Depuis la signature desdits traités de paix entre Frédéric Bintsamou dit Ntoumi (qui dérive ntumua en kikongo/lari signifiant envoyé/guide de Dieu, des ancêtres) et les forces armées congolaises en décembre 2017, la région du Pool en République du Congo connaît une accalmie relative entre le retour des réfugiés et la situation post-conflictuelle. Cette région avoisinant la capitale Brazzaville, surnommée par l’ancien président Pascal Lissouba de « locomotive du Congo » reste cependant sinistrée, ses campagnes désertées par ses ressortissants ayant fui les conflits entre les présumés Nsilulu et les forces gouvernementales. Néanmoins il ne s’agit pas là d’une situation nouvelle pour le Pool et de nombreuses zones d’ombre entourent la réalité de ce conflit qui martyrise la région et ampute humainement et économiquement une des régions la plus peuplée du pays. Les images du conflit sont rares et le gouvernement a longtemps nié la réalité même d’un conflit pouvant affecter les populations civiles. Quelles sont les clés pour comprendre le conflit larvé du Pool ?
Le Pool, entre la province de Nsundi et le royaume de Tio, les Kongos aux marges de l’ensemble Teke
Le département du Pool est une des régions de la République du Congo, communément appelée Congo-Brazzaville. Celui-ci se situe, entre les Plateaux, la Bouenza, le Niari, le Kongo Central (RDC) et le Mai-Ndombe (RDC). Le nom de la région est celui du lac Pool Malebo formé autour de Brazzaville aussi bien que des anciennes routes commerciales empruntées par Henri Morton Stanley : route dite de Stanley-Pool. Le nom originel est celui de Mpumbu si l’on se tient à cette référence topographique.
Figure 1 Carte du Pool et des principaux districts
Il se compose des districts de Kindamba, Boko, Goma Tsé-Tsé, Igné, Kinkala, Kimba, Louingui, Loumo, Mayama, Mindouli, Kibosi, Loulombo, Kinkembo, Linzolo, Mbandza-Ndounga, Ngabé et Vindza. Ces toponymes sont en majeure partie liés à d’anciens chefs Kongo (tels Goma Tse Tse), ou des clans Kongos (Kindamba comme le clan Ndamba l’un des 12 mvilas primordiaux kongos) ou marqueur d’une étape dans les migrations Kongos (Boko est significatif d’un temps d’un arrêt lorsqu’on change de villages).
En effet, le Pool correspond en partie à l’ancienne partie de la province de Nsundi, partie septentrionale du royaume Kongo (Kongo dia Ntotila) tout comme une partie de la Bouenza et le Kongo Central. Il correspond aussi au royaume de Tio (Teke), tantôt vassal tantôt rival de Kongo dia Ntotila, qui sera désigné à la veille de la conquête coloniale sous le vocable de « royaume de Makoko ». Le Sud du Pool était connu par les Kongos sous le nom de Mbula Ntangu.
Figure 2 Frontières de Kongo dia Ntotila
Ainsi la population du Pool est composée en grande partie de multiples sous groupes kongo : Ba-Lari, Ba-Nsundi, Bakongo ba Boko, Ba-nyanga, Ba-hangala, Ba-Dondo, Ba-Kamba. Bien entendu, plusieurs sous groupes Teke sont aussi présents : Tio, Lali, Tié.
Au fil du XIXème siècle, les Kongos vont finir d’essaimer peu à peu sur tout le Pool au-delà de la zone d’influence directe de Kongo dia Ntotila par leur nombre et par les mariages d’alliances qui ont permis de supplanter les groupes Teke dans leur voisinage, auparavant majoritaires au XVII et XVIIIème siècle. L’événement majeur sera la défaite d’Ambwila du 29 octobre 1665 et l’échec de la réunification du royaume sous le monarque Pedro V[1] via Kimpa Vita en 1705. A partir de ce moment là, en conséquence des guerres intestines entre le Mwene le plus puissant, le Mwene Soyo, le ntotila de Mbanza-Kongo ainsi qu’avec les Portugais de la colonie de Luanda, la population kongo de la province de Nsundi principalement va occuper le Nord de la région, où elle était déjà présente minoritairement.
