Développer le secteur infrastructurel des économies africaines : le rôle des fonds souverains

Les pays africains producteurs d’hydrocarbures ou de minerais tentent de gérer de la manière la plus efficace possible les recettes de l’exploitation minière et pétrolifère par la création de fonds souverains. Ces véhicules d’investissements publics destinés à financer des projets d’infrastructures, constituer une épargne intergénérationnelle et à la stabilisation de l’économie sont en plein essor sur le continent. Etudier le rôle de ces fonds étatiques dans le financement du développement africain revient à définir la notion même d’un fonds souverain, leurs différents objectifs et le cadre règlementaire auquel ils sont soumis. Il s’agira par la suite de présenter les fonds souverains présents sur le continent. 

Définition, typologie et réglementation des fonds souverains

Qu’est-ce qu’un fonds souverain ?

La définition d’un fonds souverain (ou fonds d’investissements publics) n’est pas commune et diffère selon les institutions. Le groupe de travail international sur les fonds souverains (International Working Group of Sovereign Wealth Fund[1]) présente ces véhicules d’investissements comme étant « des fonds ou mécanismes d’investissement à but déterminé, appartenant à des administrations publiques. Créés par une administration publique à des fins de gestion macroéconomique, les SWF détiennent, gèrent ou administrent des actifs pour atteindre des objectifs financiers et ont recours à une série de stratégies d’investissement qui comprend des placements sur actifs financiers étrangers. Les fonds souverains sont généralement créés à partir des excédents de balance des paiements, des opérations sur devises, du produit de privatisations, d’excédents budgétaires et/ou de recettes tirées des exportations de produits de base ».

Un fonds souverain est donc un fonds d’investissements publics ou gouvernementaux investissant dans des activités privées à l’extérieur du pays. D’autres institutions[2]  donnent une définition beaucoup plus limitée. Un fonds d’investissements publics en est un si et seulement elles respectent critères suivants :

  • Le fonds est détenu directement par un Etat souverain.
  • Le fonds est géré de façon indépendante des institutions financières.
  • Le fonds n’a aucune obligation de pension explicite et prédominante à payer.

Les fonds sont investis dans des classes d’actifs diversifiés au meilleur rendement. La proportion d’investissements de ces fonds doit être prédominante à l’international.

[1] Australie, Azerbaïdjan, Bahreïn, Botswana, Canada, Chili, Chine, Guinée Equatoriale, Iran, Irlande, Corée du Sud, Koweït, Lybie, Mexique, Nouvelle Zélande, Norvège, Qatar, Russie, Singapore, Timor-Leste, Trinidad & Tobago, Emirats Arabes Unis, Etats-Unis, Vietnam. L’Arabie Saoudite, l’OCDE et la Banque Mondiale sont des observateurs permanents.

[2] Le Sovereign Investment Lab de l’université de Bocconi (SIL Bocconi), The Oxford University SWF Project, des instituts de recherche tels Preqin, l’institut de recherche sur les investissements alternatifs, ou encore le Groupe Monitor.

Dotation et objectif des fonds souverains 

La taille d’un fonds souverain dépendra de la capacité d’un état à accumuler des devises étrangères (excédent de la balance des paiements, opérations de change, excédents budgétaires, recettes de l’exploitation des ressources naturelles). Les dotations financières de ces fonds ont pour origine les recettes des pays exportateurs de ressources pétrolifères ou minérales (principalement les fonds des pays du Moyen-Orient ou Africains). Ces fonds sont alors dits de « matières premières ». Cependant les dotations financières de ces fonds peuvent aussi avoir pour origine des excédents de la balance courante ou d’excédents budgétaires liés au système fiscal et aux cotisations de retraite conséquente. Ces fonds sont dits de « non-matières ».

Les objectifs de ces fonds souverains consistent à :

  • Diversifier les sources de revenus dans une logique de résilience face aux fluctuations du cours des matières premières ou au tarissement des ressources naturelles.
  • Constituer une épargne intergénérationnelle.
  • Obtenir un rendement supérieur à celui généré par les réserves monétaires.
  • Permettre aux autorités compétentes la gestion de la liquidité.

Les fonds souverains investissent pour la plupart dans des actifs jugés peu risqués (obligations) puis diversifient leurs portefeuilles en investissant dans des actions puis à termes ils investissent dans des actifs dit « alternatifs » (immobilier, private equity, infrastructures…).

