Cela fait déjà une décennie que de nombreux pays subsahariens ont recours aux eurobonds sur les marchés obligataires internationaux pour répondre à leurs besoins d’infrastructures ou financer leurs dettes. On estime le montant levé par ces Etats durant la période 2007-2017 à un peu plus de 20 milliards USD.
L’objet de cet article est de revenir sur les conditions qui ont permis l’essor de ce mode de financement puis d’exposer les risques y étant liés.
Les États et les entreprises peuvent se financer sur le marché obligataire : compartiment de marché où s’échangent des titres de créances à moyen et long terme. En effet, dès lors qu’une entreprise ou un État recherche une source de financement, ils peuvent émettre des titres de créances tels que des obligations. Les obligations sont des titres de dette pour ses émetteurs et de créances pour ses souscripteurs. Les obligations sont émises sur un marché primaire généralement à un taux fixe et négociées sur un marché secondaire avec un prix évoluant en fonction des taux émis sur le marché primaire. La société ou l’entreprise s’engage à rembourser le capital emprunté à une échéance déterminée et à verser un intérêt annuel (coupon). Un eurobond autrement dénommé euro-obligation n’est autre qu’une obligation émise dans une monnaie différente que celle du pays émetteur. Ce type de produit est généralement libellé en USD.
Tandis que les pays émergents (Chine, Brésil, Inde) émettent des obligations libellées dans leur monnaie locale, les pays subsahariens émettent pour la plupart leurs obligations en devise (monnaie étrangère) pour des raisons que nous traiterons par la suite.
La ruée des États subsahariens vers les marchés de capitaux internationaux pour soutenir leur besoin en développement
Les Seychelles furent le premier État d’Afrique Subsaharienne (hors Afrique du Sud) à émettre un eurobond en 2006 d’une valeur de 30 millions USD. Le Ghana a été le second pays à émettre un eurobond d’une valeur de 750 millions USD à un taux de 8,5% pour une échéance de 5 ans. Par la suite le Ghana a eu recours à ce mode de financement à 4 reprises (2013, 2014, 2015). Au sein de l’UEMOA et de la CEMAC, l’émission d’eurobonds est restée limitée à 5 pays : Gabon (2007, 2017), Congo (2007), Sénégal (2009, 2017), Côte d’Ivoire (2010, 2017), Cameroun (2015). Entre 2010 et 2017, d’autres pays d’Afrique subsaharienne ont émis des eurobonds tels que le Nigéria, Tanzanie, Zambie, Mozambique, Rwanda, Afrique du Sud, Éthiopie, Kenya et l’Angola.
L’échéance de remboursement de ce type d’obligation se situe entre 2021 et 2032. Ces pays devront rembourser un peu moins de 4 milliards USD par an avec un coupon (intérêt) annuel de 1,5 milliards USD.
Des conditions favorables pouvant expliquer le recours à ce mode de financement sur les marchés internationaux
Selon l’économiste américain Joseph Stiglitz, l’aide publique au développement et les prêts concessionnels accordés par des organismes bilatéraux ou multilatéraux se sont montrés inadéquats dans la résorption du déficit infrastructurel et à une réduction significative de la pauvreté sur le continent africain. Les conditions associées à ce type de financement et l’étroite surveillance des États bénéficiaires en font une source de financement beaucoup moins attractive.
Le désendettement des économies africaines, le marché obligataire domestique encore peu développé et l’attrait des investisseurs étrangers pour leurs dettes constituent l’ensemble des raisons justifiant le recours aux eurobonds.
- Désendettement des économies africaines
En 1996, le fonds monétaire international (FMI) conjointement avec la Banque Mondiale a lancé un programme (initiative PPTE) visant à assister les pays pauvres très endettés (PPTE) face à l’insoutenabilité[1] de leurs dettes extérieures. Un pays doit satisfaire plusieurs critères pour bénéficier de ce programme :
- Etre éligible à emprunter auprès du FMI et de l’Association Internationale de Développement (IDA) de la Banque Mondiale.
- Faire face à des niveaux d’endettement extérieur insoutenable sans la possibilité d’user des mécanismes d’allégement de la dette.
- Mener des reformes et de saines politiques économiques avisées par la Banque Mondiale et le FMI.