Ainsi l’identité du Pool est désormais indissociable de l’identité kongo et cela se cristallise au travers de deux forces sociopolitiques complémentaires : le référent de Kongo dia Ntotila comme catalyseur de la lutte et le messianisme kongo.
Le Pool, un foyer de résistance historique contre le pouvoir central colonial de Brazzaville
Lorsque le Congo Français naquit en 1903 créé par la Mission de l’Ouest-Africain par Savorgnan De Brazza, la dénomination de la région avoisinant Brazzaville et faisant partie géographiquement du Pool Malebo partagée avec l’actuelle Kinshasa fut d’abord désignée sous le nom de Bas-Congo en 1905, avant de prendre le nom de Pool en 1921, de reprendre le nom de Bas-Congo en 1931 avant de reprendre le nom de Pool en 1934. Sachant dans ce Pool original, la Bouenza fait alors partie intégrante du Pool.
Depuis le début de la conquête coloniale française, le Pool est un foyer de la résistance à travers deux de ses figures, Mabiala ma Nganga et Boueta-Mbongo. En effet, à partir du 7 juillet 1886, les populations kongos du Pool s’opposent au ravitaillement du poste de Brazzaville via la route de Loango en attaquant les convois, ces attaques d’abord menées par Mabiala Ma Nganga puis à Boueta Mbongo jusqu’en 1899 où le second meurt mettant fin à la résistance de la conquête coloniale française des alentours de Brazzaville.
Ces épisodes durant une dizaine d’années vont marquer autant l’imaginaire des Kongos du Pool que l’administration centrale coloniale. Dès lors le découpage administratif s’organisa de manière à diviser le pouvoir entre les différents mfumu mpu, mfumu nsi et mfumu kanda[2] pour contrecarrer toute centralisation d’un pouvoir pouvant s’opposer à l’Etat colonial.
Dès lors, le découpage administratif de cette région a été modifié plusieurs fois de manière significative. La région fut appelée Bas-Congo en 1905, Pool en 1921, Bas-Congo en 1931, et Pool de 1934 à 1946. Ainsi le Pool original et mythique tel que vécu dans l’imaginaire populaire comprend l’actuelle région de la Bouenza en plus du département actuel du Pool.
Au cœur de l’identité de la région du Pool se trouve donc la lutte contre le pouvoir central perçu comme injuste et illégitime. Cela s’est cristallisé autour de l’action d’André Matsoua. Créateur d’une Association Amicale des Originaires de l’Afrique Equatoriale Française, il organisa une action militante en vue d’améliorer les conditions de vie des Congolais et d’abolir le code de l’indigénat. Pour ce faire, des cotisations étaient organisées pour soutenir l’action du mouvement à travers tout le Congo, le soutien le plus massif fut dans sa région d’origine le Pool. Vu comme séditieux, Matsoua fut arrêté et condamné à la déportation au Tchad le 2 avril 1930. Il s’en suit un mouvement populaire et de soutien envers sa personne et une radicalisation des revendications qui dès lors sont uniquement portés par le Pool. La région connait alors la répression coloniale connue sous le nom de « guerre des 3 Francs » née du refus de payer cet impôt durant la deuxième moitié des années 30. Celle-ci ne va s’abattre que dans le Pool et en majeure partie sur la population Lari (déportations, villages brûlés, exécutions sommaires). Cette répression ne s’appliquant que dans le Pool et étant liée à l’action de Matsoua, participa à la construction du Pool comme espace martyr et bastion de la résistance anticoloniale, ainsi les anciennes figures de Mabiala Ma Nganga et de Boueta Mbongo sont remobilisés. A celles-ci s’ajoutent les figures de chefs soutenant l’Amicale de Matsoua tels que Goma Tse Tse, Biza et Mbiemo. La construction identitaire du Pool comme foyer de résistance anticolonialiste s’ancre davantage.
