L’invasion djihadiste d’Ansar Dine, AQMI et du MUJAO à la suite de la rébellion indépendantiste des touaregs du MNLA en 2012,a démontré la faiblesse des Etats de la bande sahélo-saharienne face à des menaces transnationales ou des difficultés locales faisant tache d’huile sur les pays voisins. A la suite d’une réunion à Nouakchott le 16 février 2014 à l’initiative du président mauritanien, naquit le G5 Sahel réunissant la Mauritanie, le Niger, le Mali, le Burkina Faso et le Tchad confirmée par signature d’une convention le 19 décembre 2014. Néanmoins 3 ans plus tard, le G5 Sahel n’est pas pleinement opérationnel et les réticences internationales, notamment celles des Etats-Unis, réclament une vision et une stratégie plus clairement établies tandis que l’ONU, l’UE et surtout la France, soucieuses de désengager militairement de la région, soutiennent logistiquement et financièrement cette organisation internationale d’un nouveau type en Afrique sahélienne voire subsaharienne. Doit-on considérer le G5 Sahel comme un effort d’intégration régionale et une initiative africaine à saluer ou alors, comme un trompe-l’œil exogène, commode pour masquer les insuffisances nationales et internationales d’une zone en pleine mutation ?
Sahel, espace sahélo-saharien : la construction d’un nouvel espace

La définition géographique du Sahel est plus large que sa définition politique. Tout comme le Sahara dont il en est la bordure, c’est un espace d’échanges commerciaux et un carrefour anthropologique entre les populations arabo-berbères et celles négro-africaines. Si l’on se base sur des caractères purement géographiques, le Sahel voire l’espace sahélo-saharien (la délimitation n’étant pas stricte) s’étend de l’Atlantique à la Mer Rouge, une bande de terre large de 300 km entre le désert et la bordure tropicale, approximativement entre le 12° et le 20° parallèle nord.
Néanmoins, le Sahel a fini par définir la partie occidentale sahélo-saharienne, celle occupée autrefois par l’AOF et l’AEF via le Tchad. Cela correspond à une zone où se sont succédés des empires (empire du Ghana, empire du Mali, empire Songhay) , qui par définition, rassemblent des populations hétérogènes réunies autour d’un centre sur une vaste étendue. Si ceux-ci n’ont pas rassemblé tous les groupes humains sahéliens vivant actuellement dans le Sahel, ils constituent un imaginaire collectif commun qui façonne l’identité de l’espace sahélo-saharien et le sentiment d’appartenance commun bien avant la colonisation française.
Par conséquent, la colonisation française ne fut qu’une énième tentative, exogène et plus large cette fois ci, d’unifier non seulement le Sahel mais l’espace sahélo-saharien, qui avait notamment l’ambition d’unifier parallèlement le Sahara sous sa gouverne. Cela a participé malgré les délimitations entre l’Algérie française et l’AOF, à renforcer la conception du Sahel voire l’espace sahélo-saharien comme un espace à part entière dont les communautés humaines partagent un même espace, bien que les modes de vies diffèrent entre elles.
L’africanisation de cette vision unique du Sahel au niveau étatique et institutionnel pour lutter contre des fléaux communs eut lieu durant les épisodes de famine à la fin des années 1970. La lutte contre la désertification fut aussi une première occasion de synchroniser ces pays dits sahéliens pour une cause supranationale propre à leur espace spécifique commun.
Le G5 Sahel en tant qu’organisation internationale s’inscrit donc dans une logique sur le long terme dépassant la simple question sécuritaire, il est l’expression d’une zone qui affirme sa place et son existence intrinsèque en tant que tel, au-delà d’être une passerelle ou un entre-deux monde (Afrique du Nord/Afrique subsaharienne).
