Le Botswana: Miracle ou mythe africain ?

Le Botswana est un pays d’Afrique australe enclavé entre l’Afrique du Sud, la
Namibie, la Zambie et le Zimbabwe. Petit pays d’un peu plus de 2 millions d’habitants,
le Botswana est régulièrement considéré comme un modèle de démocratie en Afrique
du fait de sa stabilité politique, de son faible taux de corruption et de la gestion
intelligente des ressources naturelles du pays. Souvent désigné comme pays modèle
ou « miracle africain » notamment par les historiens et économistes ayant étudié le
sujet, il est utile de creuser plus en profondeur sur ce que représente ce miracle et
d’analyser les facteurs de réussite du Botswana de manière plus précise.

Le Botswana est un pays extrêmement riche en ressources diamantifères, situé dans
une région elle-même riche en ressources minières (or, platine, diamants). Le
Botswana se distingue de ses voisins par ses bonnes performances économiques et
par sa stabilité politique. La réussite économique du Botswana repose, selon les
historiens et les économistes, sur 3 facteurs : la culture Tswana, les ressources
naturelles et l’action gouvernementale.

 

Le système Kgotla : mmualebe o a bo a bua la gagwe.

Botswana 1

Les Tswanas sont des Bantu qui vivent principalement au Botswana et au nord de
l’Afrique du Sud. Initialement répartis en différents groupes ethniques, les Tswanas
ont développé une langue commune : le setswana. Au fil du temps, la majorité des
groupes non-Tswana ont été absorbés et intégrés à la culture Tswana créant ainsi un
groupe ethnique homogène au sein du pays.
En plus de cette homogénéité ethnique, le système Kgotla (Assemblée en français) a
crée chez les Tswanas un rapport à l’autorité différent des autres cultures africaines
selon les historiens[2].
Le roi, « Kgosi », a autorité sur sa tribu, sa « morafe ». Les différents chefs des
différentes tribus Tswana forment l’élite politique du pays. Néanmoins, le pouvoir du
roi n’est pas absolu. Il existe dans la culture Tswana, le « Kgotla » qui est une
assemblée traditionnelle qui sert de contre-pouvoir. Le Kgotla est présidé par le roi et
est constitué des hommes adultes appartenant à la tribu. Les sujets majeurs, les lois
et les décisions de vie commune sont discutées lors des Kgotla où le chef du village
consulte les habitants qui sont encouragés à exprimer leurs opinions. L’assemblée n’est
pas un écho des décisions du Roi. Le but recherché est le consensus entre les différents
participants des Kgotla. Le roi a cependant la possibilité d’outrepasser le consensus
décidé lors de l’assemblée, la décision finale lui revenant.
Aujourd’hui, le Kgosi est généralement élu par sa tribu et n’a plus l’obligation d’être
descendant de la famille royale[3].  N’importe quel habitant de la tribu peut être élu Kgosi, bien que généralement, les anciens sont élus par respect de la tradition Tswana.
Devenu cour civile, lieu de consultation ou rendez-vous public, le Kgotla a évolué avec
la société Tswana. Cohabitant avec les tribunaux Botswanais officiels, les délits mineurs
de sociétés tels que les vols ou les bagarres peuvent être jugés dans les Kgotla locales.
Les délinquants sont alors jugés en fonction du code civil Botswanais et le Kgosi fait
alors office de juge.
Le mode de fonctionnement traditionnel n’a pas été totalement démantelé par la
colonisation britannique. Les chefs coutumiers Botswanais sont intégrés dans le
système politique du Botswana à travers la chambre des chefs : Ntlo ya Dikgosi

« La Chambre des Chefs (15 membres) est composée des 8 Chefs traditionnels
(héréditaires) des principales tribus du Botswana énumérées par la Constitution
, membres de droit ; ainsi que 7 membres élus et soumis à renouvellement lors
de chaque élection législative : 4 d’entre eux sont élus par et parmi les « sous-
Chefs » des quatre districts gouvernementaux (Chobe, North East, Ghanzi,
Kgalagadi), qui correspondent à des zones où d’autres tribus sont majoritaires
; les trois derniers membres (« specially elected members ») sont élus par les
douze précédents, « parmi les personnes qui n’ont pas été activement engagées
dans la politique au cours des cinq dernières années » (article 79-2 de la
Constitution).[4] »

Il convient cependant de nuancer l’apport de cet héritage culturel. Malgré sa
consultation régulière, la chambre des chefs n’a pas de réelle autorité juridique. Cette
chambre dispose simplement d’un pouvoir de conseil auprès du gouvernement et
permet d’assurer une fonction de porte-parole auprès de la société Tswana.