Figure 3 Occupation du Pool en 1930
Après la seconde guerre mondiale, l’attente messianique du retour d’André Matsoua après sa mort supposée en 1942 des suites de son arrestation, se mêle avec le millénarisme issu de Simon Kimbangu et une revalorisation du Lemba, une des 4 écoles initiatiques kongos. Ainsi va naître le matsouanisme, dont la forme laïque se traduit par le refus de toute participation à toute activité politique liée à l’action coloniale, ainsi que le rejet de la culture occidentale (langue, religion, vêtements) et le refus du recensement. Le matsouanisme marqua l’imaginaire Kongo-Lari et le Pool y fut le fief, par ses lieux sacrés où Matsoua eut fait son itinéraire, et sacralisant la région entière marquée par la « guerre des 3 Francs ».
Les effets larges furent le boycott du Pool des échéances électorales en votant pour « Bihisi bia Matsoua » (les ossements de Matsoua). Ce comportement marginalisa les Laris dans la scène politique congolaise pendant près de dix ans, jusqu’à l’émergence de l’abbé Fulbert Youlou en 1955. Malgré qu’il fut originaire du Pool et Lari, les matsouanistes lui furent opposés, le considérant comme servant les forces colonialistes, et ce jusqu’à son éviction en 1963 lors des Trois Glorieuses par un mouvement populaire dirigé par une union syndicale.
Enfin, les émeutes de 1959 entre les partisans de l’UDDIA de Youlou et le MSA de Jacques Opangault affilièrent le Pool comme fief d’un des antagonistes binaires structurant de la dualité Kongo/Ngala, Lari/Mbochi, Nord/Sud. Considéré comme le point de bascule de l’introduction de la violence politico-ethnique au Congo, ces événements sont le point de départ du sentiment anti-mukongo, anti-lari et anti-pool qui sera l’une des caractéristiques de la guerre civile de 1997-2002 et de ses affres.
Pour conclure, ces événements donnèrent au Pool et aux populations le constituant dans l’imaginaire populaire, une symbolique de résistance contre le pouvoir central présent à Brazzaville, une image magnifiée pour le passé anticolonialiste mais une image qui en fera la principale cible à dominer dans les clivages politico-ethniques désormais en partie structuré en Nord/Sud, Kongo/Ngala, Lari/Mbochi.
Le Pool, théâtre expiatoire de la guerre civile congolaise 1997-2002
La crise sécuritaire du Pool trouve ses origines dans les cendres chaudes du conflit de la guerre civile entre 1997-2002. En effet, durant cette période, le Pool en dehors de Brazzaville concentre la majeure partie des zones des conflits avec le Niari, en premier lieu entre les milices Ninjas et les milices Cobras, puis entre les Ninjas-Nsilulus.
Pour résumer la complexité de ce conflit et la place du Pool, il faut rappeler que ce conflit est marqué par les retournements d’alliances entre Bernard Kolelas, Denis Sassou Nguesso et Pascal Lissouba. Le Pool étant le fief des milices Ninjas de Kolelas, celui-ci n’a pas été touché directement par la guerre, Kolelas ayant passé un accord de non agression avec Sassou, ce dernier déclarant la guerre contre Lissouba et l’armée régulière ainsi que ses milices dites « Cocoyes » et « Zoulous ». Ensuite, il faut rappeler qu’en plus de cette vision politicienne et tactique, s’ajoute la fracture politique entre les populations Kongos et Mbochis construite depuis les émeutes de 1959, occultée en partie par le marxisme-léninisme (malgré les assassinats du cardinal Biayenda et du président Alphonse Massamba-Débat). Le Pool étant le fief des Kongos et des Laris en particulier, la région est identifiée comme némesis désigné en cas de litige politique et militaire à brimer.
Figure 4 Fiefs régionaux des belligérants congolais del a guerre civile 1997-2002
Les tensions et conflits débutèrent peu de temps après l’élection à la magistrature présidentielle de Pascal Lissouba en 1992, qui après un conflit entre milices favorables à la majorité présidentielle de Pascal Lissouba et à ses rivaux du Parti Congolais du Travail (PCT) conduit par Sassou Nguesso et du Mouvement Congolais pour la Démocratie et le Développement intégral (MCDDI) de Bernard Kolelas. Ce conflit crée les milices politiques, antagonistes principaux de la guerre de 1997 aux côtés des armées étrangères et des forces gouvernementales.