La crise malienne de 2012 et ses conséquences : faiblesse de l’Etat-Nation et imbroglio régional

Superficie du Mali : 1,24 millions de km² = 40,615% du Sahel
Superficie du sahel : 3,053 millions de km²
Superficie du Nord Mali : 822 000 km²= 26,92% du Sahel
Depuis l’indépendance, l’histoire politique du Mali est émaillée d’autoritarisme et de corruption endémique, ainsi que de la gestion de l’irrédentisme touareg, fruit du découpage colonial français et de la Conférence de Berlin de 1884-1885. Ce pays est central dans l’espace sahélo-saharien de par sa taille. En effet le Mali occupe environ 40,62 % de la superficie du Sahel, et le Nord Mali (correspondant à l’espace revendiqué par les indépendantistes touaregs du MNLA) à lui seul représente 26,92% du Sahel.
Le Nord Mali est délaissé par l’Etat malien depuis l’indépendance, marginalisant les Touaregs dans le projet nouveau d’état-nation, que cela soit par le manque d’infrastructures que par la difficulté de bâtir un roman national commun à tous les groupes de populations. Les révoltes touaregs ont émaillé l’histoire politique contemporaine du Mali (1963/64,1990/92,1994/95,2006) avant celle de 2012.
En raison de son éloignement géographique et de la faible densité de population qui facilite les divers trafics (dans une zone qui, de manière pluriséculaire est un espace d’échanges commerciaux) mais aussi l’implantation des groupes djihadistes venus d’Algérie. En effet des transfuges avec l’ancien GIS (Groupe Islamique du Salut, protagoniste de la guerre civile en Algérie dans les années 90) s’étaient réfugiés dans le Sud du Sahara, et ont crée AQMI (Al Qaida au Maghreb Islamique) au début des années 2000. Le MUJAO (Mouvement pour l’Unicité du Jihad en Afrique de l’Ouest) est issu d’une scission d’AQMI, et privilégie l’Afrique de l’Ouest comme terrain. Ansar Dine est un mouvement djihadiste à consonance majoritaire touareg, rassemblant ceux-ci voulant intégrer nationalisme touareg et islamisme.
Au début de 2012, le MNLA (Mouvement National de libération de l’Azzawad) entreprend la conquête du Nord Mali et attaque les positions de l’armée malienne près de Menaka. Rapidement AQMI et le MUJAO se joigne au MNLA. Si ce dernier, vise l’indépendance d’une partie du Nord Mali (le territoire de l’Azzawad) et est d’obédience laïque, AQMI et le MUJAO sont dans une optique de jihad globale et veulent instaurer un ordre islamique. Le MNLA conquiert et contrôle Gao, Tombouctou et Kidal, et déclare l’indépendance de l’Azzawad le 6 avril 2012. Après une brève entente avec Ansar Dine le 27 mai 2012, le MNLA désavoue l’accord qui avait pour but la fusion des deux mouvements, l’aspect djihadiste étant le principal désaccord. Mais le MNLA est vite débordé par les djihadistes : le 28 juin 2012 le MUJAO prend le contrôle de Gao.
Dans l’année 2012, une grande partie du Nord Mali échappe au contrôle étatique sous l’action conjointe du MUJAO, d’AQMI (des groupes djihadistes) d’Ansar Dine et du MNLA (Mouvement national de libération de l’Azzawad) mouvement indépendantiste touareg. Les forces armées maliennes en déliquescence furent incapables de résister à cette offensive. La menace d’une offensive contre le sud du pays où se trouve notamment la capitale Bamako, ainsi que la demande de l’appel au secours du président malien à la France, est le motif officiel principal de l’intervention française militaire armée.
La présence armée française sous couvert d’un mandat de l’ONU débute avec l’opération Serval où il s’agit de reconquérir le Nord Mali et de stopper l’avancée imminente des djihadistes d’AQMI et du Mujao vers le sud du pays. Ce fut un succès militaire mais l’opération Barkhane, prenant le relais pour stabiliser cette fois-ci la région entière est plus mitigée, devant faire face à la régionalisation du conflit (ce qu’il n’avait jamais cessé d’être). En effet la crise malienne de 2012 a mis en jeu des acteurs dont les combattants ainsi que le calendrier n’étaient pas liés uniquement au seul espace du Nord Mali. L’irrédentisme touareg peut aussi bien concerner les Touaregs présents au Niger, AQMI possède des combattants et des bases arrière dans le Sud du Sahara, et le mouvement Al Mourabitoune.