Le cadre réglementaire de ces fonds

Les principes et pratiques généralement acceptés (PPGA) ou « principe de Santiago » en cours d’élaboration ou mise en œuvre par le groupe de travail des fonds souverains ont pour objectif principal le bon encadrement des activités de ces fonds. Les objectifs des PPGA prononcés par la commission de travail compétente sont :

  • La contribution au maintien de la stabilité du système financier mondial et de la libre circulation des capitaux et des investissements.
  • La conformité à toute réglementation et obligations de communication de l’information financière en vigueur dans les pays où ils investissent.
  • La réalisation des investissements sur la base de considérations de risque économique et financier, et de rendement.
  • La dotation de structures de gouvernance transparentes et saines permettant de disposer de mécanismes appropriés de contrôle opérationnel, de gestion des risques et de responsabilisation.

L’essor des fonds souverains en Afrique

Principaux Fonds et Stratégies d’investissements

Selon le SFW Institute (2017), la valeur des fonds souverains est passée de 3,628 milliards USD à 7,416 milliards USD en 2017. Le Moyen-Orient représente 40,24% du total de ces actifs, l’Asie (39,74%), l’Europe (13,11%), l’Amérique (2,80%), l’Afrique (2,70%) et autres (1,40%).

Quinze fonds souverains ont été crée ou sont à l’étude en Afrique Subsaharienne ce qui en fait la région la plus dynamique en matière de création de fonds. Les économies africaines ont accumulé rapidement des réserves de changes dus à l’augmentation des recettes de l’exportation des matières premières. Durant la décennie 2000, le taux de croissance annuel moyen a atteint +16,4% alors que durant la décennie 1990 ce taux atteignait +8,4%.

Le Pula Fund, unique fonds d’investissements publics du Botswana, a été crée en 1994 sous la direction de la Banque du Centrale du Botswana (Bank of Botswana, BoB) et est l’un des premiers fonds souverains du continent. Le fonds, alimenté principalement par la rente diamantifère et minérale, représente environ deux tiers du total des actifs de cette région.

downloadL’Angola classée deuxième pays africain producteur de pétrole derrière le Nigéria a longtemps été un des membres de l’OPEP à ne pas détenir de fonds souverain. L’économie angolaise est très dépendante de l’exploitation de pétrole brut qui représente près de la moitié du PIB, 50% des recettes budgétaires et 95% des exportations. En octobre 2012 l’Angola a annoncé le lancement d’un fonds souverain (FSDEA), initialement doté de 5 milliards USD. Le fonds alloue un tiers de son portefeuille à des titres financiers tels que des bons du trésor, des obligations notées Double-A ou Triple-A, produits dérivés et opérations de change. Les deux tiers restants sont alloués à des investissements à rendements élevés dans le private equity. L’Angola dans une logique de soutien au développement socioéconomique du pays et de la région investie, alloue une part de son fonds dans l’agriculture, le bois, l’exploitation minière et la santé.

En 2014, l’Angola avait annoncé investir dans le secteur de l’hôtellerie et des infrastructures en Afrique Subsaharienne. Le fonds angolais ciblera les hôtels de trois à cinq étoiles dans les capitales d’Afrique Subsaharienne dans le cadre du tourisme d’affaires. L’Angola a annoncé en début d’année que son fonds souverain va investir 180 millions USD dans la construction d’un port en eau profonde dans la province du Cabinda où se concentre une grande partie des activités pétrolières du pays.

« Les investissements dans le secteur industriel et les infrastructures facilitant les échanges commerciaux en Afrique subsaharienne ont montré des taux élevés de rentabilité et de résilience face aux risques que présente notre continent », a déclaré le président du conseil d’administration du FSDEA, José Filomeno Dos Santos. Ce projet permettra la création de plus de 20 000 emplois et la possibilité d’exporter la production locale (bois, café et produits agricoles).

