Du lundi 30 septembre au vendredi 4 octobre 2019 à Yaoundé, la capitale du Cameroun, s’est tenu un Grand dialogue national initié par le Président Paul Biya. Ces assises visent notamment à rétablir la paix dans les régions anglophones du pays affectées par un conflit meurtrier qui oppose l’État et des groupes armés depuis plus de deux ans.
LE CONTEXTE
La minorité anglophone du Cameroun, qui représente 20 % de la population évaluée à 25 millions, se plaint, de façon récurrente, de marginalisation et d’ostracisme depuis la fin de la Fédération en 1972. Le Cameroun était en effet entre 1961 et 1972 une République fédérale à deux États fédérés dont l’un était francophone et l’autre anglophone. En 1972, la Fédération a été dissoute au profit d’une République unitaire avec un seul État central.
Les plaintes de marginalisation et de discrimination des anglophones remontent en grande partie à l’avènement de l’État centralisé. Les Anglophones se plaignent depuis 1972 de la disparition progressive de leurs mœurs sociopolitiques. À partir des années 1990, ils ont commencé à réclamer le retour à la Fédération à deux États comme entre 1961 et 1972. Face au refus du pouvoir central, des revendications de sécession ont été exprimées par des groupes radicaux. Le 1er octobre 2017, à la suite d’une année de mouvements sociaux initiés par des avocats et des enseignants anglophones, et sévèrement réprimés par les pouvoirs publics, Julius Ayuck Tabe, l’un de leurs leaders, a proclamé la sécession des deux régions anglophones sous la dénomination de la « République de l’Ambazonie ». L’État du Cameroun a violemment réagit à cette tentative de sécession. Depuis la fin de l’année 2017, les deux régions anglophones du Cameroun ont ainsi plongé dans une crise meurtrière qui oppose les Forces de défense du Cameroun à des groupuscules anglophones armés.
Dans un premier temps le pouvoir camerounais a choisi l’option militaire pour mettre hors d’état de nuire ces groupuscules qualifiés de terroristes. Cette approche a été condamnée par de nombreuses ONG en raison des exactions commis par les Forces de défense camerounaise (exécutions extra-judiciaires, incendies de villages, etc.) et des effets collatéraux des opérations militaires sur la population civile anglophone (réfugiés et déplacés).
Face à l’enlisement du conflit et à l’augmentation des victimes, il est apparu au fil du temps qu’il fallait envisager une solution politique, le Cameroun n’étant manifestement pas en mesure de résoudre durablement le conflit par la voie militaire.
L’idée d’un dialogue national a donc, dans un second temps, été recommandée au pouvoir camerounais. Malgré sa réticence à cette recommandation, le Président Paul Biya s’est rallié à cette idée au mois de septembre 2019 en convoquant un Grand Dialogue National dont l’un des principaux objectifs est de résoudre la « crise anglophone ».
LE DIALOGUE
Convoqué par le Président Paul Biya et présidé par le Premier ministre Dion Ngute, le grand dialogue national devait réunir des hommes politiques, des hommes d’affaires, des représentants de la société civile, de la diaspora, des Forces de sécurité, des groupuscules armés, etc. Le Président Paul Biya a par ailleurs strictement délimité les sujets à débattre dans sa convocation qui s’est faite par un message télévisé diffusé le 10 septembre 2019 en début de soirée.
Aussitôt convoquées, ces assises ont fait l’objet de nombreuses critiques de la part des participants pressentis qui estimaient que les conditions d’un vrai dialogue n’étaient pas réunies. Les principales critiques étaient relatives à l’absence d’un cessez-le-feu et d’une amnistie générale avant l’ouverture des assises ; aux doutes sur la neutralité du président des assises (Premier ministre) ; à la non-inscription du sujet de la forme de l’État à l’ordre du jour des débats ; etc.
Certains partis politiques ont ainsi renoncé à prendre part au grand débat national. C’est le cas notamment du Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (MRC), principale parti d’opposition, et des représentants mouvements anglophones sécessionistes.
Malgré ces défections, le grand dialogue national s’est tenu comme prévu du 30 septembre au 4 novembre 2019. Il en est ressorti des recommandations importantes qui seront soumis à l’appréciation du président de la République pour application.
Parmi les recommandations les plus marquantes, il y a la réaffirmation du choix d’une République unitaire décentralisée et la restauration de la dénomination de « République Unie du Cameroun » qui indique que le Cameroun est le produit d’une unification de deux entités historiques.
Les deux dernières journées du grand débat national ont été marquées par deux évènements importants.
Le jeudi 3 octobre 2019, le président Paul Biya a décidé d’arrêter les poursuites judiciaires que l’État avait engagé contre 333 prévenus anglophones qui ont été de ce fait libérés.
Le lendemain 4 octobre 2019, il a pris la même décision pour le Pr Maurice Kamto, ses alliés et tous les militants du MRC détenus depuis le mois de janvier 2019 à la suite de l’organisation de marches publiques de protestation contre ce qu’ils qualifiaient de « holdup électoral » en référence aux résultats de l’élection présidentielle du 7 octobre 2018 au terme de laquelle Paul Biya a été proclamé vainqueur par le Conseil constitutionnel du Cameroun.
La libération du Pr Maurice Kamto, de Penda Ekoka, de Me Michel Ndocki, d’Albert Dzongang, de Paul Éric Kingue, etc. a en définitive fait ombrage à la clôture du grand dialogue national. Plus personne ne songe aujourd’hui aux conclusions du dialogue national. Nul doute que la crise anglophone, dont la résolution était son principal objectif, va de nouveau manifester ses effets politiques déstabilisants au Cameroun dans les prochains mois.
Alexandrine Bouopda Kwengoua