- Avoir rédigé un document de stratégie pour la réduction de la pauvreté (DSRP).
Un pays ayant respecté ces critères, atteint le point de décision et est éligible à un allègement intérimaire du service de sa dette (le principal et les intérêts). Afin d’atteindre le point d’achèvement et ainsi bénéficier de la réduction intégrale du service de sa dette, le pays candidat se doit d’adopter et mettre en œuvre pendant au moins un an son DSRP, exécuter les réformes de manière satisfaisante comme convenu au point précédent et continuer de donner preuve de bonnes performances dans le cadre de programmes soutenus par des prêts du FMI et de la Banque Mondiale. Les 36 pays ayant atteint le point de décision ont vu passer leur service de la dette par rapport au PIB de 2,9% en 2000 contre 0,9% en 2011.
En 2005, l’initiative d’allègement de la dette multilatérale (IADM), a été introduite par le G8 de Gleneagles (Ecosse) et s’adresse aux pays qui ont atteint le point d’achèvement au titre de l’initiative des PPTE. Dans le cadre de ce programme, le FMI, la Banque Mondiale et la Banque Africaine de Développement (BAD) s’engagent à annuler la totalité de leurs créances vis-à-vis de ces PPTE.
Le Club de Paris est un groupe informel regroupant 22 pays créanciers dont le rôle est de trouver des solutions coordonnées et durables aux difficultés de paiements de pays débiteurs.
Les pays d’Afrique subsaharienne ayant à la fois émis des eurobonds ont bénéficié d’un des programmes d’allègement ou d’annulation de leurs dettes (Club de Paris, initiative PPTE et le IADM) excepté le Gabon, l’Afrique du Sud et l’Angola. En guise d’illustration, le Club de Paris a effacé sa créance vis-à-vis de la Côte d’Ivoire à hauteur de 99,95% soit 6,5 milliards USD. Cette dernière a vu aussi sa dette extérieure réduite de 24% par le FMI et la Banque Mondiale dans le cadre de l’initiative des PPTE plus un allègement de 1,3 milliards USD au titre de l’IADM.
En somme l’ensemble de ces programmes a permis à ces Etats de réduire leur ratio d’endettement sur PIB et de se financer sur les marchés obligataires internationaux à des conditions favorables.
- Un marché obligataire domestique peu développé
Le marché de la dette d’Afrique subsaharienne est largement dominé par les titres d’État de court terme. Les obligations d’entreprise sont quasi-inexistants dans cette zone à l’exception de l’Afrique du Sud. Les titres émis sur ce marché ont pour caractéristique d’être majoritairement de court terme ce qui entrave la capacité d’établir une courbe des taux comme référence des rendements offerts par les titres obligataires et leur tarification. Les marchés obligataires domestiques restent très peu développés excepté pour l’Afrique du Sud (la Bond Exchange of South Africa est la seule bourse d’obligation d’Afrique) et les taux de marchés sont plus élevés que sur les marchés internationaux incitant donc ces États à recourir à ce dernier pour se financer. Les transactions d’obligations sur la plupart des marchés sont opérées de gré à gré (over the counter). Le taux de rotation exprimant le volume de transactions d’un portefeuille d’actifs ou d’un actif seul (ici une obligation) est très faible ce qui signifie que la plupart des obligations sont détenues jusqu’à leur maturité. Le sous-développement des marchés obligataires domestiques africains résulte de l’incapacité de ces marchés à collecter l’épargne nationale due à une faible inclusion financière.
L’émission de dette en monnaie locale présenterait plusieurs avantages pour les pays d’Afrique subsaharienne. D’une part elle permettrait d’éliminer l’incertitude sur le cours de change et mettrait à l’abri les émetteurs d’une éventuelle dépréciation de leur monnaie ou d’une appréciation du dollar américain (pour l’émission d’un eurobond). Le risque d’inflation et de change est donc transféré de l’émetteur vers le souscripteur de l’obligation.
D’autre part, elle permettrait d’éliminer le fameux « péché originel » (Eichengreen, Hausmann et Panizza, 2002) où les pays en développement et émergents auraient des capacités limitées à émettre des titres de dette en monnaie locale. Ces pays sont donc contraints à s’endetter en monnaie étrangère et principalement en USD.
