La Somalie est un pays situé dans la Corne de l’Afrique. Cet Etat est né de la fusion entre le Protectorat britannique du Somaliland et de la Somalie italienne en 1960. De confession majoritairement musulmane sunnite et de culture somali, la population reste relativement homogène. La position stratégique de ce pays, carrefour entre les pays africains orientaux, le Golfe d’Aden et l’Océan Indien corrèlent avec l’attachement religieux et historique de la Somalie, qui a davantage été connectée au monde arabo-musulman.
Aujourd’hui enlisée dans une guerre civile depuis plus de deux décennies, la Somalie se démarque pour la défaillance totale de son «Etat», faisant partie des pays africains les plus fragmentés. En effet, plusieurs régions ont proclamé leur indépendance ou leur autonomie régionale, soit de manière définitive comme le Somaliland depuis 1991, ou le Puntland, soit pour une période éphémère, à l’instar du Jubaland. Présentant tous les critères d’un Etat défaillant : Appareil politique qui ne contrôle que la capitale, institutions politiques et économiques inexistantes, climat d’insécurité permanent, conflits claniques, catastrophes naturelles épisodiques, ingérences étrangères, déplacements de populations internes et dans les pays régionaux, et enfin, la Somalie présente le taux de corruption le plus élevé depuis 2012 selon Transparency International.
L’absence d’autorité sur ce territoire morcelé est une aubaine pour les seigneurs de guerres, les milices claniques, et surtout, pour la montée en puissance des groupes islamistes rigoristes tels que «Harakat al-Shabab al-Mujahedin» ou les C/Shebab. Souhaitant instaurer un «islam radicale sunnite» en Somalie, cette milice est la principale source de troubles internes. D’où viennent-ils et qui sont-ils ?
L’UNION DES TRIBUNAUX ISLAMIQUES (UTI).
Nébuleuse hétéroclite de clans, d’hommes d’affaires et de groupes religieux (modérés et radicaux), l’UTI se forge à l’orée de la Guerre Civile somalienne en 1991. N’exerçant que peu d’influence durant près de dix ans, soit entre 1993 et 2002, les tribunaux n’étaient pas politisés. En effet, ces derniers étaient actifs dans le milieu souterrain qui jouit des rivalités entre les chefs de guerres et l’impuissance du Gouvernement Fédérale de Transition. En parallèle, l’UTI a pu diffuser une vision plus radicale de l’Islam au sein des populations somaliennes, fortement aidée par son éparpillement à l’intérieur du pays, les idées de ce «conglomérat» clanico-religieux séduisent aisément les somaliens, premières victimes des exactions militaires et des interventions étrangères.
Le GFT et les chefs de guerre, deux acteurs qui personnalisent la défaillance de la Somalie.
Le Gouvernement Fédérale de Transition est créé en 2004 « succède » au Gouvernement National de Transition (2000-2003), reconnu par la communauté internationale, il est toutefois basé à Nairobi, puis à Baidoa au sud-ouest de la Somalie. La capitale, Mogadiscio est donc aux mains d’un panel de seigneurs de guerre issus de clans différents. Par ailleurs, le GFT reste impopulaire et illégitime aux yeux des somalis, et cela pour plusieurs raisons. Premièrement, il est soutenu par l’Ethiopie, l’Union Africaine, les USA, l’Union Européenne et l’ONU, ce qui symbolise l’ingérence de la communauté internationale dans les affaires somaliennes. Ensuite, le GFT entretient des relations avec l’ennemi historique, l’Ethiopie, qui est la principale cible de l’irrédentisme et du nationalisme somalien, ce qui représente une honte pour le pays. Enfin, le GFT ne détient pas d’armée, du moins, un appareil militaire endogène, indépendant et surtout fidèle. Tous ces facteurs induisent le GFT à dépendre du bon vouloir de la communauté internationale, peu motivée à s’aventurer une nouvelle fois en Somalie, l’opération Restore Hope lancée par les USA a refroidi toute ingérence dans ce pays, laissé globalement dans l’oubli.