Le Pool devient le théâtre principal de combat du fait de sa proximité avec la capitale Brazzaville, terrain d’affrontement urbain entre les différents groupes armés pour la conquête du pouvoir, offensive menée à partir du 5 juin 1997 par les milices Cobra de Sassou Nguesso. Le mandat de Lissouba finissant le 31 aout 1997, il s’agit de mener une guerre éclair Blitzkrieg pour conquérir le pouvoir effectif avant cette date butoir où le pouvoir est censé être vacant. Ainsi, le 8 septembre 1997 toutes les régions du Nord sont sous contrôle de Sassou et des Cobras. A partir de ce moment-là, l’armée régulière dont les meilleurs éléments avaient déjà fait défection au profit de Sassou, est officiellement contrôlé par celui-ci, de retour au sommet de l’Etat.
Les Forces militaires en présence dans le Pool sont l’armée régulière, les milices politiques ou locales (les Ninjas de Bernard Kolelas vs les Cobras soutenant Denis Sassou), les mercenaires et troupes étrangères (DSP mobutiste, rwandais interhamwe, tchadiens et armée angolaise) toutes aux côtés des Cobras de Sassou.
L’entrée tardive des Ninjas de Bernard Kolelas débute le 10 octobre 1997. Même si Lissouba fuit le 25 octobre 1997, la victoire militaire de Sassou n’a pas débouché d’une victoire politique. Ainsi après la fuite de Lissouba, durant l’année 1998 ses milices Cocoyes de Lissouba restent mobilisées et repassent à l’offensive dans le Niari. A partir de là, le Pool et le Niari deviennent des fronts, les milices Cocoyes et Ninjas s’alliant contre les milices Cobras et les forces gouvernementales congolaises, ces dernières totalement avec Sassou depuis le début de l’automne 1997. Si en septembre 1998, les Ninjas attaquent l’armée dans le Pool, les Cocoyes conquièrent le 19 décembre 1998 la ville de Nkayi, chef-lieu de la Bouenza et 4ème ville du pays. Les milices ayant un fief dans la région sud du Pays sont pour la premières fois depuis leur création alliées et bénéficient l’une et l’autre de leurs actions. La configuration des affrontements politiques et militaires reprend alors le schéma Nord/Sud, Kongo/Mbochi.
Les populations civiles du Pool sont prises comme complices des Ninjas par les forces gouvernementales, de par leur appartenance ethnique aux Kongos-Laris, comme Kolelas créateur de la milice. Dès lors, les exactions des forces gouvernementales congolaises et des milices cobras prennent une allure ciblée voire génocidaire envers les Laris du Pool. Plus qu’une stratégie de la terre brulée (villages incendiés et bombardiers, arbres fruitiers détruits), le triage ethnique sur base d’examen des anthroponymes (noms de famille à consonances kongo) s’effectue au niveau du Djoué. Du 18 décembre 1998 au 20 décembre 1998, deux arrondissements sud de la capitale, Bacongo et Makélékélé, sont investis par l’armée angolaise et les Cobras pour traquer les Ninjas, puis bombardés.
L’offensive simultanée des milices Cobras et de l’armée angolaise se poursuit dans l’année 1999 au cœur du Pool multipliant les exactions, mes viols et pilages envers les populations civiles.
En parallèle, les ninjas de Kolelas se voient concurrencés puis rejoignent une nouvelle milice à tendance ngunza (messianisme kongo à tendance traditionnaliste) dirigé par Frédéric Bitsamou/Bitsnangou, tradi-praticien né en 1965 et ancien fidèle de l’église nativiste de Papa Esaie, leader religieux populaire du quartier de Poto-Poto de Brazzaville au début des années 1990. Rassemblant les Cocoyes, les Ninjas et sa création milicienne les Nsilulus, il crée le CNR (Conseil national de la Résistance). Désormais les Nsilulus deviennent le principal antagoniste des forces gouvernementales. Après l’année 1999, les combats dans le Niari diminuent et la région devient peu à peu sous contrôle de l’armée gouvernementale.