D’autres mouvements djihadistes tels que le Front de Libération du Macina (majoritairement constitué de Peuls) qui réclament des liens avec Ansar Dine au Mali, mènent des attaques bien après le point d’orgue de la crise malienne de 2012( attaque de la ville de Nampala le 19 juillet 2016).
Une solution régionale à une problématique régionale : l’initiative du G5 Sahel

Le G5 Sahel est une organisation internationale regroupant 5 pays concernés par les problématiques sécuritaires du Sahel : le Tchad, le Niger, le Burkina Faso, le Mali et la Mauritanie. L’absence du Sénégal, pourtant hub habituel de la diplomatie internationale dans la région, n’est certes pas anodine bien qu’étant épargné pour l’instant par le terrorisme djihadiste.
Le G5 Sahel se centre autour d’une coopération militaire et de développement toutefois, il s’agit bien là d’une institution sécuritaire. En effet le G5 Sahel intègre les notions de peacebuilding, extensions désormais courantes dans le logos militaro-sécuritaire. En effet les politiques de RSS (réforme de secteur de la sécurité) mettent l’accès sur la polysémie de la sécurité, que la modalité nouvelle des conflits et des belligérants (asymétrie, frontière floue entre civils et combattants) réifie.
Pour que l’Etat assure le monopole de la violence légitime selon la conception wébérienne de l’Etat, celui-ci doit assurer les autres fonctions régaliennes nécessaires à la sécurité des populations : justice, alimentation, santé (liste non exhaustive). Développement et sécurité sont alors deux faces d’une même pièce. Ce paradigme nouveau mis en avant entre autre par l’OCDE depuis une dizaine d’années est l’esprit qui anime le G5 Sahel.
La structure du G5 Sahel lie les deux aspects, sécurité et développement, bien que le développement est mis au service de la sécurisation de la région, devant l’urgence des besoins. La collégialité entre Etats est assurée par la répartition des tâches (qui ne sont toutefois pas exclusives), et par une tête exécutive constituée des cinq chefs d’Etat.
L’initiative du G5 Sahel est soutenue par la France car permettant d’envisager à court et moyen terme, la fin d’une présence militaire française active dans la région (Opération Barkhane). Elle réunit plusieurs pays francophones de la région, notamment le Tchad ,dont les accords militaires en font une clé de voûte du dispositif français sur le continent. De plus le G5 Sahel apparaît comme une solution endogène face à un problème endogène, avec une légitimité de mener des offensives contrairement à la MINUSMA (Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies). La force militaire du G5 Sahel prévoit de contenir 5000 hommes répartis en sept bataillons.
Néanmoins, derrière ce tableau idyllique les limites voire les remises en causes du G5 Sahel sont tout aussi apparentes aux yeux des détracteurs de l’initiative. En premier lieu, le financement nécessaire du lancement d’une telle force n’est pas totalement assuré et est bien entendu exogène. La France et l’UE ont appuyé la création de cette force mais les Etats-Unis sont plus que réticents à financer toute opération sans stratégie politique claire. La résolution 2059 des Nations Unies autorisant sa mise en place (avec un soutien financier des Nations Unies) fut le résultat d’âpres négociations entre la France et les Etats-Unis d’Amérique. Le budget annuel de fonctionnement du G5 Sahel serait de 423 millions d’euros, pourvu à ¼ actuellement. Les autres acteurs tels que l’OCI (Organisation de la Coopération Islamique) doivent aussi être mis à contribution pour financer le G5 Sahel, en dehors de la France et de l’UE, ses parrains initiaux.
Ensuite, la multiplicité des acteurs et des contributeurs complexifie les objectifs politiques à atteindre, et peuvent entrainer des buts consensuels a minima, réduits à l’élimination physique des groupes djihadistes. Or tant que ne sont pas résolus les questions politiques telles que l’irrédentisme touareg, la lutte généralisée contre la corruption, la juste redistribution des richesses et des infrastructures étatiques, les sources de mécontentement et de remises en causes de l’ordre étatique ne seront pas taries. Il est nécessaire de rappeler que les djihads du XVIII ème siècle ont été lancés aussi en réaction aux déséquilibres sociaux provoqués par la traite négrière atlantique.
