Les prétentions indiennes en Afrique dans le sillage de la ChinAfrique ?

 

Les relations indo-africaines correspondent aux formes de coopérations entre la République de l’Inde et les pays africains qui entretiennent toutes sortes de relations avec la première nommée. En raison des liens entre la Chine et l’Afrique, ce phénomène est a fortiori assimilé à la ChineAfrique compte tenu de la rivalité sino-indienne et de la politique de New-Delhi en Afrique.

Géant asiatique et acteur hégémonique au sein de l’Asie du Sud, l’émergence de l’Inde à l’échelle internationale caractérise sa politique étrangère et ses prétentions à l’ONU. Sixième puissance mondiale devant la France et juste derrière l’ancienne métropole britannique, l’Inde est également la troisième puissance asiatique après la Chine et le Japon, mais devant la Corée du Sud. De toute évidence, la communauté internationale et les puissances qui la compose, devra compter dans un futur proche sur l’Inde, de par sa démographie (un milliard et sept cent mille habitants d’ici 2050), son arsenal nucléaire, son positionnement géographique très stratégique et ses ambitions périphériques et mondiales. N’oublions pas que l’Inde fait partie des BRICS composée du Brésil, de la Russie, de la Chine et de l’Afrique du sud.

Toutefois, plusieurs facteurs laissent présager un avenir moins prospère pour l’Inde, les scénarios catastrophes ne sont pas à prendre à la légère. En effet, eu égard à son défi démographique mal appréhendé par les autorités fédérales, de sa dépendance énergétique en Asie centrale et en Afrique, du risque d’insuffisance alimentaire, les facteurs d’instabilités internes au Cachemire ou par les mouvements séparatistes ou le fondamentalisme Hindou. En somme, la fragilité de l’Etat fédéral indien impacte également l’efficacité de ses administrations, plusieurs défis attendent l’ancien Raj britannique, qui avant de se projeter sérieusement sur le monde comme son voisin chinois, devrait d’abord consolider ses atouts qui renforceront son statut de puissance globale.

En face, le continent africain est hétérogène et dégage plusieurs dynamiques, qu’elles soient collectives ou individuelles, nous ne pouvons pas analyser l’Afrique comme un ensemble monolithique, mais comme un continent qui se développe à différentes vitesses. Nous ne pouvons parler d’un bloc régional qui est plus intégré qu’un autre, puisqu’à l’intérieur même de ces blocs, des pays accusent du retard sur un autre. Nous avons donc une Afrique divisée en plusieurs moteurs, qui dynamisent un espace régional diversifié et polyvalent. Si certains Etats ou groupes se démarquent comme l’Afrique du Sud, la ceinture septentrionale (Algérie, Maroc et Egypte), le corridor oriental (Kenya, Tanzanie et Ethiopie) et le géant aux pieds d’argiles nigérian, l’influence qu’ils exercent se limite à leurs sphères régionales respectives, tant bien que celles-ci sont parfois contestées par d’autres pays plus fragiles comme le Tchad ou le tandem Ouganda-Rwanda dans l’Afrique des Grands Lacs.

Pour revenir aux relations indo-africaines, les principaux pays concernés sont d’une part, ceux où les diasporas indiennes sont le plus implantées à savoir, l’Afrique du Sud, le Kenya, la Tanzanie et les îles africaines de l’Océan Indien comme la Réunion, l’Île Maurice ou Madagascar. D’autres parts, le Nigéria, l’Egypte, le Mozambique et l’Ethiopie font parties des douze premiers partenaires africains de l’Inde, les hydrocarbures, les terres arables ou l’ingénierie sont les principales activités ou domaines de prédilections entre New-Delhi et l’Afrique. En outre, le Commonwealth reste un socle linguistique capital, réunissant effectivement sous la couronne britannique, tous les pays ayant été sous influence (Excepté le Rwanda qui en a fait la demande)  du plus grand empire colonial contemporain.

L’historicité contemporaine entre l’Inde et l’Afrique est symbolisée par les communautés indiennes établies en Afrique orientale et australe, notamment l’Afrique du sud où la lutte du très controversé Mahatma Gandhi est ancrée dans l’esprit de Bandung et par extension, est devenue un outil diplomatique ayant pour but d’entériner dans le passé les liens étroits entre l’Inde et l’Afrique. Néanmoins, l’influence indienne sur le continent s’étiole au profit de la Chine, de l’Egypte ou des pays qui supportent les mouvements indépendantistes ou révolutionnaires. Avec ses idéaux pacifistes et sa volonté propre de ne pas livrer d’armes ou de logistiques aux pays africains qui étaient dans le besoin, l’Inde s’est de facto isolée du théâtre africain, dépassée par les soubresauts idéologiques liés à la Guerre Froide. Au-delà de son soutien formel aux pays africains, la nationalisation des économies kényanes et ougandaises entraîna la spoliation des propriétaires indiens, ce qui ne provoqua pas une crise diplomatique pour autant, l’Inde préférant préserver son amitié avec l’Afrique.