Ainsi le Pool, considéré comme le fief et étant affilié aux Nsilulus, centralise l’attention des belligérants avec l’utilisation du viol comme arme de guerre par les Cobras et les forces armées congolaises mais les Nsilulus commettent aussi des exactions contre les populations civiles, celles-ci se trouvant entre deux feux. Dans ce théâtre de guerre, les distinctions entre civils et combattants ne sont pas effectuées par les Cobras et l’armée congolaise, certains massacres se déroulant même dans les couloirs humanitaires tout au long de l’année 1999. Ces mêmes couloirs humanitaires deviennent au contraire un goulot d’étranglement comme l’illustre l’affaire des disparus du Beach, où près de 700 jeunes hommes rentrèrent de Kinshasa via un couloir humanitaire mais furent assassinés sous prétexte d’être de potentiels Ninjas-Nsilulu. De prime abord, ce massacre fut caché par les autorités congolaises et fut seulement révélé par la découverte du conteneur transportant les corps des disparus. Cette affaire illustre le rôle symbolique du Pool en tant que bête expiatoire de la guerre civile congolaise qui se finit en 2002 avec l’élection présidentielle remportée par Denis Sassou-Nguesso.
Les cendres mal éteintes de la guerre annonciatrices du conflit post-électoral de 2016
La situation du Pool fut changée par la guerre civile 1997-2002, passant de statut de « grenier de Brazzaville » avec des infrastructures correctes à région sinistrée dont la convalescence s’éternise plus d’une dizaine d’années après l’élection de Sassou-Nguesso en 2002. Il faut attendre 2004 pour que les bailleurs internationaux prennent conscience de la destruction des infrastructures à la suite de la campagne CARITAS.
Figure 5 Etat des lieux des infrastructures dans le Pool en 2004
L’élection de Denis Sassou-Nguesso en 2002 clôt la guerre civile généralisée mais le conflit larvé s’installe dans le Pool, considéré comme un sanctuaire pour les nsilulus de Ntoumi et le foyer des éternels empêcheurs de tourner en rond par le pouvoir central de Brazzaville. Dans la zone dite de Mpangala, l’insécurité reste importante aussi bien pour les populations que pour l’armée congolaise, les zones d’instabilité n’étant résorbées qu’en 2010. Ceci représente la dernière étape d’une longue tentative de normalisation de Ntoumi dans le champ politique congolais, débutée en 2007 où le CNR devient un parti puis la se en 2009 où il travaille avec l’Etat en tant que «délégué général auprès du chef de l’État, chargé de la promotion des valeurs de paix et de la réparation des séquelles de guerre » directement auprès du président Denis Sassou-Nguesso. L’opération Kimia en 2010 est lancée par les forces gouvernementales pour en finir avec les combats sporadiques et l’insécurité chronique causés par les anciens nsilulus, un an après la réélection de Sassou-Nguesso en 2009.
En parallèle de cela, la reconstruction publique ne commence réellement et timidement en 2012-2013. En effet, la municipalisation dite accélérée ne touche que les chefs lieux et les grands axes routiers, et non des zones marginalisées telles que Mpangala. Ailleurs les bailleurs internationaux, la diaspora congolaise ainsi que les riches citadins sont les acteurs principaux de la reconstruction du Pool. Ainsi les affres de 98 sont loin d’être réparées à l’aube du conflit post électoral des élections de 2016.
Les tensions naquirent avec le changement de la constitution en 2015 et l’arrestation de nombreux opposants politiques, contesté de manière massive par une partie de la société civile et une coalition de l’opposition. En 2016 se déroulèrent les élections présidentielles où Denis Sassou-Nguesso fut candidat à sa propre succession. Le huit clos imposé durant le dépouillement fut opéré par une coupure des réseaux internet et téléphoniques pendant plusieurs jours avant l’annonce des résultats dans la soirée. Peu de temps après, prenant prétexte d’une action de vandalisme contre un poste de police, le gouvernement congolais lança une opération contre son ancien vieil ennemi Fréderic Bintsamou alias Ntoumi. Celui-ci pourtant était rallié à l’équipe gouvernementale depuis 2008.
A la suite de la réélection contestée de Denis Sassou-Nguesso le 20 mars 2016, éclata une attaque présumée des anciens miliciens Ninjas-nsilulus auprès des postes de police dans les arrondissements Makelekele et Bacongo.
