Pour certains analystes, l’eau sera l’enjeu du XXIème siècle, comme le fut le pétrole pour le XIXème siècle.
Notre mode de consommation actuelle nous pousse à consommer toujours plus. Or lorsqu’une ressource comme l’eau est puisée dans des réservoirs naturels sous terre, l’Homme doit s’attendre à ce que ces ressources s’épuisent. Le bassin de Nubie et l’aquifère (réservoir d’eau naturel situé sous terre) du bassin de Lotikipi sont tous deux d’immenses bassins de ressources en eau douce pour une région du globe connue pour son aridité, (à cheval sur l’Égypte, la Libye, le Soudan et le Tchad pour le premier et intégralement situé au Kenya pour le second) mais leur renouvellement en eau est extrêmement lent. En effet, si leur exploitation n’est pas réglementée et contrôlée, l’eau pourrait se raréfier : on estime que le bassin de Nubie ne se remplit qu’avec de l’eau de pluie et à un rythme de 2,9 mm/an. En revanche, certains experts estiment que si l’aquifère du bassin de Lotikipi (200 milliards de mètres cubes couvrant une superficie de 4 164 km2) est géré de manière durable et responsable, il pourra répondre aux besoins en eau de la région.
On se retrouve donc dans une situation où d’une part la consommation en eau va en augmentant ,et d’autre part une situation où la disponibilité de cette ressource se raréfie. La disponibilité de l’eau redevient un enjeu stratégique de notre époque.
Nous allons nous intéresser ici au cas de l’Afrique, et plus particulièrement à la région du Nil avec l’Égypte, le Soudan et l’Éthiopie. Le Nil blanc et le Nil bleu traversent plusieurs états aussi variés les uns que les autres et se retrouvent au Soudan pour former le Nil.
Aussi variée soient-elles, les populations vivant sur les bords du Nil connaissent l’importance, la vitalité qu’il représente pour l’irrigation des cultures et la production d’hydroélectricité. Cette nécessité de contrôler cette ressource a contribué à l’essor de “l’Hydro-diplomatie” entre pays riverains du fleuve afin de contrôler le Nil. Comment cette idée de diplomatie de l’eau, a permis l’émergence d’hydro-puissance tel que l’Égypte hier et peut être l’Éthiopie demain ?
Le 23 mars 2015, l’Égypte, le Soudan et l’Éthiopie signent un “accord de principe” sur la gestion des eaux du Nil. L’Égypte perd alors nombre des privilèges qu’elle avait pu acquérir au cours de l’Histoire notamment grâce à l’ancienne puissance coloniale britannique.
Comment un pays situé en aval du deuxième plus long fleuve du monde a pu imposer pendant des siècles, sa vision hégémonique du partage du Nil ?
Déjà en 1891, à l’occasion du protocole de Rome, l’Italie se voie imposer des règles strictes par les Britanniques qui visent à empêcher toutes constructions sur le fleuve Atbara (dernier grand affluent du Nil) afin de préserver le débit du Nil.
Puis en 1929, l’Égypte qui est alors sortie du protectorat britannique en 1922, signe avec Khartoum un accord qui oblige le Soudan (sous condominium anglo-égyptien) à ne pas entreprendre de travaux qui pourraient modifier le débit du Nil. Cet accord fixait les “droits acquis” de l’Égypte : droit de véto sur tous projets en amont du fleuve. De plus, bien que l’Éthiopie ne soit pas partie prenante dans cet accord, elle se voyait privée de toute utilisation de ses ressources hydrauliques car l’Égypte gardait un droit de surveillance de la source jusqu’à l’embouchure du Nil. L’Égypte parvient une dernière fois à imposer ses vues avec la révision du traité en 1959 et la construction du barrage d’Assouan qui restreint l’utilisation du Nil pour les pays en amonts.