Un manque de médiatisation qui profite aux chefs de guerre, qui depuis 1991, règnent sur Mogadiscio et les places fortes somaliennes. Entre 1991 et 2006, ces derniers ont développé leurs commerces respectifs, tout en s’adonnant à des actes de pillages, de pirateries maritimes et d’exactions militaires. Tandis que l’un, est internationalement reconnu, mais qui ne bénéficie d’aucune autorité en Somalie, c’est un gouvernement de jure. A l’opposé, des chefs de clans militarisés depuis 1991, qui contrôlent les organes politiques de la République Démocratique de Somalie, mais qui n’est pas reconnu par la communauté internationale. Au milieu de cette mosaïque de rivalités claniques et politiques, l’UTI se militarise et se pose comme le médiateur et l’unificateur de la Somalie.
Mogadiscio la Terrible.
Alors dominée par les clans disséminés dans la capitale, l’UTI, militarisé depuis quelques années, s’emparent rapidement et facilement de Mogadiscio, mettant en déroute les clans qui se replient à Jowhar où ils subirent une énième défaite. L’influence de l’UTI s’étendait également dans le sud-ouest et le long du littoral, contrôlant ainsi, l’Etat somalien amputé du Somaliland et du Puntland depuis 1991 et 1998. Cependant, les nouveaux maîtres de Mogadiscio, ne restèrent au pouvoir que jusqu’en décembre 2006, soit 6 mois. Comment expliquer une domination aussi courte ?
Tout d’abord, il faut préciser que la population était relativement favorable au règne de l’UTI, dans la mesure où les actes de malveillances comme les viols, vols, pillages ou autres, étaient sévèrement pénalisés par la Charia. Un semblant d’ordre et une reprise des activités économiques, sociales et scolaires étaient en marche, en revanche, l’intransigeance des islamistes était le coutre-coup. En effet, les loisirs étaient proscrits, tout comme les dynamiques commerciales du monde souterrain. D’abord perçu comme des libérateurs, l’UTI n’eut même pas le temps d’engendrer un réel soulèvement populaire, que l’armée Éthiopienne était déjà en train de reconquérir les territoires sous leurs influences.
Pourquoi l’Ethiopie entra en guerre contre l’UTI en Décembre 2006, sachant que le pays, tout comme la communauté internationale, étaient insensibles au règne des Seigneurs de guerre depuis 15 ans ? Afin d’assoir sa légitimité et de fédérer les somaliens, l’UTI utilisa la carte du nationalisme somali en évoquant l’irrédentisme nationale de la « Grande Somalie », dont les territoires correspondent aux cinq pointes de l’étoile blanche du drapeau somalien qui symbolisent les zones où vivent les Somaliens : dans l’ex Somalie britannique (Somaliland), la Somalie italienne (Somalie), la Somalie française (Djibouti), Ogaden (Éthiopie) et le District frontière du Nord (Kenya). De ce fait, l’UTI représente une potentielle menace pour l’Ethiopie et les pays voisins, d’autant que le facteur religieux est essentiel, étant donné que nous sommes face à un pays majoritaire chrétien, face à un espace promouvant un islam radical, avec des appels au Djihad venant des clans les plus dangereux, en l’occurrence les Shebabs. Accusés d’héberger des cellules d’Al-Quaïda, l’UTI est reconnu non pas comme un Etat, mais comme une menace à éliminer, a contrario des Seigneurs de Guerre. Et il est utile de rappeler le conflit entre l’Ethiopie et la Somalie de 1977-1978, où la région éthiopienne de l’Ogaden (Peuplée majoritairement de Somali et d’Oromo) a été envahie, puis reconquise par le régime d’Addis-Abeba. Alliée des USA dans sa guerre contre le terrorisme, l’Ethiopie concentre toute sa légitimité autour de tous ces facteurs, pour s’attaquer officiellement à l’UTI. Néanmoins, les motivations de l’Ethiopie se limitent-elles à ces arguments ? Assister à l’émergence d’un Etat somalien stable, en reconstruction politique et territoriale, ne menacerait pas l’hégémonie de la Corne d’Afrique ?