De là commencèrent les premiers bombardements dans le Pool, dont les positions présumées de Ntumi dans le Pool à partir du 4 avril 2016. Il s’agit là d’une action unilatérale alors présentée comme une « opération de police ». Dès lors au-delà des propriétés de Ntoumi furent bombardés les villages alentour dans le Pool. Il s’agissait de tuer dans l’œuf toute velléité de contestation à la réélection de Sassou dans une région ayant fait part historiquement de sa propension à s’ériger contre le régime de Sassou, contre le pouvoir central colonial et néocolonial de Brazzaville de manière générale.
Ce conflit se déroula alors quasiment à huit clos, prenant de l’ampleur car les anciens nsilulus et des nouveaux reprirent les armes, celles-ci n’ayant pas été tous rendus lors du précédent «Désarmement, démobilisation et réintégration » (DDR). Les populations du Pool, livrées une fois de plus aux affres de la guerre, se réfugièrent par milliers à Brazzaville ainsi que dans les régions voisines de la Bouenza et de la Lekoumou. Déjà sinistrée économiquement par la guerre civile de 19 ;98-2002 dont elle ne s’est pas remise (faute de dédommagement et de véritable programme de reconstruction étatique).
Les affres de la guerre de 98 réapparurent avec leur lot de réfugiés, près d’une dizaine de milliers répartis entre les départements de la Bouenza et du Niari. Les villages autour de Soumouna, Kindamba, Kibosi furent bombardés mais il fallut attendre l’automne 2016 pour que les autorités reconnurent la présence d’un conflit jusqu’alors qualifié « d’opération de police » et qualifiant les ninjas de « terroristes ».
Les causes de ce conflit sont directement liées à la contestation des élections présidentielles de 2016, bien que le point de départ fut une offensive unilatérale vis-à-vis des dits anciens ninjas de Ntumi. En effet, identifier les belligérants de manière certaine est assez difficile, les ninjas et Ntoumi démentant le casus belli étant l’attaque des postes de police dans les quartiers Bacongo et Makélélé le 4 avril 2016. De là certains parlent d’une manipulation des autorités pour faire taire par prévention toute velléité de contester le résultat controversé des urnes.
La disparité des forces antagonistes devint au fil de l’année 2016 jusqu’au printemps 2017 une sérieuse gêne pour les autorités congolaises. De nouveau, le Pool fut bouclé militairement et la suspicion fut jetée sur tout jeune Lari présent dans la région, près des fiefs tenus par les nsilulus ou plutôt près des attaques lancées par ceux-ci. En effet, ceux-ci firent plusieurs embuscades auprès des forces armées congolaises, rendant ainsi le conflit visible aux yeux de la communauté internationale et un mandat d’arrêt fut émis contre Ntoumi.
L’épilogue du conflit post électoral trouve sa source dans les difficultés financières du Congo, qui ayant reçu une inspection du FMI n’a plus les moyens de mener une guerre coûteuse dans le Pool et qui détériore l’image du pays. Ainsi en décembre 2017 furent signés des accords de paix entre Ntoumi et le gouvernement pour un cessez le feu et un processus de désarmement des milices. Dans la seconde moitié de l’année 2018, le processus de désarmement s’accomplit, soutenu par Ntoumi qui par la même occasion fit sa première apparition publique. Néanmoins, les principales questions de ce conflit sont toujours en suspens : quelles sont les réelles causes de déclenchement de ce conflit, qui sont les véritables belligérants et leurs véritables rôles ? De nombreux nsilulus ont désavoué Ntumi en le considérant comme un pantin des autorités, tout comme une partie non négligeable du Pool, fatiguée de voir leur région servir de bouc émissaire des tensions politico-ethniques.
Bruce MATESO
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[1] Nvitila A Nkanga connu sous le nom de Pedro V ou Pierre V.
[2] Mfumu tsi, mfumu nkanda et mfumu mpu désigne respectivement le chef de terre, le chef de famille et le chef couronné. Le titre de mfumu tsi et de mfumu mpu nécessite une initiation spécifique, tandis que le mfumu nkanda est uniquement désigné. Un mfumu tsi est désigné comme mfumu nkanda lorsque le ou les clans sous sa direction changent de village. Jusqu’à prise de possession marchande et rituelle d’un territoire, il n’est alors désigné que sous le terme de mfumu nkanda ou mfumu mpu s’il a reçu l’initiation nécessaire.