Néanmoins, les guerres avec le voisin pakistanais, soutenu par plusieurs pays arabes, contribua à éloigner l’Inde de ses alliés non-alignés comme l’Egypte. Sur le plan interne, les difficultés propres à l’Inde limitèrent sa projection sur la scène internationale, parachevant jusqu’au 21ème siècle, son éloignement idéologique et politique avec l’Afrique.

Vue d’Asie orientale, Le 21ème siècle pour le continent africain s’est ouvert avec le premier sommet sino-africain, en 2000 aux yeux de ses rivaux périphériques, la Chine a affiché ses ambitions en Afrique où les perspectives de développement, sa jeunesse, son sous-sol nanti de ressources naturelles ainsi que son potentiel énergétique deviendront les futurs enjeux des pays émergents ou développés. Compte tenu de ses facteurs, aucune puissance confirmée ou en devenir comme l’Inde, ne peut se passer des atouts africains, de toute évidence, New-Delhi n’a jamais réellement rompu avec l’Afrique, en revanche, la percée chinoise sur le continent a été un des motifs convaincant afin de réactiver ses réseaux diasporiques et diplomatiques.

Tout comme les forums sino-africains, les sommets indo-africains (Le premier ayant eu lieu en 2008) sont triennaux et souvent caractérisés par des dons, des subventions, des programmes de coopérations ainsi que l’annulation de dettes en milliards de dollars. Les motivations indiennes sont multiples et communes. Tout comme la Chine, l’Inde a besoin des pays africains afin d’être soutenus sur la scène internationale, notamment à l’ONU où New-Delhi aspire à un siège permanent au sein du Conseil de Sécurité, souhait marqué par le veto instinctif de Pékin. Ensuite, l’Inde cherche à pérenniser et renforcer son approvisionnement en matières premières, ressources phares et tant prisées du continent africain. Par ailleurs, l’acquisition de terres arables est une condition sine qua non pour la sécurité alimentaire indienne, menacée par l’infertilité de ses sols et les conséquences écologies liées à la pollution. En retour, l’Inde exporte ses produits agricoles, pharmaceutiques (Bien que des jointes-ventures avec des entreprises africaines existent afin de booster la production locale), technologiques et informatiques en raison du marché africain qui s’est harmonisé avec l’offre indienne. En outre, l’Inde investit également dans le domaine des énergies renouvelables, l’ingénierie, des infrastructures routières et ferroviaires tout comme le secteur automobile symbolisé par le groupe Tata.

Le poids des échanges commerciaux illustrent également l’ampleur des relations indo-africaine. En 2017, l’Inde représentait presque 10% des importations africaines, suivie de près par la Chine et les Etats-Unis d’Amérique. Depuis 2016, l’Inde est le pays qui importe le plus d’Afrique (19 milliards de Dollar) devant la Chine (18.5 milliards de Dollar) et les Etats-Unis d’Amérique (14.9 milliards de dollar). Cependant, en termes d’exportations, Pékin surclasse largement ses concurrents. En effet, la Chine représente 16.4% des exportations vers l’Afrique, l’Inde se classant «seulement» en quatrième position (5.77%) derrière l’Afrique du Sud et l’Allemagne, mais devant les Etats-Unis.

Concernant les diasporas indiennes, celles-ci devraient être les forces motrices essentielles de la politique de New-Delhi en Afrique. Environ un million en Afrique du Sud, 720.000 dans l’île Maurice,  100 000 au Kenya, 90 000 en Tanzanie, 28 000 à Madagascar, à 9 000 au Botswana, à 8 000 en Ouganda et à 4 000 en Zambie. Comme nous l’avons analysés précédemment, les relations indo-africaines du 20ème siècle ont engendrées plusieurs conséquences, cependant, il y’en a une que nous n’avons pas abordé : Les liens entre les coolies indiens éparpillés en Afrique orientale et australe et la « mère-patrie ».

Les premiers nommés ont eu le sentiment d’être délaissés par l’Inde suite aux expropriations survenues dans les années 1970, ou pendant l’Apartheid bien que New-Dehli fut un farouche opposant au régime ségrégationniste de  Pretoria. En définitive, les liens entre le pays d’origine et les diasporas se sont fissurés, d’ailleurs, malgré l’occidentalisation des indiens d’Afrique, les langues vernaculaires ainsi que les religions indiennes (en plus de l’islam) n’ont pas disparues. En revanche, Narendra Modi, le premier ministre indien, sait qu’il doit capitaliser sur ses ressortissants qui sont un pont culturel et diplomatique, une vitrine de la puissance indienne en dehors de son territoire, ainsi qu’un canal pour les investissements en Afrique.