[1] Le niveau d’insoutenabilité siginifie un ratio dette/exportations supérieur à 150%
- L’attrait des investisseurs internationaux pour les titres de dette africains

Suite à la crise économique et financière de 2007-2008, les principales Banques Centrales (La Federal Reserve Bank, la Banque Centrale Européenne et la Banque d’Angleterre) ont mené des politiques d’assouplissement quantitatif (Quantitative easing, QE), politiques non conventionnelles consistant au rachat massif d’actifs (corporate bonds, obligations souveraines et titres hypothécaires) afin de faciliter l’octroi de crédits par les banques commerciales et donc de relancer l’activité et l’inflation. Les Banques Centrales ont alors baissé leur taux directeur, taux auquel les banques de second rang se refinancent, et s’ensuivit une baisse des taux d’intérêts par ces dernières. Les investisseurs en quête de rendements se sont donc tournés vers des obligations plus rémunératrices. Les émissions de dette des pays subsahariens profiteraient donc d’un effet de rareté. Selon Sergei Strigo, responsable dette émergente chez la société de gestion d’actifs Amundi (Londres) : « Si on assiste à une augmentation de la cadence des émissions obligataires africaines, les investisseurs ne seront pas nécessairement au rendez-vous. Pour l’instant, ces émissions internationales bénéficient d’un effet de rareté, mais si un pays comme le Rwanda commence à faire appel aux marchés plusieurs fois par an, il ne trouvera plus preneur. Il ne faut pas non plus oublier que la dette africaine est une nouvelle classe d’actifs qui n’a pas été testée sur le long terme, qui n’a pas encore d’historique, au contraire des dettes des grands pays émergents comme le Brésil. Une chose est sûre : les pays africains ne devraient pas se reposer uniquement sur des émissions d’eurobonds pour se financer ».
La deuxième raison pouvant expliquer la tendance de ces investisseurs suite au faible taux d’intérêt est l’amélioration des politiques publiques, de la gouvernance économique et les efforts menés en matière de transparence économique et financière pour certains Etats d’Afrique subsaharienne, le tout matérialisé sous la forme d’une amélioration de notation des dettes souveraines par des agences telles que Moody’s, Fitch Ratings et Standard & Poor’s. Les investisseurs seront donc plus rassurés quant à la solvabilité des pays africains.
Le recours aux marchés internationaux peut présenter des avantages pour les pays africains
L’alternative des marchés internationaux plutôt que les marchés domestiques incitent ces États à fournir davantage d’efforts en matière de transparence économique et financière et de gouvernance économique. En effet, les pays emprunteurs sont désormais surveillés par les prêteurs et une mauvaise gestion économique des premiers peut entacher la confiance des investisseurs et la visibilité des emprunteurs sur les marchés.
Contrairement aux marchés domestiques, les pays africains peuvent émettre des titres de maturité plus longue à des conditions relativement favorables.
Les émissions souveraines ne constituent en rien une panacée et les pays d’Afrique subsaharienne se doivent de conserver un cadre macroéconomique stable pour éviter une accumulation de la crise de la dette
L’émission de titres en devise peut se montrer risquée…
- La politique monétaire de la FED et son impact sur le cours du dollar
Les émissions de dettes souveraines africaines sont majoritairement en devises et plus particulièrement en dollars américains. Dès lors, les États émetteurs devraient se soucier de la politique monétaire de la FED celle-ci impactant les taux directeurs et mécaniquement les taux d’intérêt. Les pays émergents et les pays africains ont longtemps profité de la politique monétaire accommodante (quantitative easing) de la Federal Reserve Bank (FED) cependant le vent tourne. Près de 10 ans après avoir maintenu ses taux directeurs proche de zéro, la FED a décidé en décembre 2015 d’augmenter ses taux directeurs de 25 points de base (soit 0,25%). La FED a par la suite procédé à quatre hausses supplémentaires : en décembre 2016 et en mars, juin et décembre 2017. L’institution américaine prévoit trois nouvelles hausses en 2018.