downloadLe Fonds Gabonais d’Investissements Stratégiques crée en 2012 est le gestionnaire des ressources du Fonds Souverain de la République du Gabon (ex-Fonds pour les Générations futures). Il incombe au FGIS de rentabiliser les ressources de l’Etat à travers différents types d’instruments financiers tout en effectuant un arbitrage risque-rentabilité. Le gestionnaire de fonds gabonais a aussi pour mandat de contribuer au développement économique du pays en gérant les participations étatiques avec les entreprises partageant un lien historique, garantir l’indépendance financière du Gabon et constituer une épargne intergénérationnelle afin de diversifier les sources de revenus de l’Etat. Néanmoins selon Serge Mickoto, Directeur Général du FGIS, lors d’un entretien accordé auprès du journal Jeune Afrique en 2014 indiqua que : « Le FSRG n’est pas un fonds de stabilisation car ses ressources ne peuvent pas être utilisées pour financer le budget de l’État parce que la capitalisation minimum du fonds n’est pas encore constituée. Lorsque le capital minimum de 500 milliards de FCFA sera atteint d’ici à 2017, il pourra le devenir et une partie des ressources du FSRG pourront dès lors financer le budget de l’État ». A ce jour, le FGIS a investi 15,2 millions d’euros (10 milliards de FCFA) dans le groupe bancaire Oragroup et une centaine de millions d’euros dans deux fonds panafricains gérés par Edifice Capital dédiés au secteur agro-industriel (Agriland) et aux infrastructures (Infrastructure PPP Afrique). En partenariat avec Emerging Capital Partners (ECP), le fonds également misé sur IHS Towers, opérateur panafricain de tours de télécommunications. Dans le cadre du Plan Stratégique Gabon Emergent, la république gabonaise, le FIGS et le groupe industriel panafricain Eranove ont signé le 20 mars un accord portant sur le projet de la centrale hydroélectrique de Kinguélé Aval.

Stratégie menée par le FIGS (source : site internet FIGS)

download-1Le fonds souverain nigérian (composé d’un fonds pour les générations futures, de stabilisation et d’un fonds dédié aux infrastructures) géré par le Nigeria Sovereign Investment Authority (NSIA), doté de 2 milliards USD, investit massivement dans le secteur agricole afin de diversifier ses sources de revenus. Le NSIA a réorganisé 11 usines de mélanges d’engrais cette année et 9 autres sont prévus pour l’an prochain. Les onze usines ont livré 6 millions de sacs d’engrais à un prix 30% inférieur à celui du marché et ont permis de créer 50 000 emplois et d’économiser 50 milliards de nairas (soit 111 millions d’euros) en éventuelles subventions gouvernementales, a déclaré à Bloomberg, Uche Orji, directeur général du NSIA. En mai 2017, un accord porté sur le projet d’un Gazoduc long de 5000 km reliant le Maroc et le Nigéria ont été signés. Ce projet annoncé comme un outil d’intégration et de développement régional stimulera les secteurs de l’industrie, de transformation alimentaire et des engrais. Le coût associé au projet est estimé de 10 milliards USD et sera financé par le fonds souverain nigérian dédié aux infrastructures et le fonds souverain marocain, Ithmar Capital.

Africa50 : levier stratégique pour le financement des infrastructures africaines

Les besoins en financement des infrastructures sur le continent sont estimés à 130 milliards USD par an jusqu’à 2025 selon McKinsey & Co mais 60% ont été financé en 2015. Les revenus budgétaires des différents gouvernements ainsi que l’aide au développement apportée par les institutions internationales et les pays développés ne suffisent pas à couvrir les coûts associés au projet d’infrastructures à l’échelle continentale.

Sans titreDeux ans après son annonce de création, la Banque Africaine de Développement (BAD) a lancé en 2015 un véhicule d’investissement panafricain, Africa50, afin de résorber le déficit infrastructurel auquel est confronté le continent. Africa50 est une plateforme d’infrastructures créée dans le but de combler le déficit en matière d’infrastructures sur le continent à travers des investissements privés et des partenariats publics-privés (PPP). Africa50 a donc pour but de mobiliser l’épargne à long terme des investisseurs africains et non africains pour financer des projets d’infrastructures commercialement fiables en Afrique. Ce fonds a été initialement financé à hauteur de 812 millions USD par 23 pays actionnaires, de la BAD, de la Banque Central des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) et de la Banque Al-Maghrib (BAM). Le fonds continental qui compte à ce jour 25 actionnaires étatiques avec l’entrée récente de la RDC et la République de Guinée cible un capital à 1 milliard USD pour cette année avec pour objectif à moyen terme d’atteindre 3 milliards USD.

Africa50 est organisé en deux véhicules d’investissements Africa50 – Développement de Projets (DP) et Africa50 – Financement de Projets (FP). DP est amené à identifier les projets d’infrastructure destinés à soutenir le pipeline de projets bancables dès les premiers stades du cycle de développement des projets. De son côté FP a pour objet d’investir dans des projets d’infrastructures mis en œuvre par le secteur privé y comprit des PPP.

Africa50 a donc pour but de mobiliser l’épargne à long terme des investisseurs africains et non africains pour financer des projets d’infrastructures bancables en Afrique. Le fonds panafricain a pour stratégie de développer un pipeline de projets d’infrastructure (TIC, transport, énergie, eau) pouvant être financés, d’accélérer le financement privé dans les infrastructures africaines et de mobiliser le financement des secteurs publics et privés.

