LA PARTICIPATION CITOYENNE AUX POLITIQUES BUDGETAIRES EN AFRIQUE : Les manifestations contre la loi de finances 2018 au Niger.

Au NIGER : le 31 décembre dernier, les manifestations reprenaient de plus belle à Niamey à l’encontre de la loi de finances 2018, menées par deux coalitions politiques de l’opposition dont le FRDDR (Front pour la restauration de la démocratie et la défense de la République ) principal parti d’opposition.

En effet, cette loi adoptée le 27 novembre 2017, prévoit une nouvelle hausse de la tarification de l’énergie électrique, l’établissement de la taxe d’habitation aux propriétaires et occupants des locaux situés dans les chefs-lieux de région, de département ou de commune, et l’application de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) fixée sur certains produits de première nécessité.

Depuis octobre 2017, l’opposition et les organismes de la société civile avaient clairement affiché leur position au travers des manifestations à l’encontre de cette loi, qu’ils jugent « antisociale ».

Au CAMEROUN : De même, au Cameroun, le projet de loi de finances 2018 avait également fait réagir divers acteurs de la société civile.

A ce titre, le GICAM (Groupement Inter patronal du Cameroun) avait dans un communiqué de presse, constaté l’incongruité du projet de loi de finances 2018 par rapport aux besoins du secteur privé, et déplorait l’absence d’une approche participative dans l’élaboration de cette loi.

En effet, de nouvelles taxations ont été introduites, notamment sur l’exportation des produits forestiers secondaires importants pour l’entreprenariat rural.

Le GICAM dénonce également la non prise en compte dans l’élaboration de la loi de finances de ses propositions « pourtant dûment motivées et transmises au gouvernement en temps utile », et exprime son inquiétude face à cette loi qui remettrait en cause les avancées réalisées « pour créer les conditions de la confiance au sein du secteur privé ».


Force est de constater qu’en Afrique, les pouvoirs en place perdent de plus en plus leur légitimité au regard des populations qu’ils gouvernent.

On pourrait rattacher l’émergence de ces mouvements d’insurrection et de contestation à l’exclusion de la société civile [1] dans l’élaboration des politiques, qu’elle juge aux antipodes des préoccupations sociales.

Il convient dès lors de s’intéresser à la place que doivent occuper les citoyens (secteur privé, société civile) dans l’élaboration de la politique budgétaire d’un Etat.

I- LE FAIBLE ACCES DES CITOYENS AUX DOCUMENTS BUDGETAIRES 

Les lois de finances déterminent, pour un exercice (une année civile) la nature, le montant et l’affectation des ressources et des charges de l’Etat, ainsi que l’équilibre budgétaire et financier qui en résulte.

Dans bon nombre d’Etats africains, l’élaboration et l’exécution des politiques budgétaires se font toujours à huit clos entre les mains du pouvoir exécutif, à l’exclusion du pouvoir législatif qui n’y joue qu’un rôle secondaire d’approbation.

De manière générale le processus budgétaire se divise en 4 étapes cruciales [2] au cours desquelles sont établis les 8 documents budgétaires clés.

  • La préparation de la loi de finances .
  • L’approbation de la loi de finances : qui se finalise par le vote de la loi de finances de l’année, dite « loi de finances initiale ».
  • L’exécution du Budget, avec le vote des lois de finances rectificatives qui modifient en cours d’exercice les dispositions de la loi de finances initiale, si l’équilibre financier prévu par cette dernière est modifié.
  • L’audit du Budget et le contrôle parlementaire avec le vote de la loi de règlement qui constate l’exécution de la loi de finances de l’année.

Documents budgétaires – Source : Centre Parlementaire – Programme Afrique

Pour mesurer la transparence budgétaire , l’Enquête sur le Budget Ouvert à travers 109 indicateurs,  se base sur des critères internationalement reconnus mis au point par les organisations multilatérales.

Ces indicateurs sont utilisés pour évaluer la mesure dans laquelle le gouvernement central met à la disposition du public les huit documents budgétaires clés en temps opportun et si les données contenues dans ces documents sont exhaustives et utiles. Chaque pays est noté sur un score de 100 qui détermine son classement dans l’Indice sur le budget ouvert.

Tel qu’il ressort de cette enquête  [3] , en Afrique subsaharienne l’Indice sur le Budget Ouvert (IBO) mesurant la transparence budgétaire est encore faible (sur 100) : 17 au Niger, 4 au Tchad, 39 en République Démocratique du Congo, 43 au Burkina-Faso, 44 au Cameroun ;

Cependant, certains pays arrivent à atteindre des scores substantiels : 62 en Ouganda, 65 au Malawi, et 86 en Afrique du Sud. On enregistre également une nette évolution dans certains pays, tels que le Benin qui est passé de 1 en 2012 à 45 en 2015.

En effet, certains gouvernements d’Afrique subsaharienne [4] ont mis au point en collaboration avec la société civile un « Budget Des Citoyens ».

C’est un document produit par le gouvernement en consultation avec les citoyens tendant à vulgariser les informations, afin d’offrir une présentation compréhensible et concise des données budgétaires à l’ensemble de la population.

Rédigé en langage clair et concis, ce document joue un rôle inébranlable dans l’engagement citoyen.

