La Casamance est une région du sud du Sénégal, enclavée entre la Gambie et la Guinée-Bissau. Sa position géographique et son importante superficie lui ont permis pendant longtemps d’être l’une des régions les plus dynamiques du pays. Pourtant, depuis 1982, la région est en guerre. Un conflit qui, certes a perdu en intensité en comparaison à ses débuts, mais qui reste aujourd’hui en suspens.
Qu’en est-il vraiment des enjeux de ce conflit ? Pourquoi après près de quatre décennies de conflit passées quasiment sous silence, la Casamance ne parvient-elle pas à retrouver sa paix d’antan ?
La naissance du mouvement indépendantiste
Le 04 avril 1960 le Sénégal accède à l’Indépendance. Son premier président, Léopold Sédar Senghor, laisse alors espérer aux petits mouvements diolas de Casamance, déjà marginalisés du reste du peuple sénégalais, une possibilité d’indépendance. Seulement voilà, le gouvernement ne tiendra jamais sa promesse. D’autre part, des terres de la luxuriante Casamance sont attribuées à des colons musulmans venus du Nord. Pol iticiens et chefs religieux casamançais lancent alors un appel pour l’indépendance.
Une revendication mobilisatrice puisque le 26 décembre 1982, une foule de rebelles mêlée au peuple indigné manifeste devant le siège de l’administration régionale. Le Mouvement des Forces Démocratique de Casamance (MFDC) est né. Cependant, ce n’est qu’un an plus tard), à l’anniversaire de la manifestation devenue historique, que le mouvement prendra une réelle ampleur. La branche militaire du MFDC fraichement créée et les forces de l’ordre lors de violents affrontements. Cette date marque le début d’un conflit de plusieurs années, durant lesquelles l’État mobilise les troupes militaires pour combattre des rebelles déterminés et organisés.
Les acteurs du conflit
Si le conflit n’est toujours pas résolu, trois décennies après son commencement, c’est en grande partie du fait des différents acteurs qui refusent de passer outre leurs divergences pour trouver un terrain d’entente.
Le MFDC
Le principal acteur reste les rebelles du Mouvement des Forces Démocratiques de la Casamance (MFDC), présent aux prémices du conflit. Ce mouvement disparate est présidé par Salif Sadio, chef suprême des rebelles en faveur d’une indépendance totale et sans concessions. Équipés de coupe-coupe, machettes, fusils artisanaux et mines artisanales, les rebelles s’installent dans des maquis aux quatre coins de la région. Par ailleurs, des bandits se sont à plusieurs reprises mêlés aux rebelles et aux maquisards, créant une confusion. Longtemps soutenu par l’ex-dictateur Yahya Jammeh, le chef autoproclamé se dispute la tête du mouvement indépendantiste avec bon nombre d’autres chefs de villages et politiciens régionaux.
Quatre présidents, une hantise : l’indépendance.
Face à ce mouvement hétérogène, les différents gouvernements sénégalais ont toujours tenu une ligne dure face au « problème casamançais ». Il n’a jamais été question pour les autorités sénégalaises d’accorder l’autonomie à la région pour des raisons économiques et diplomatiques évidentes comme le risque d’une alliance entre la Casamance et la Guinée-Bissau « ennemie ».
- Leopold Sedar Senghor, président jusqu’en 1980, reste ouvert aux négociations.
- Abdou Diouf, à la tête du gouvernement de 1981 à 2000, optera pour une stratégie offensive et radicale. Son objectif est d’éliminer tous ceux qui adhèrent de près ou de loin aux idées séparatistes du MFDC. L’armée est mobilisée sur une longue période et des crimes de masses sont réalisés. Aujourd’hui encore, des charniers n’ont pas été retrouvés.
- Abdoulaye Wade, président de 2000 à 2012, tentera lui de monnayer la paix. Il lance l’opération « messiers Casamance » qui consiste à envoyer des représentants de l’Etat, munis de mallettes pleines de billets dans ladite région. Il parvient à diviser les séparatistes puisque certains signeront des accords de paix en échange des billets(moyennant finance / en échange d’argent) . En somme, cette approche déstabilisera le MFDC sans pour autant pacifier la région.
- Macky Sall, actuellement au pouvoir, a, lui, rouvert les négociations. En mai 2003 il crée L’Agence National pour la Relance des Activités économiques en Casamance (ANRAC).
