Vendredi dernier s’est tenu le dernier club de lecture de l’année organisé par l’AMECAS, qui a réuni étudiants, professionnels , et curieux de l’Afrique , achevant ainsi l’année avec une dernière touche littéraire.
Présidée par Monsieur Steeve Kodzo Flagbe , membre de l’AMECAS, et étudiant en Master Histoire de l’Afrique, cette rencontre s’est portée sur l’examen du livre « Deconolising the mind ,the politics of language in african literature » de N’gugi Wa Thiong’o.
Avant de pénétrer la substance du livre, une brève présentation de l’auteur s’imposait.
Monsieur N’gugi wa Thiong’o est l’un des éminents écrivains africains du XXème siècle . Né en 1938 à Kamitiithu (Kenya) , James Ngugi de son vrai nom , a vécu dans les affres de la colonisation anglaise qui a duré jusqu’en 1963. Contrairement à ses homologues écrivains , N’gugi wa Thiong’o, se distingue par ses œuvres écrites en Kikuyu (langue kényane), un choix qui n’est guère anodin.
Fervent dénonciateur du néocolonialisme, et du gouvernement en place de Daniel Arap Moi, Il sera emprisonné à plusieurs reprises, avant de s’exiler aux Etats unis où il enseignera à l’université d’Irvine (Californie).
Steeve Flagbe a d’ailleurs mis en lumière, la dimension politique et la portée de ce court essai qui traduit la volonté de l’auteur de s’inscrire dans un mouvement de construction de la littérature africaine en langue africaine.
Ecrit originellement en Kikuyu en 1986, et traduit plus tard en anglais « Decolonising the mind, the politics of language in africain literature » , fait le constat amer de la place désuète qu’occupent les langues africaines dans nos sociétés.
En effet, l’auteur dénonce ardemment une aliénation culturelle et identitaire dues à la valorisation des cultures et langues étrangères importées au détriment des nôtres. Une sujétion dont l’auteur en rattache principalement les conséquences à :
- La petite bourgeoisie africaine qui a joué et qui joue un rôle notable dans ce processus d’aliénation en cherchant à reproduire le mode de domination capitaliste exportée par les colons.
- La forte implication des institutions étatiques dans ce processus d’aliénation, à travers la prohibition des langues natales dans le milieu scolaire sous peine de sanction, et de la mise en place d’un système éducatif naïvement calqué sur le modèle occidental.
- L’emploi des langues occidentales par la quasi-unanimité des écrivains africains, dans leurs œuvres, à destination d’un public étranger, excluant de facto les classes populaires en Afrique.
Sur ce dernier point l’auteur exhorte à une affirmation culturelle devant inextricablement passer par le vecteur des langues maternelles dans le but de combattre la pleine domination sous-jacente à laquelle nos sociétés sont en proie.
Désireux de ramener la classe populaire africaine au centre de sa production , son oeuvre théâtrale « Ngaahika Ndeenda (je me marierai quand je voudrai) » intègre parfaitement le folklore Kikuyu pour créer une œuvre originale et accessible primordialement aux populations africaines.
A la question comment ramener nos langues maternelles dans notre quotidien, Steeve Flagbe a rappelé l’émergence dans bon nombre de pays de langues africaines qui s’imposent subsidiairement aux langues coloniales.
On pourrait citer à titre d’exemples : le Haoussa, le Igbo, et le Yorouba , trois langues qui ont pris le statut de langues majeures au Nigéria et qui sont de surcroit enseignées en milieu scolaire. Ensuite , l’Ewé qui se présente également comme une langue parlée à l’échelle nationale au Togo , et enfin en Côte d’ivoire avec l’essor du Dioula.
Par conséquent, l’intervenant a rappelé l’importance de ces langues, et le rôle qu’elles pourraient jouer avec le concours des institutions étatiques, en tant que langues de substitution aux langues coloniales.
Cette œuvre de Ngugi est une ode à la réflexion profonde sur le terme même de littérature « africaine » : Est-ce toute œuvre écrite par un Africain ? Toute œuvre écrite sur les Africains ? Ou toute œuvre écrite par un Africain sur les Africains et pour les Africains ?