Qu’est-ce que l’Afrique pourrait attendre de l’Inde ? Une fois n’est pas coutume, la demande provient toujours de l’extérieur pour les pays africains, des européens, en passant par la Chine ou le Japon, les initiatives pour développer des partenariats avec l’Afrique ne proviennent jamais du continent, et l’Inde ne fait pas figure d’exception. Si le rapport « gagnant-gagnant » est régulièrement rappelé par les autorités indiennes, les pays africains ont conscience que ces partenariats bilatéraux sont clairement à l’avantage de l’Inde, tout comme avec ses autres partenaires commerciaux à l’instar de la Chine. Bien évidemment, l’Inde présente les mêmes atouts et contraintes que Pékin, notamment au niveau du transfert de technologie et du savoir-faire tant quémandés par les africains. En revanche, les partenariats public-privé ainsi que les jointes-ventures permettent au secteur industriel africain d’employer davantage de locaux, qui sont formés via des programmes universitaires proposés par l’Inde.

En dernier lieu, il est important de souligner le climat négrophobe en Inde, où plus de 40.000 africains y vivent. Si les multiples agressions racistes envers les ressortissants négro-africains sont très souvent médiatisées, le manque de réactivité des diplomates du continent est palpable. Bien que le meurtre de l’étudiant-enseignant congolais Olivier Masundo Kitenda en 2016 ait incité les dignitaires africains à boycotter pour un temps les African Day (Evènements organisés par l’Inde pour les relations culturelles), leur participation finale a sonné comme une réaction avortée. Par peur de froisser le partenaire indien, le sort et le bien-être des africains en dehors de leurs pays ne sont pas une préoccupation pour les dirigeants d’Afrique, une fois de plus.

 

Pour conclure, les relations indo-africaines sont en plein essor et surtout, en pleine confirmation. L’Inde a effectivement pour projet d’ouvrir presque vingt ambassades supplémentaires en Afrique afin de densifier et étendre ses canaux d’influences sur le continent. Reprenant les mêmes procédés de la Chine, à savoir, ceux du Consensus de Pékin, New-Delhi tente de singulariser son approche en se focalisant sur ses relations historiques avec l’Afrique, ses diasporas installées depuis la fin du 19ème siècle dans certaines régions africaines orientales et australes, ses partenariats jugés plus équitables ou encore, l’aide humanitaire et militaire illustrées par les 6000 soldats indiens présents en Afrique sous la banderole onusienne.

Pour l’Afrique, un énième partenaire économique devrait être, entre autres une opportunité de sorte à mieux négocier les potentiels avantages tirés des contrats d’exploitations, ou alors, de jouer des inimités explicites entre certains de ses « pays amis » comme la Chine ou l’Inde, ou encore le Japon. Cette marge de manœuvre qui vient à elle devrait être une autre corde à son arc, déjà bien nanti d’ailleurs. Cependant, ce sont les pays étrangers qui formulent les demandes, et non l’inverse. Certes, l’Inde n’est pas aussi puissante que la Chine en Afrique, n’a pas les mêmes acquis que la France ni les mêmes moyens de coercitions que les Etats-Unis d’Amérique, en revanche, ses ambitions reste proportionnées à ses capacités actuelles relativement modestes. Une Inde puissante de l’intérieure, ayant des rapports souples avec la Chine et son voisin belliqueux pakistanais, ne sera plus à prendre à la légère, tout au contraire.

 

 

Sources :

LAFARGUE François, L’inde en Afrique : Logique et limites d’une politique, Afrique Contemporaine, 2006, 137-149.

LINCOT Emmanuel, Enjeux et perspectives des nouvelles routes de la soie, Monde Chinois, 2015, 16 à 26.

MONTGRENIER Jean-Sylvestre, Contenir la Chine : Un enjeu géopolitique et civilisationnel, Monde Chinois, 2017, 105-115

SULEYMANOV A.V, India-Africa: Trade, investment and humanitarian projects, Management Institute of Nijni Novgorod, 2016, 654-664

Le Monde, En Afrique, l’Inde à l’ombre du géant chinois, Juillet 2016  lhttps://abonnes.lemonde.fr/afrique/article/2016/07/06/inde-afrique-a-l-ombre-du-geant-chinois_4964883_3212.html

La Tribune Afrique, Diplomatie : L’Inde annonce 18 nouvelles ambassades en Afrique, Avril 2018, https://afrique.latribune.fr/politique/2018-04-03/diplomatie-l-inde-annonce-18-nouvelles-ambassades-en-afrique-773977.html

2 commentaires sur « Les prétentions indiennes en Afrique dans le sillage de la ChinAfrique ? »

  1. Bonjour Mr. Dieudonné votre article m’a fortement intéressé et je voudrais vous proposer le publier sur le portail africain de l’intelligence économique ? si cela vous intéresse n’hésitez pas à me contacter

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