Depuis le début des années 2000, l’Éthiopie connaît une forte croissance économique, notamment sur la décennie passée avec des taux de croissance moyens à 10%/an. Dans le même temps, sa population augmente de manière exponentielle: plus 30 millions d’habitants en l’espace de 25 ans. Cette population s’urbanise de plus en plus (taux d’urbanisation 4,89% annuel) car les villes sont en pleine croissance et sont donc une source d‘emplois et de revenus. La construction d’un barrage nommé Renaissance est donc vitale pour l’Éthiopie afin de pérenniser sa croissance, qui est menacée par des coupures d’électricité à répétitions. Il lui permettra également d’être autosuffisante en énergie et de pouvoir en exporter une partie. On estime que l’exportation de cette énergie pourrait rapporter près de 700 millions de dollars par an.
L’Éthiopie débute les travaux le 4 avril 2011.
Hasard du calendrier ou pas, l’Égypte qui a toujours contesté ce projet est alors en pleine révolution.
La fin des travaux du barrage de la Renaissance sont prévues pour 2017.
Le barrage de 6000 mégawatts, ne reçoit aucune subvention internationale dû à l’intense et ferme opposition de l’Égypte à ce projet auprès des plus grands acteurs internationaux. Qu’à cela ne tienne, le projet qui est évalué à 5 milliards de dollars sera entièrement financé par l’Éthiopie.
Le pays qui dispose d’un revenu annuel moyen par habitant de 465$, réussit à financer le projet par les impôts locaux, dons et notamment via les obligations d’État.
La diaspora éthiopienne joue également un rôle important.
Mais la pierre angulaire de ce projet de financement reste l’émission de dette via les obligations d’État par la Banque d’Éthiopie. Chaque citoyen et notamment les fonctionnaires, sont invités (avec insistance du gouvernement) à financer ce projet ambitieux et patriotique à travers un grand emprunt obligataire national.
En effet, via ce système Addis Abeba a réussi à lever l’argent nécessaire auprès des éthiopiens.
L’Éthiopie tenta également de chercher des fonds du côté des investisseurs internationaux, mais ceux-ci ont refusé car aucune étude pour évaluer les conséquences environnementales ne voulait être menée par Addis Abeba.
Djibouti est le seul état de la région à avoir participé au financement à hauteur d’un million de dollars.
Le reste, environ 1,8 milliard de dollars (sur les 5 milliard du projet) est apporté par la Chine, pour financer l’achat des turbines et des équipements électriques.
Les travaux lancés et finalement financés, Addis Abeba doit convaincre les pays en aval du Nil du bienfait et de l’utilité du projet.
Le Soudan s’est vite rallié à la cause éthiopienne et ce pour plusieurs raisons. Khartoum n’est plus satisfaite par le traité de 1959, et estime même qu’il est injuste. Ce changement s’explique par le fait que la présence politique égyptienne ait été supplantée au profit de l’Ethiopie ces dernières années, de plus il est acquis que ce barrage sera bénéfique pour le Soudan. En effet, l’édifice éthiopien permettra de réguler les crues qui chaque année causent de nombreux dégâts et font des milliers de victimes dans les régions du Kordofan et de Sannar entre autre.
Cela sera non seulement bénéfique pour l’agriculture soudanaise qui ne craindra plus de voir ses récoltes noyées, mais également pour sa production d’électricité. Car le limon ,qui s’accumule, freine les turbines des barrages soudanais et peut impacter leur production hydroélectrique jusqu’à 40% de leur capacité sachant que l’hydroélectricité représente 8% de la production d’énergie pour le Soudan. Enfin, le pays pourra importer l’électricité éthiopien à un prix préférentiel en échange de son soutien au projet.
En revanche pour l’Égypte, attend garanties concrètes concernant le débit du Nil.
Des études montrent qu’un égyptien disposait en moyenne de 920 m3/an en 1990 et devrait disposer de 337 m3/an en 2025, compte tenu de la forte croissance démographique du pays ces dernières (un français dispose en moyenne de 3300 m3/an). Il faut également souligner que 95% des ressources en eau du pays proviennent en dehors de ses frontières.
Le Nil permet de produire 90,8% de l’énergie renouvelable du pays via ses barrages, ce pourcentage est ramené à 8,2% en tenant compte de la production issue des combustibles fossiles, notamment le gaz et le pétrole.