Les enjeux
Le conflit casamançais est justifié par des questions profondes, à la fois politiques, économiques, diplomatiques et identitaires. Tout d’abord géographique, du fait de l’enclavement de la Gambie qui sépare la Casamance du reste du territoire sénégalais. Un isolement naturel qui a créé dans le cœur de nombreux casamançais un sentiment de non appartenance au reste du pays de la Teranga.
A cela s’ajoute des raisons économiques puisque la Casamance, autrefois surnommée « le grenier du Sénégal » dispose de terres fertiles, d’une végétation luxuriante et représente un territoire propice à l’agriculture et à la pêche, activités principales de l’économie sénégalaise. La riziculture a pendant longtemps représenté un secteur florissant pour le pays qui aspire à l’autosuffisance alimentaire. Sur le plan culturel, plusieurs groupes socio-culturels cohabitent dans la région : les Diola, les mandingues, les peuls,… Ces ethnies divergent sur de nombreux points comme la religion. C’est la minorité chrétienne diola qui s’emparera massivement du conflit, dès 1982.
Enfin, la très verte Casamance possède de nombreuses et importantes forêts. Le bois, considéré comme sacré, est exploité clandestinement par des trafiquants et donne lieu à des violences récurrentes.
Les temps forts de la guerre
- 26 décembre 1982 : première manifestation devant l’administration régionale.
- 17 décembre 1983 : premier anniversaire de la manifestation de 1982. Cette fois les séparatistes sont armés de machettes, fusils artisanaux et autres armes blanches. Les affrontements sont d’une grande violence et marque un réel tournant dans le rapport entre autorités et séparatistes.
- 1982 – 1990 : le gouvernement lance une chasse aux maquisards et aux séparatistes dans toute la Casamance. L’armée multiplie les exactions qui ne feront qu’exacerber cette crise en partie identitaire.
- 1991-2005 : pas moins de trois accords de cessez-le-feu sont signés durant cette période. Certains événements comme la disparition de 4 touristes français en 1995 en Casamance donneront lieu à un non-respect systématique de ces accords, et ce de la part des deux partis.
- Juillet 2014 : douze forestiers sont kidnappés par les troupes du chef rebelle Salif Sadio. Une rançon est demandée et les otages seront libérés quelques jours plus tard.
Aujourd’hui ?
Aujourd’hui le conflit est considéré comme étant « de faible intensité » et perd de plus en plus de considération de la part des organisations internationales et africaines. Il est aujourd’hui compliqué de faire un bilan du conflit tant les études et les statistiques manquent. L’ANRAC a estimé fin 2014 le nombre de déplacés internes à 52 800 et à 20 000 le nombre de réfugiés en Gambie et Guinée-Bissau confondues. Un nombre qui malheureusement ne cesse d’augmenter. D’autres parts, les opérations de déminage ont été suspendues depuis 2014 sur le territoire sénégalais. Une décision lourde de conséquences quand on sait que les explosions de mines ont causés en 2017 la mort de 14 personnes.
A un bilan humain lourd, estimé à plus de 10 000 personnes depuis le début du conflit, s’ajoute les milliers de blessés, de veuves, etc. Un grand nombre de personnes sont dans des situations très précaires et sont abandonnées à leur propre sort. Par ailleurs, les conflits autour des bois sacrés contribuent à l’instabilité permanente.
Récemment, le 6 janvier dernier, 14 personnes ont été massacrées alors qu’elles ramassaient du bois. Les assaillants ont été reliés, peut-être hâtivement, au MFDC.
Les Casamançais ne cessent de protester dans l’attente que le gouvernement prennent enfin en considération leur voix. Aujourd’hui, le discours du président de la république Macky Sall reste porté sur la relance économique sans réellement prendre en considération les autres aspects tout aussi importants qui ont mené à ce conflit sans fin. Ces 36 années de violences ont profondément traumatisé le peule Casamançais. Des populations qui n’attendent qu’une chose : la paix.
Tacko Biaye
Ressources numériques :
FOUCHER Vincent, « Pas d’alternance en Casamance ? Le nouveau pouvoir sénégalais face à la revendication séparatiste casamançaise. », Politique africaine 2003/3 (N° 91), pages 101-119.
MARUT Jean-Claud, « Désarroi et révolte en Casamance », Monde Diplomatique, Mars 1993.
Paix En Casamance, « La paix en Casamance menacée par une mine de zircon », Blog Médiapart, Septembre 2017.
ROBIN Nelly, « Le déracinement des populations en Casamance. Un défi pour l’État de droit », Revue européenne des migrations internationales, 2006/1 (vol. 22).