour maintenir les factoreries de production et de manière plus globale, son armement de type soviétique. Il serait en effet coûteux et long de modifier totalement son parc industriel militaire (il faudrait définir de nouvelles normes industrielles, ce qui nécessiterait de A à Z un véritable parc industriel éthiopien, inexistant).
Dans une moindre mesure, la Corée du Nord a aussi soutenu le Mozambique durant la guerre du froide, notamment le FRELIMO contre sa lutte contre la RENAMO, anti-marxiste et soutenu par l’Afrique du Sud sous l’apartheid. Malgré un rapprochement avec les pays occidentaux, le pays n’a pas coupé les liens avec la Corée du Nord. Un contrat de 6 millions $ comprenant systèmes missiles sor-air, tanks, système de radars ainsi que des formations techniques a été révélé par un rapport de l’ONU en 2017. Le pays fait face à des nouveaux enjeux sécuritaires avec la menace djihadiste dans le Cabo Delgado, auxquelles les forces de sécurité semblent impuissantes.
Les pays en marge du système international
Erythrée est souvent qualifiée de « Corée du Nord de l’Afrique » de par la dureté de son régime totalitaire envers sa population. Au-delà des similitudes observées par les politologues, le pays souhaite faire main basse sur le matériel d’intelligence stratégique. En 2017, le pays a été sanctionné par l’ONU pour avoir acheté 45 boxes contenant du matériel de communication radio à des fins militaires mais l’équipement fut saisi.
Indirectement, la Corée du Nord a fourni aussi des armes au mouvement djihadiste Al Shebab. En effet, l’Erythrée est fortement soupçonnée d’avoir soutenu le mouvement dans les années 2000 et 2010 (avant l’accord de paix historique avec l’Ethiopie en septembre 2018). Des mitrailleuses typiquement nord- coréennes (à la fabrication unique) ont été retrouvées en 2016 par un escadron français (pour lutter contre la piraterie dans la Corne de l’Afrique)
Autre régimes en marge du système international occidental bien que pendant une durée moins longue et avec des enjeux plus importants que l’Erythrée, le régime kabiliste en RDC a connu sur la fin du second mandat de Joseph Kabila Kanambe un embargo gênant sur les armes. La Corée du Nord a alors représenté un partenaire de choix pour contourner ces embargos : pistolets automatiques, roquettes par le port de Boma en 2017.
Le Soudan sous Omar Béchir maintien des liens étroits avec la Corée du Nord pour renouveler son artillerie légère et moyenne. En Février 2017, un rapport de l’ONU a révélé 2 contrats ayant eu lieu à hauteur 5 144 075 $ pour des missiles et des rockets télé-satellites (AGP 250 pour des attaques au sol). Le niveau de sophistication de ce contrat illustre la volonté pour l’armée soudanaise sous Béchir d’accéder au matériel militaire de pointe, à bas prix et en marge des sanctions internationales (le régime soudanien était régulièrement épinglé pour les violations contre les droits de l’Homme).
Bibliographie (non exhaustive)
Bruce E.BETCHOL R, North Korean Military Proliferation in the Middle East and Africa, University Press of Kentucky, 2018
https://www.northkoreaintheworld.org/diplomatic/countries-have-established-diplomatic-relations-dprk