On comprend que le contrôle du débit du Nil est un enjeu vital pour l’Égypte.
Adia Abeba s’est toujours engagé à ce que le barrage n’impacte pas le débit du Nil. Le pays préfère le dialogue à la confrontation. On comprend cela aisément quand on compare les budgets alloués à la défense dans chaque pays : 340 millions de dollars contre 5,85 milliards de dollars pour l’Égypte. L’Égypte s’est toujours montrée résolue à défendre ses droits sur le Nil. Lors d’une réunion ministérielle diffusée en directe à la télévision plusieurs ministres de l’ancien président déchu Mohamed Morsi soulevaient la question d’une intervention armée afin de stopper la construction du barrage. Ce qui provoqua un incident diplomatique entre les deux pays.
Le Caire avait par la suite dû présenter ses excuses à Addis Abeba.
L’intense travail diplomatique de l’Éthiopie a donc fini par payer puisque le 23 mars 2015 elle signe avec le Soudan et l’Égypte un “accord de principe” sur le partage des eaux du Nil. En clair, Addis Abeba s’engage à ce que son barrage ne nuise pas à l’approvisionnement en eau de ces pays. Le Caire a donc été entendu sur ses craintes.
Mais le projet qui devait initialement être achevé courant 2017, a pris du retard, et nul ne peut prédire si une fois terminé il n’affectera pas le débit du fleuve.
Ce projet est une promesse d’un avenir meilleur pour toute une région, les tiendra-t-il ?
Dans tous les cas, l’avènement d’un tel édifice a permis à l’Éthiopie de s’affirmer comme un pays dynamique et indépendant. Elle s’affirme de plus en plus comme un acteur incontournable dans cette partie du globe, cela s’explique par une stabilité politique et une croissance forte et régulière. Le grand perdant dans ce projet est donc l’Égypte, qui perd de son influence d’antan et voit son hydro-puissance se réduire ce qui n’est pas anodin lorsqu’il s’agit de peser dans les négociations pour le partage du Nil. Car ce projet peut donner des idées à d’autres pays qui ne profitent pas pour le moment de toutes les opportunités qu’offre ce fleuve. Il faut s’attendre à ce que d’autres projets fleurissent au cours des prochaines années contenu de la forte croissance économique et démographique dans la région.
Ambroise R.
Sources:
–Finances et méga projets en Afrique,http://www.un.org/africarenewal/fr/magazine/d%C3%A9cembre-2014/finances-et-m%C3%A9ga-projets-en-afrique
– L’Egypte, l’Ethiopie et le Soudan signent un accord de principe pour la gestion des eaux du Nil, http://www.sentinelle-droit-international.fr/?q=content%2Flegypte-lethiopie-et-le-soudan-signent-un-accord-de-principe-pour-la-gestion-des-eaux-du-nil
– Le barrage Renaissance : accord du 23 mars 2015, http://www.lesclesdumoyenorient.com/Le-barrage-Renaissance-accord-du.html
– Des barrages gigantesques pour assurer le développement,http://www.lesafriques.com/actualite/des-barrages-gigantesques-pour-assurer-le-developpement.html?Itemid=89?articleid=46189
– L’Ethiopie sur les pas de la Chine, http://afrique.lepoint.fr/economie/l-ethiopie-sur-les-pas-de-la-chine-19-08-2014-1857854_2258.php
– Egypte, http://www.energies-renouvelables.org/observ-er/html/inventaire/pdf/15e-inventaire-Chap03-3.9.2-Egypte.pdf
–Barrage sur le Nil : accord de principe entre l’Éthiopie, l’Égypte et le Soudan, http://www.france24.com/fr/20150323-barrage-geant-nil-bleu-accord-ethiopie-egypte-soudan-sissi-bechir-desaleign
–Éthiopie : la construction du barrage « Renaissance » et ses enjeux,http://energie.lexpansion.com/energies-renouvelables/ethiopie-la-construction-du-barrage-renaissance-et-ses-enjeux_a-33-7617.html
Sur la guerre de l’eau : https://www.youtube.com/watch?v=3p2sOlAOmYs
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