Ces modes de décisions, où le chef est régulièrement soumis aux critiques de son
village, sont selon les économistes 5 , les fondements de la stabilité politique du
Botswana.

De plus, les colons britanniques étaient très peu présents au Botswana pendant la
colonisation. Les britanniques ne voyaient que peu d’intérêts pour ce petit pays aride
et se sont servis du Bechuanaland[6] comme d’un barrage face à l’expansion germanique
en Namibie et face à l’expansion des Boers en Afrique du Sud. Les colons ayant recours
à l’ « indirect rule » [7], les chefs traditionnels ont pu conserver leur culture et celle-ci
s’est ensuite transmise dans les institutions étatiques après l’indépendance.
Ces deux facteurs (stabilité politique, faible empreinte de la colonisation) sont
déterminants pour expliquer les conditions de base qui ont favorisé l’émergence du
Botswana. Cependant, ce n’est qu’après la découverte d’immenses ressources
naturelles que le pays se développera de manière exponentielle.

 

Le diamant : mère de toutes les richesses ?

Botswana 2

En 1966, lorsque le Botswana déclare son indépendance, le pays n’a que très peu de
ressources sur lesquelles se reposer (très peu d’agriculture, pas d’industrie, pays vu
comme une réserve de main d’oeuvre pour l’Afrique du Sud). Les importantes
ressources diamantifères ne sont pas encore découvertes mais dès cette époque, le
nouveau gouvernement formé par Seretse Khama (premier président du Botswana) a
pour volonté de développer le pays en formant un gouvernant interventionniste.

Les colons britanniques ont laissé comme héritage une idéologie libérale. Après
l’indépendance, le pays n’a pas subi de vague socialiste et le choix du gouvernement
a été d’ouvrir le Botswana aux aides internationales ainsi qu’aux investissements privés
extérieurs afin d’attirer les capitaux étrangers dans le but de développer le pays.

Avant d’ouvrir le pays aux prospections minières internationales, le gouvernement
Botswanais s’est d’abord assuré de récupérer les droits fonciers sur l’ensemble du
territoire. De ce fait, en tant que détenteur des droits d’exploitations des terres, le
gouvernement Botswanais a pu directement négocier avec les entreprises étrangères
tout en évitant une lutte pour l’exploitation des terres.

Lorsque les diamants sont découverts au Botswana, l’État signe un partenariat public-privé qui lui permet au départ d’être propriétaire à hauteur de 15% de la co-entreprise
Debswana [8] . 5 ans après, le gouvernement renégocie ce partenariat et l’État
Botswanais devient propriétaire à hauteur de 50% de la Debswana, les 50% restants
étant la propriété de l’entreprise De Beers.

Ce partenariat a permis au Botswana de jouir des ressources de l’exploitation des
mines de diamants. Le Botswana n’a pas subi le destin de plusieurs pays africains avec
des sous-sols riches en minéraux enlisés dans des conflits territoriaux, des guerres
civiles et une corruption généralisée.

A première vue, le Botswana peut effectivement être considéré comme étant un
miracle africain. Les grands indicateurs macroéconomiques [9] illustrent bien la
croissance économique du pays et racontent l’histoire d’un pays pauvre qui a su se
sortir de la pauvreté à l’aide de ses ressources naturelles. Un exploit pour un État qui
faisait partie des 20 pays les plus pauvres au monde au lendemain de son
indépendance.

Miracle ou pas miracle ?

En ne se concentrant que sur les indicateurs macroéconomiques tels que le PIB ou le
taux de croissance annuel, l’analyse de la situation économique du Botswana se révèle
être tronquée. La réussite Botswanaise n’est pas la réussite d’une nation mais la
réussite d’une classe sociale : celle des propriétaires de bétail.