En dépit de ces progrès, on constate que la plupart des documents budgétaires qui sont établis restent toujours hors de la portée du public. Les gouvernements ne les publient pas, ou très peu, en temps et heure, et ces derniers ne comportent pas les informations nécessaires pour comprendre les dépenses et les recettes de l’Etat.

II- LA FAIBLE PARTICIPATION CITOYENNE A LA PREPARATION ET À L’ADOPTION DU BUDGET 

« La participation citoyenne peut se définir comme un processus d’engagement obligatoire ou volontaire de personnes ordinaires, agissant seules ou au sein d’une organisation en vue d’influer sur une décision portant sur des choix significatifs qui toucheront leur communauté » (André, Martin & Lanmarfankpotin, 2012)

Tel que l’a souligné le GICAM[5], les pouvoirs exécutifs ont tendance à élaborer le budget annuel avec le concours d’organisations internationales (FMI, Banque Mondiale) sans le concours pourtant nécessaire de la société civile.

Il est nécessaire non seulement, de mettre en place la participation des citoyens au processus d’élaboration du budget en collaboration avec le pouvoir exécutif, mais aussi que ces derniers prennent part au contrôle en proche collaboration avec le pouvoir législatif et les institutions supérieures de contrôle des finances publiques.

Plusieurs mécanismes doivent être érigés afin d’encourager l’intervention des citoyens tout au long du cycle budgétaire. Il faudrait notamment systématiser les consultations ou les concertations avec les différents organismes de la société civile, ou élaborer des audiences publiques portant sur les budgets des ministères et sur les rapports d’audit.

Par conséquent, des reformes sont nécessaires pour créer un espace de dialogue entre le gouvernement, le secteur privé, les acteurs de la société civile sur les différentes problématiques des finances publiques.

A titre d’exemple, la RDC [6]a adopté en 2010 le Plan stratégique de réforme des finances publiques (PSRFP) avec la mise en place en 2012 d’un Cadre Permanent de Concertation et de suivi des reformes des finances publiques.

Cependant, ces différentes initiatives n’auront eu que peu d’incidence ; Car en vertus de l’enquête de l’IBP (de 2015) sur la participation citoyenne, le score de la RDC s’établit à 13/ 100.

Dans les autres pays la participation des citoyens au débat budgétaire s’avère également extrêmement faible : 29 pour le Mali, 17 pour le Benin, 13 pour le Sénégal et le Cameroun, 2 pour le Tchad.

Néanmoins, beaucoup d’Etats sont sur la bonne voie en consacrant une décentralisation budgétaire.

En effet, actuellement plusieurs pays d’Afrique subsaharienne pratiquent au niveau communal le mécanisme du « Budget Participatif »[7] : le Sénégal, Madagascar, la République Démocratique du Congo, le Cameroun, l’Ouganda ou encore le Kenya.

Véritable avancée, ce mécanisme permet d’établir un dialogue entre les habitants et les autorités locales sur la gestion fiscale, et d’obtenir une meilleure allocation des ressources  locales aux besoins essentiels des populations.

CONCLUSION

L’inclusion des citoyens dans le processus budgétaire apparaît comme le fer de lance d’une démocratie bien établie.

Et pour cela, une effective responsabilisation ne saurait guère se faire sans un contrôle efficient réalisé durant la phase d’exécution du budget.

Conscients de cet impératif, et en raison de la pression internationale [8]exercée sur bon nombre d’Etats, certains ont commencé à incorporer la question de la transparence budgétaire dans leurs objectifs politiques.

Grâce à cette prise de conscience, plusieurs organismes de la société civile (OSC) ont émergé, jouant ainsi un rôle non négligeable dans la bonne gouvernance en Afrique  et travaillant en proche collaboration avec les Etats sur des questions intéressant la communauté.

La présence de ces acteurs dans la sphère politique permet en outre d’améliorer l’efficience des politiques budgétaires et d’adapter ces politiques aux réels besoins des citoyens. Ils servent également d’agents de contrôle dans l’exécution de ces politiques et dans l’utilisation des ressources publiques.

Cependant, beaucoup d’efforts restent à faire pour accorder aux citoyens une place prépondérante dans la prise des décisions politiques.

[1]  L’ensemble des rapports interindividuels, des structures familiales, sociales, économiques, culturelles religieuses qui se déploient dans une société donnée en dehors du cadre et de l’intervention de l’Etat ( J-L Quermonne)

[2] Le processus budgétaire en Afrique : Une étude comparative dans sept pays, du Centre parlementaire (programme Afrique)

[3] Enquête sur le Budget Ouvert 2015, les Budgets transparents transforment les vies, de International Budget Partnership.

[4] Mali, RDC, Ghana, Afrique du sud

[5] Afriki presse : Cameroun, une loi de finances spoliatrice ? du 07 décembre 2017

[6] Etats des lieux actuels de la transparence des finances publiques et de la participation en RDC, CABRI SPO, mars 2017

[7] Les défis de la démocratie participative, Quand l’Afrique réinvente la citoyenneté locale, le monde diplomatique, octobre 2011 , et Transparence des finances publiques et participation en Afrique, Alta Fölscher, Emilie Gay, Octobre 2012, CABRI SPO

[8] Le code du FMI de bonnes pratiques en matière de transparence des finances publiques et les meilleures pratiques de l’OCDE en matière de transparence budgétaire

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