La remontée des taux directeurs de la FED induit une remontée quasi-mécanique des taux d’intérêt et pourrait donc atténuer l’attrait des investisseurs internationaux pour les eurobonds africains qui se négocieraient à des conditions plus onéreuses.
De plus, la hausse des taux d’intérêt pourrait conduire[1] à une appréciation du dollar américain et les pays africains émetteurs d’eurobonds libellés en dollars seraient alors confrontés à un risque de change.
- Une conjoncture économique globale défavorable au remboursement de ces titres financiers
Les économies d’Afrique subsaharienne sont négativement impactées par la baisse du cours des matières premières et le ralentissement de l’économie chinoise. Les eurobonds sont principalement émis en dollars et les pays africains émetteurs d’eurobond sont confrontés à un risque de non-transfert. Il faudra à l’échéance avoir mobilisé suffisamment de recettes en devises, notamment par un excèdent courant[2], pour rembourser les principales et les intérêts de l’emprunt en dollars. Certains pays ont eu recours à la dévaluation de leur monnaie pour soutenir leur économie. La zone CFA est encore plus impactée par la conjoncture des matières premières. Les comptes d’opérations de la Banque des Etats d’Afrique Centrale (BEAC) et la Banque des Etats d’Afrique de l’Ouest (BCEAO) ne peuvent pas rester éternellement débiteurs ; ainsi ces dernières doivent détenir des réserves de change suffisantes pour maintenir un taux de change fixe entre l’Euro et le Franc CFA. Or l’on constate que des pays exportateurs de pétrole, tels que le Gabon et le Congo-Brazzaville, dont les recettes pétrolifères représentent respectivement plus de 40% et 80% des recettes budgétaires, voient leur volume d’exportations s’amoindrir, une forte dégradation de leur balance commerciale et par conséquent l’érosion de leurs réserves de change.
[1] La FED (et une quelconque Banque Centrale) peut agir sur le cours de sa monnaie selon l’orientation de sa politique monétaire. En effet, une hausse de ses taux directeurs (qui se matérialiseront sous forme d’une hausse des taux d’intérêt) mène à une meilleure rentabilité des prêts (obligations) et a pour corollaire l’attrait des investisseurs pour les titres libellés en dollars. Cet attrait des investisseurs se matérialisera par une demande massive en dollar et selon la loi de l’offre et de la demande, cette monnaie s’appréciera.
[2] La balance courante représente le solde des flux monétaires d’un pays lié aux échanges internationaux. Elle est composée de la balance commerciale, de la balance des services, de la balance des revenus et de la balance des transferts courants. Il est préférable pour un pays que le solde de sa balance courante soit positif (excédentaire). Ce qui lui permet d’accroître les avoirs nets étrangers qu’il détient, de rembourser sa dette plus rapidement et de renforcer sa capacité à prêter à d’autres pays. Alors qu’à l’inverse, une balance courante négative doit être compensée par des emprunts auprès d’agents extérieurs.
- Le durcissement des conditions de refinancement pour certains pays
Suite à la dégradation des finances publiques et au ralentissement de la croissance économique les agences de notations ont revu à la baisse les notations émises.
Le Congo-Brazzaville, le Gabon, le Mozambique (Caa3, perspective négative), la Zambie (B3, perspective négative), le Gabon et l’Angola semblent les plus exposés à un risque de défauts avec l’approche de l’échéance de leur eurobond.
République du Congo : l’agence de notation Standard & Poor’s a décidé d’abaisser (« B-» à « CCC ») l’été dernier la note de crédit souverain du Congo-Brazzaville dans le cadre de l’affaire Commisimpex. Standard & Poor’s estime que « la République du Congo fera défaut prochainement sur son eurobond et pourrait rester en défaut pour une période prolongée ».
Le Congo avait manqué le paiement de son coupon de 21 millions USD (à échéance du 20 juin 2017) lié à son unique émission d’eurobond en 2007. Le Congo a en effet versé la somme de 21 millions de dollars à son trustee mais les fonds ont été bloqués pour cause d’injonction de la justice américaine. Dans la foulée, Moody’s a dégradé en octobre dernier la note du pays d’Afrique centrale à Caa2 (ultra spéculatif) en rappelant ses mauvaises performances en terme d’efficacité du gouvernement, d’état de droit, de lutte contre la corruption et la qualité des réglementations selon les indicateurs de gouvernance de la Banque Mondiale.