Par conséquent, l’endogénéité du G5 Sahel ne peut être confirmée que par une réelle indépendance de celui-ci dans les solutions à apporter (ce qui n’est pas garanti) ainsi qu’une prise en compte des besoins de toutes les populations concernées, au-delà de la raison d’Etat propre à chaque constituant du G5 Sahel.
La première opération du G5 Sahel nommé Hawbi (Vache noire) se déroula entre le 27 octobre et le 11 novembre. Elle mit en exergue 350 soldats du Burkina Faso, 200 soldats du Niger et 200 soldats maliens. Ceux-ci étaient soutenus logistiquement et stratégiquement par 180 militaires de l’opération Barkhane.
Il s’agissait là de patrouiller la zone frontalière commune entre les trois états, sans affrontements. Si la coordination ne fut pas parfaite, cette première action est vue comme un succès par les différents états majors. Reste à voir sur la durée, et notamment le lien avec les populations de zones souvent délaissées par les Etats concernés,. En effet, ceci est primordial pour la lutte contre les groupes armés transnationaux, voire pour la réalisation de tout objectif politique dans la région.
B.MATESO
Sources
Michel Goya, « La guerre de trois mois : l’intervention française au Mali en perspectives », Politique étrangère 2013/2 (Eté), p. 157-168.
Olivier Hanne, « L’opération « Barkhane » devant l’évolution des risques dans la bande sahélo-saharienne », Outre-Terre 2017/2 (N° 51), p. 225-237.
https://www.monde-diplomatique.fr/2016/03/HUGON/54920 Le Sahel entre deux feux djihadistes de Philippe Hugon (mars 2016)
Galy Michel & Badie Bertrand, La guerre au Mali : comprendre la crise au Sahel et au Sahara : enjeux et zones d’ombre, Paris, La Découverte, 2013
Julieu André( sous la direction de), L’Afrique : du Sahel et du Sahara à la Méditerranée, Paris, Ellipses, 2017
Convention portant sur la création du G5 Sahel : http://www.g5sahel.org/images/convention.pdf
Décret portant création du Comité National de Coordination des actions du G5 Sahel, Mali : http://www.g5sahel.org/images/Docs/Decret_CNC_sahel_MALI.pdf
Je lis : le G5 Sahel est grandement financé par les Etats européens et les Etats-Unis.
Questions : qui gère ce financement ?
qui s’occupe de voir si ce financement est bien utilisé ou subtilisé ?
combien de citoyens de ces pays membres on retrouve sur les bateaux en direction de l’UE ?
C’est exactement comme l’aide des centaines de milliards que chaque année sont versé en Afrique comme « aide aux pays sous-développés » qui disparaissent dans des paradis fiscaux au nom de leurs présidents dictateurs………. il faut une fois arrêter ce désastre humain !!!!
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Tout le monde sait que l’ONU, l’UE, la Banque mondiale et le FMI envoient des centaines de milliards en Afrique comme « aide aux pays sous-développés », milliards qui disparaissent aussitôt dans des paradis fiscaux dans des comptes personnels au nom des Présidents AFRICAINS qui reçoivent tout cet argent. Pourquoi encore demander à la France d’intervenir en Afrique aux frais de leurs contribuables, alors que tous ces présidents, avec tous ces milliards, pourraient s’organiser ensemble pour subvenir aux besoins et à la sécurité de leurs populations ??? je n’invente rien, lisez cet article :
12’000 milliards de $ volés aux pays les plus pauvres
Ancien économiste chez McKinsey & Co, Jim Henry a analysé 45 ans de statistiques officielles du monde entier. Selon ses conclusions, le total des sommes détournées par les dictateurs et les dirigeants économiques des pays pauvres avoisinerait la somme astronomique de 12’000 milliards de dollars (env. 267’milliards de $ par année). Ce n’est pas moins de 150 nations qui auraient vu leur argent pillé et dissimulé dans les paradis fiscaux. D’où l’extrême pauvreté des peuples quand bien même leur pays bénéficie d’un PIB par habitant supérieur à la moyenne mondiale.
Exemple : La Guinée Equatoriale…….
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