Toujours est-il que le démantèlement de l’UTI, qui fut chassée de ses principales villes par l’armée Éthiopienne, n’instaura pas un climat de stabilité, tout au contraire, ce fut une aubaine pour les Shebabs qui harcelèrent quotidiennement les troupes étrangères, en particulier à Mogadiscio, où l’Ethiopie se retira fin 2008. Par conséquent, le GFT, installé au « pouvoir » doit faire face aux attaques des Shebabs qui alignèrent les victoires militaires, jusqu’à la maîtrise totale de tous le sud-ouest somalien ainsi que son littoral de 2008 à 2011. Le règne de ce groupe, fondé sur la Charia, exaspéra les populations, d’autant que la famine de 2010 et le refus des ONG humanitaires, entérinèrent définitivement le soutien des somaliens envers les Shebabs, et ceci à point nommé puisque les troupes de l’AMISOM, déployées depuis 2007, chassèrent les terroristes de Mogadiscio et de leurs villes importantes durant l’été 2011. Toutefois, certaines zones rurales méridionales et maritimes, subsistèrent sous le contrôle des Shebabs.
Les acteurs en Somalie.
🇪🇹L’Ethiopie, puissance de la Corne de l’Afrique et limitrophe de la Somalie. Son ingérence dans la guerre civile somalienne atteint son paroxysme lorsqu’elle envahit les territoires occupés par l’UTI. Considérée comme l’ennemi historique de la Somalie (Guerre en 1977-1978 en Ogaden pour la « Grande Somalie »), l’Ethiopie souhaite endiguer le prosélytisme radicale diffusé par l’UTI et les Shebabs, d’où son intervention en Décembre 2006. En ce sens, l’Ethiopie peut compter sur le soutien indéfectible des Etats-Unis d’Amérique, qui dans le sillage dans sa lutte contre le terrorisme islamiste, compte sur Addis-Abeba pour contenir la prolifération des cellules islamistes en Corne de l’Afrique. Si l’Ethiopie s’implique autant dans la gestion des conflits en Somalie, c’est en partie pour contrer les prétentions régionales de ses voisins kényans et érythréens, néanmoins, les rivalités inter-étatiques dans la Corne d’Afrique ne sont pas l’objet de cet article.
🇰🇪Le Kenya, pays limitrophe au sud avec la Somalie, est intervenu en 2011, mais pour des raisons touristiques et sécurité-défense. En effet, le tourisme est un secteur d’activité important pour l’économie kényane, et plusieurs visiteurs étrangers ont été enlevé le long de la frontière entre les deux pays, tout accuse les Shebabs qui ont des espaces d’influences vitaux dans le Jubaland. Pourtant, le groupe islamiste réfuta totalement ces accusations, ce qui n’empêcha pas l’intervention militaire du Kenya dans la partie méridionale de la Somalie via des actions armées, mises en oeuvre et planifiées : nettoyer le sud de la Somalie jusqu’à la rivière Juba, prendre la ville côtière de Kismayo – véritable centre névralgique du mouvement – et, enfin, établir durablement une zone tampon d’une centaine de kilomètres. Celle-ci permettrait de limiter les actions des Shebabs tout en désengorgeant les camps de réfugiés situés au nord du Kenya pour les relocaliser au sud de la Somalie. D’un point de vue stratégique, le Kenya aspire à devenir une puissance africaine d’ici 2030, en voulant créer un axe d’hydrocarbure Djouba-Juba-Lamu-Addis-Abeba-Kismayo. En substance, le Kenya paya cher de son implication en Somalie, l’attentat/prise d’otages du centre commercial du Westgate en 2013 (68 morts, plus de 200 blessés), et l’attaque de l’université de Garissa en 2015 ( 152 morts et environ 70 blessés) illustrent la concrétisation des menaces proférées par les Shebabs en cas de stationnement des troupes kényanes dans le pays.
🇺🇬🇰🇪🇪🇹🇧🇮L’AMISOM (Mission de l’Union africaine en Somalie) est créée en 2007, c’est une mission de l’Union Africaine qui coalise des troupes militaires venant des pays voisins (Ouganda, Burundi, Ethiopie, Kenya ect…). L’objectif étant de soutenir le fragile gouvernement somalien, en place depuis le retrait de l’UTI. A l’instar de l’Union Africaine, l’AMISOM peine à démontrer son efficacité, plusieurs soldats ont été accusé de viols et de pillages, en outre, son retrait progressif depuis l’attentat de Mogadiscio en Octobre 2017, illustre son incapacité à réellement peser dans ce conflit.
