Les juges de la cour suprême du Kenya en Aout 2017.PHOTO/ Jeff Angote/ Media Nation
Conférence débat présentée et animée par Samya Idi, étudiante en master 2 droit anglais et nord-américain des affaires à la Sorbonne et Jean-Paul Kotembedouno, doctorant en droit à la Sorbonne.
Si aujourd’hui la question fait l’objet d’un débat, c’est en raison du maintien des institutions juridiques héritées de la période coloniale dans les États d’Afrique francophones.
Le droit exprime le regard qu’une société porte sur ses normes et valeurs en les inscrivant dans un ordre juridique. Or, dans les sociétés européennes du XIX et XXème siècle, les normes et valeurs s’articulent autour de l’individu, tandis que dans les sociétés africaines précoloniales, c’est la communauté qui prime sur l’individu. Pourtant le droit européen a fini par s’imposer sur les différentes juridictions locales, en les reléguant au rang de « droit coutumiers » et « traditionnels ».
Après les indépendances, les élites africaines s’interrogent sur le système juridique à appliquer dans les nouveaux États. Pour Samya Idi, la réponse à la question du débat est affirmative : « Faut-il décoloniser les systèmes juridiques en Afrique? Ma réponse est oui.»
Néanmoins, afin d’opérer à une décolonisation du système juridique français en Afrique francophone, Samya Idi considère qu’il est nécessaire que les Africains, et notamment les élites gouvernantes décolonisent leur regard sur les droits coutumiers. En effet ces derniers, souvent oraux, sont déconsidérés alors qu’ils bénéficient d’une doctrine, d’une jurisprudence, et de lois, au même titre que tout autre système juridique.
Pour Jean-Pierre Kotembedouno la réponse est également affirmative, si elle semble évidente cela suppose que l’on repense l’Etat postcolonial. En effet pour ce dernier l’Etat doit être considéré comme la principale source du droit, or les constitutions des Etats africains indépendants sont inspirées des Constitution des Pays européens colonisateurs. Selon Jean Paul Kotembedouno: « Il faut alors revenir aux fondements de la construction d’un Etat. Il faut décoloniser de manière substantielle, étant donné que, les lois et juridictions ne sont pas endogènes, mais exogènes. »
Mais faut-il revenir aux anciennes entités politiques alors que ces derniers ne correspondent pas à la réalité des États actuels ? Dans certains États comme le Ghana et le Botswana, la démarche a déjà été entreprise pour redonner une autorité à des institutions comme les rois qui ont des prérogatives juridiques.
Mais pour aller plus loin dans son propos Jean-Pierre Kotembedouno pose la question de la pertinence de décoloniser totalement les systèmes juridiques des États africains. En l’état actuel, est-ce faisable? S’il s’avère que dans certains cas les populations, notamment en milieu rural préfèrent présenter des conflits d’ordre familiaux à des juridictions locales, dans beaucoup de cas le droit européen et les modes de vie occidentaux se sont imposés dans les sociétés africaines. Or serait-il acceptable et accepté dans nos sociétés que le droit aille à l’encontre du droit des individus ?
Ce qui est sûr pour nos deux intervenants c’est que la réflexion sur la décolonisation des systèmes juridiques africains doit être entreprise, et se poursuivre dans les États qui ont déjà entrepris cette démarche. Samya Idi rappelle que la non-prise en considération des droits coutumiers est une des explications à l’ineffectivité normative et institutionnelle des systèmes juridiques africains. Jean-Pierre Kotembedouno considère que ce retour à des droits coutumiers doit se faire dans le sens du progrès. Pour lui et Samya Idi, les Etats doivent réfléchir à mettre en place « une subtile conciliation entre les droits coutumiers et le droit occidental ». La suppression totale d’éléments du droit européen dans un contexte globalisé semble irréaliste pour nos deux juristes. En effet ces derniers soulignent le fait que le droit même s’il doit traduire les réalités locales doit également montrer son efficience dans un contexte mondial.
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