Quarante-huit projets sont actuellement examinés par DP, dont la majorité concerne les secteurs de l’énergie et des transports.

Sans titre 3
5151463_3_2016_le-president-de-la-banque-africaine-de_12e7d150a56865402e36445e8ef2eb61Le 12 septembre s’est déroulé à Dakar la 3ème assemblée générale des actionnaires d’Africa50. Présidé par le chef d’Etat sénégalais, Macky Sall, avec à ses côtés Akinwumi Adesina, président de la BAD et du conseil d’administration, la réunion a été animé par des Etats africains, des actionnaires du fonds, des fonctionnaires sénégalais, des membres du corps diplomatique et des partenaires financiers. Le président sénégalais, dans son discours d’ouverture, a exprimé son soutien aux fonds panafricain : « Africa50 mérite de réussir et bénéficie, à cet effet, du soutien de la BAD et de ses désormais 25 pays membres actionnaires, la Guinée et la République démocratique du Congo ayant rejoint le fonds », suivi par le président de la première institution africaine : « Africa50, doit aider à la mise en place d’une réserve de projets « bancables en adéquation avec le TOP 5–avec une priorité sur le secteur énergétique et faciliter les partenariats publics-privés ».

Macky Sall a souligné la nécessité pour les gouvernements africains d’améliorer le climat des affaires en créant un environnement propice à l’investissement privé dans le secteur des infrastructures pour favoriser les PPP.

Alain Ebobissé, directeur général d’Africa50, a confirmé la mise en œuvre effective du mandat de développement et d’investissement du fonds, soutient des projets d’infrastructure dans des pays actionnaires : « Avec votre soutien, Africa50 sera un pont entre les Etats africains qui l’ont créé et les entreprises publiques opérant dans le domaine de l’infrastructure d’une part, et d’autre part, les acteurs privés du financement des infrastructures, promoteurs de projets et autres institutions financières capables de déployer des ressources à long terme et les investisseurs institutionnels, avec l’objectif primordial d’accélérer la mise en œuvre des projets d’infrastructure en Afrique ».

Cette troisième assemblée générale s’est conclue par la signature d’un accord de développement entre le directeur général d’Africa50, le président de la BAD et SENELEC (société nationale de production et de distribution d’électricité du Sénégal) pour le renforcement du projet de la centrale solaire de Malicounda située dans la région de Thiès au Sénégal.

La gestion des fonds souverains africains se heurte à l’opacité desdits fonds dans leur stratégie d’investissements et leur cadre réglementaire. Une bonne gouvernance devrait être un pilier solide, leur assurerait une politique d’investissement plus transparente et une moindre dépendance vis-à-vis du politique. C’est sur cette voie que les pays africains pourront attirer les capitaux étrangers et résorber leurs besoins de financements d’infrastructures.

Maxime N’YOKOLO

Références bibliographiques

Anne-Céline Cambier, IEIFFonds souverains : l’immobilier français, cible d’investissement (2012)

Principe de Santiago, ECGIIntroduction (2008)

Banque de France, Rapport Annuel de la Zone FrancL’essor des fonds souverains : quelles implications pour l’Afrique ? (2012)

SWF InstituteSovereign Wealth Fund Rankings (Septembre 2017)

Agence EcofinAngola : le fonds souverain FSDEA va investir 180 millions $ dans le port en eau profonde de Cabinda (2017)

Agence EcofinLe fonds souverain angolais va investir dans l’hôtellerie et les infrastructures en Afrique subsaharienne

Fundo Sobreano de AngolaInvestment Strategy

Jeune AfriqueSerge Mickoto : « Le Fonds souverain du Gabon est avant tout destiné aux futures générations » (21/07/2014)

Jeune AfriqueComment le fond souverain du gabon mène sa stratégie ? (01/08/2014)

Fonds Gabonais d’Investissements Stratégiques (FGIS)Etude de cas

Nigeria Sovereign Investment AuthorityOverview

CommodAfricaPriorité à l’agriculture et aux intrants pour le fonds souverain du Nigeria (08/09/2017)

La Tribune AfriqueGazoduc Maroc-Nigéria : l’intégration économique à l’épreuve du secteur énergétique (24/08/2017)

Africa50Africa50 annual report (20/09/2017)

« Africa50 est un partenaire de choix pour la transformation économique », a dit Adesina aux actionnaires

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