🇺🇸Les Etats-Unis d’Amérique, qui ont été les premiers à s’ingérer dans le conflit somalien entre 1992-1993 via l’opération « Restore Hope », ont déployé des troupes à Mogadiscio. L’échec américain laissa la Somalie dans un Etat éclaté. En revanche, des opérations secrètes ont toujours été menées depuis fin 2016, les drônes américains frappent officiellement les zones où se situeraient les Shebabs, en Novembre 2017, les Etats-Unis ont annoncé la mort de 100 assaillants. En somme, le Pentagone semble revenir peu à peu dans le « Bourbier somalien », le retrait des troupes de l’AMISOM et la montée en puissance de la Chine en Corne d’Afrique, concordent effectivement avec cette nouvelle dynamique.
🇸🇴La diaspora somalienne reste un acteur vital pour la Somalie, éparpillée dans les pays limitrophes, en Europe, et surtout aux Etats-Unis, les ressortissants somaliens sont une manne financière non-négligeable pour les Shebabs, et pour la Somalie. En effet, via leurs activités dans le domaine de la téléphonie ou les banques (entreprises pour la plupart situées en Arabie-Saoudite). Enrôlant des soldats étrangers (Sud de l’Arabie, Golfe Persique, sous-continent indiens, africains), les Shebabs peuvent aussi compter sur les « enfants » de la diaspora, facilement engrainés par les messages de propagandes, d’où la présence de la Somalie dans le « Muslim Ban » de Donald Trump.
- Les racines de la Guerre civile somalienne viennent de la débâcle militaire face à l’Ethiopie en 1978, dès lors, les clans du Nord du futur Somaliland se soulevèrent face aux flux migratoire des somaliens de l’Ogaden, armés par Mogadiscio. L’éclatement de la Somalie à partir des années 1990 instaura une ère d’instabilité perpétuelle, marquée par l’absence d’une réelle et légitime autorité gouvernementale, de chefs de guerres qui se partagent le contrôle du territoire, et de milices religieuses qui accumulent les attentats meurtriers.
- Alors minoritaires sous le régime de Siad Barre (1969-1991), les clans prônant un Islam rigoriste via l’instauration de la Charia, gagnèrent en influence au sein des couches populaires et élitistes. L’émergence des UTI dans la scène politique et militaire, témoigne de la collusion faite entre les traditions somalis et l’islam, dont la dualité et la cohabitation entre ces deux cosmogonies ont façonnées le fonctionnement des tribunaux islamiques à Mogadiscio.
- La défaillance de l’Etat somalien et de ses éléments les plus dangereux, ne se limitent pas à la seule Somalie, les pays frontaliers sont également touchés par la prolifération de violences qui animent le pays. En revanche, il faut préciser que les intérêts des puissances voisines varient selon les intérêts en jeu, le Kenya et l’Ethiopie, sans rajouter l’Ouganda, n’ont pas la même représentation de ce conflit, ni la même solution à apporter. Des Etats plus éloignés comme les Etats-Unis se déploient depuis les années 1990, afin d’endiguer le terrorisme, l’Érythrée souhaite freiner les ardeurs des éthiopiens dans la région…
- La menace des Shebabs a permis de mettre en avant le rôle que peut jouer l’Union Africaine dans la résolution de conflits armés en Afrique, l’AMISOM est née de la prise de Mogadiscio par l’UTI, bien que son efficacité ne soit pas in fine, à la hauteur des investissements, cette mission de l’UA démontre que l’Afrique pourrait en partie ses problèmes internes.
Sources :
Le Kenya en Somalie : les raisons d’une intervention risquée
Le Kenya rentre en guerre en Somalie
Les Tribunaux Islamiques en Somalie: Une bonne politique de gouvernance ?
L’UTI affirmer avoir pris Mogadiscio
Les Shebab, une milice divisée au pouvoir de nuisance durable
Somalie, chronique d’un Etat failli.
Chronologie des attaques perpétués par les Shebabs
Le Somaliland, une exception africaine.
Un avis sur « La genèse des Shebabs en Somalie et les conséquences géopolitiques et sécuritaires sur les pays voisins. »