Gabon : Moody’s a abaissé en juillet dernier la note du Gabon de B1 à B3 avec des perspectives négatives. L’agence de notation se justifie par la détérioration des finances publiques en raison de la chute des cours pétroliers, d’un manque de politique d’ajustement adaptée et de tensions de trésorerie pour le gouvernement.
Angola : Les agences de notation Standard & Poor’s ont abaissé la note de crédit (« B » à « B-» « B2 » à « B1 ») du pays pétrolier en raison des perspectives économiques du pays et de l’augmentation du service de la dette.
Nigeria : Moody’s a abaissé en novembre dernier la note du Nigeria passant de « B1 » à « B2 » et enfonce la dette nigériane dans la catégorie hautement spéculative. Selon Moody’s « les efforts des autorités pour répondre aux faiblesses structurelles liées à la baisse des prix du pétrole en augmentant les revenus non-pétroliers se sont jusqu’ici montrés infructueux ».
En somme, suite à la dégradation de la dette souveraine de ces États, ces derniers émettront des eurobonds à des conditions moins avantageuses et à un coût plus élevé.
- Les fonds vautours attirés par les pays en difficulté
L’expansion du marché secondaire de la dette a favorisé la venue de nouveaux acteurs sur ce marché : les fonds vautours.
Les fonds vautours sont des fonds spéculatifs qui rachètent sur le marché secondaire des obligations à très bas prix par rapport à leurs valeurs nominales, et qui cherchent à en obtenir le remboursement à leur valeur nominale et non de marché par le biais de procès (notamment par la justice américaine). La plus-value générée par ces opérations correspond à la différence entre le remboursement et l’achat de la dette au prix décoté. On estime les rendements nets des frais de justice entre 300% à 1200%.
« Le modus operandi est simple : acheter une dette d’une entité en difficulté à un prix dérisoire, refuser de participer à la restructuration, puis recouvrer le montant total de la dette, souvent à la valeur nominale plus les intérêts, arriérés et pénalités, à travers un procès si nécessaire. Les fonds vautours entraînent les pays pauvres dans une suite de procès, une pratique appelée « champerty » qui est généralement inconnue des systèmes juridiques africains. Les procédures judiciaires sont généralement longues et comportent de nombreuses actions en justice dont le « règlement » prend de trois à dix ans. D’après les documents juridiques, la durée moyenne du recouvrement peut raisonnablement être estimée à six années. » (Afbd.org)
- Une mauvaise gestion de ces ressources
Les flux financiers internationaux de capitaux issus de l’émission d’eurobonds ne sont toujours pas utilisés efficacement. Les fonds levés peuvent se trouver surdimensionnés par rapport au réel besoin de financement desdits projets d’infrastructures et ces derniers peuvent connaître des retards d’exécution. Certains pays émetteurs d’eurobonds se retrouvent aussi à payer des coûts comptables élevés en attendant la maturation de leurs projets. Les fonds ne sont pas toujours utilisés pour financer des projets d’investissements mais pour financer les déficits courants et budgétaires. Les émetteurs de ces eurobonds s’endettent alors pour résorber leurs dettes avec pour risque l’entrée vers une spirale d’endettement continu.
Et nécessite donc une gestion rigoureuse de la part de ces émetteurs…
Cedric Mbeng Mezui, économiste expert en marchés financiers et coordinateur de l’initiative des Marchés Financiers Africains (IMFA) de la BAD, estime que l’émission d’eurobonds nécessite au préalable une étude minutieuse des projets à financer et une analyse rigoureuse de la viabilité de la dette. Ainsi, il préconise l’utilisation de « project bonds ». La particularité des obligations de projets est le fait que les flux issus de l’émission sont intégralement dédiés à la réalisation du projet et que les remboursements sont réalisés exclusivement par les flux financiers générés par l’exploitation de l’infrastructure. Ces « project bonds » seraient dédiés au financement d’un projet unique et faciliterait donc la traçabilité des flux financiers et réduirait le risque de détournement de fonds.