En effet, selon Samatar [10], le succès du Botswana est le fruit d’une « cohésion politique
et économique de sa classe dirigeante ». Après l’indépendance, la classe politique
dirigeante décide d’adopter un agenda néolibéral hérité de la colonisation britannique.
Les intérêts de cette élite seront substitués à ceux de la nation.

Depuis les années 60, le Botswana est l’un des principaux pays exportateurs de bœufs
au monde. Le bœuf était d’ailleurs la principale denrée exportée par le Botswana avant
la découverte du diamant. En accédant au pouvoir, les propriétaires de bétail ont
appliqué une politique économique néolibérale dans le but d’accéder très tôt aux
marchés internationaux, en particulier le marché européen, afin d’y exporter le bœuf
produit au Botswana. Cette volonté est réalisée dès les années 70 avec la signature de
la Convention de Lomé[11].

C’est d’abord l’alignement des intérêts des propriétaires de bétail et des membres du
gouvernement qui a été le principal déterminant de la croissance économique du
Botswana. Les premières politiques de développement sont mises en place par le
gouvernement afin de favoriser l’exportation du bœuf botswanais. Lorsque les réserves
de diamants sont découvertes, le système politique reste inchangé. En utilisant les
revenus des diamants, les membres du gouvernement vont financer les politiques
publiques du Botswana afin d’accélérer le processus de développement.

A ce jour, malgré les records de croissance, le Botswana reste le 4ème pays le plus
inégalitaire au monde[12]. Les richesses du pays n’ont pas contribué à la réduction de la
pauvreté[13]. Les richesses issues de l’exploitation des ressources naturelles n’ont pas
été redistribuées au sein de la population. Il est alors judicieux de se questionner sur
la légitimité de l’expression « miracle africain » concernant le Botswana.

Conclusion

En plus de fortement dépendre de ses ressources minières, le Botswana souffre
d’autres problèmes structurels (taux important de prévalence du HIV/SIDA,
persécution de la population San, taux de pauvreté important). Malgré la bonne
gouvernance du pays et les efforts notables que l’État a entrepris pour améliorer sa
situation de départ, le chemin est encore long pour que le Botswana soit érigé en tant
que modèle de développement pour les pays africains.

Les élites botswanaises et les historiens ont réussi à réduire le succès du Botswana à
simple histoire de culture (les Kgotla qui sont à l’origine de la stabilité politique du pays) et de bonne gouvernance. Le pays s’est effectivement enrichi et n’est aujourd’hui
plus considéré comme un pays pauvre selon la Banque Mondiale. Néanmoins, si le
Botswana est aujourd’hui désigné comme « miracle africain », ce n’est pas tant pour
son développement économique mais que pour la barre d’exigence des pays africains
qui est beaucoup trop faible. C’est parce que le Botswana est un des rares pays du
continent à être sorti de la pauvreté qu’il est désigné comme « miracle africain ».

 

SYLLA Mori.

[1] Traduction : chacun a le droit d’exprimer son opinion.

[2]Voir notamment « An African Success Story » de D. Acemoglu, S. Johnson et J. Robison (2001)

[3]Les enfants du Kgosi ne peuvent pas être désignés Kgosi à la mort de leurs parents.

[4]https://www.senat.fr/ga/ga26/ga262.html

[5] Voir « Is Botswana the Miracle of Africa ? Democracy, the Rule of Law, and Human Rights Versus Economic Development » de A. Cook et J. Sarkin (2012).

[6]Protectorat du Bechuanaland établi en 1885.

[7] Régime de colonisation où les institutions existantes sont gérées par les colonisés mais supervisés par les colons.

[8] Entreprise d’exploitation minière Botswanaise et plus grand producteur de diamants en valeur au monde.

[9] De 1965 à 1990, le Botswana affiche la croissance la plus rapide de la planète (Banque mondiale).

[10]« An African Miracle: State and Class Leadership and Colonial Legacy In Botswana Development » de A. I. Samatar 1999

[11] Accords commerciaux entre la CEE (communauté économique européenne) et des pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique qui suppriment notamment la quasi-totalité des franchises douanières des pays signataires de la convention.

[12] Classement en fonction du coefficient de Gini (Banque mondiale).

[13]Le taux de pauvreté au Botswana est de 20% (Banque mondiale).

 

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