Selon Mbeng Mezui « afin de promouvoir les obligations de projet, les intervenants doivent disposer d’un cadre de référence clair leur permettant de déterminer les projets éligibles au marché de capitaux. Ce cadre inclut l’évaluation des caractéristiques liées au crédit, des conditions du marché et des coûts de mise en place ».
Néanmoins la complexité de l’ingénierie financière et les octrois de garanties par des Etats ou des organisations multilatérales liés aux obligations de projets pourraient rendre ces dernières moins attractives.
Toutefois la BAD œuvre pour le marché des capitaux et les infrastructures
Dans l’optique de développer un marché de la dette africaine en monnaie locale, la BAD a lancé en 2008, l’Initiative des Marchés Financiers Africains (IMFA). L’IMFA repose sur deux piliers :
- Le Fonds des Obligations Domestiques Africaines (FODA) qui a pour objet d’investir dans des obligations souveraines libellées en devises nationales avec pour objectif d’encourager l’approfondissement des marchés obligataires locaux par l’investissement dans des titres à plus long terme et contribuer au développement de la base d’investisseurs sur les marchés locaux des obligations.
- La base de données de l’IMFA qui est une base de données exhaustive fournissant des informations actualisées sur les marchés obligataires africains en monnaie locale.
Depuis 2005, la BAD émet des obligations dans les devises suivantes : pula au Botswana (2005), cedi au Ghana (2006, 2007, 2009, 2013 et 2014), shilling du Kenya (2007), naira au Nigeria (2007, 2012, 2014), shilling de Tanzanie (2007), shilling d’Ouganda (2008, 2012 et 2013) et kwacha en Zambie (2009 et 2010). L’objectif étant d’améliorer la disponibilité de la devise locale pour les emprunteurs locaux et de contribuer au développement du marché des capitaux.
La BAD a introduit de nouveaux instruments de financement pour le développement du secteur privé. On note la garantie partielle de crédit (GPC), complétant la garantie partielle du risque (GPR), qui aide les pays performants à bas revenus avec de faibles risques de surendettement à mobiliser des financements commerciaux. Ces produits permettent de garantir en partie les obligations de remboursement des pays.
La BAD a créé en 2015 le fonds panafricain Africa50 dans le but de combler le déficit en matière d’infrastructures sur le continent à travers des investissements privés et des partenariats publics-privés (PPP). Africa50 est organisé en deux véhicules d’investissements Africa50 – Développement de Projets (DP) et Africa50 – Financement de Projets (FP). DP est amené à identifier les projets d’infrastructure destinés à soutenir le pipeline de projets bancables dès les premiers stades du cycle de développement des projets. De son côté FP a pour objet d’investir dans des projets d’infrastructures mis en œuvre par le secteur privé y comprit des PPP.
En conclusion, durant cette dernière décennie les eurobonds se sont montrés comme des instruments flexibles et ont permis aux émetteurs africains des levées de fonds beaucoup plus importantes et beaucoup plus rapides. L’émission d’eurobonds s’est montrée comme une alternative à l’aide au développement émanant d’institutions internationales ou de banques multilatérales toutefois ils ne représentent en rien une panacée. Les pays africains devront émettre un signal positif sur les marchés internationaux en maintenant un cadre économique stable et en continuant leurs efforts en matière de politiques publiques, de gouvernance économique et de transparence économique et financière. L’émission d’eurobonds devra faire l’objet au préalable d’une étude minutieuse des projets à financer et d’une analyse rigoureuse de la viabilité de la dette. De plus, l’émission d’eurobond rend ces émetteurs dépendant de la fluctuation du dollar, il est donc nécessaire que l’Afrique subsaharienne développe un marché obligataire domestique robuste en monnaie locale.
Maxime N’yokolo
Bibliographie
Camélia Echchihab, Les Echos – « L’Afrique subsaharienne à nouveau plombée par sa dette » (2016)
Jeune Afrique – Pourquoi la dette africaine attire les investisseurs (2013)
Julien Moussavi, BSI Economics – « Quand la Fed éternue, les pays émergents s’enrhument » (2013)
Cedric Mbeng Mezui, Making Finance Work for Africa – « Marchés obligataires »
Cedric Mbeng Mezui, Making Finance Work for Africa – « Eurobond ou Eurobombe » (2016)