Le projet Prosavana au Mozambique : recomposition de l’accaparement des terres

prosavana

Le Mozambique est un pays qui a été largement fragilisé du fait de la guerre civile qui ne s’est achevée qu’en 1992. Cette guerre a détruit les cultures du fait de la tactique de la terre brulée. Les  milieux ruraux sont, encore aujourd’hui, des territoires largement sous-équipés et la pandémie du SIDA a pour conséquence de faire baisser la capacité productive des paysans. Mais aujourd’hui, après une ouverture rapide à la mondialisation, le Mozambique apparaît comme le « nouvel eldorado africain » avec une croissance de 7% en 2013. C’est donc dans ce contexte que ce pays s’ouvre aux investisseurs et à l’accaparement des terres dont le projet Prosavana est un exemple.

Le land grabbing, une résurgence de la domination coloniale

L’accaparement des terres (ou land grabbing), c’est l’acquisition (concessions,location, achat) par des firmes ou des Etats de zones cultivables (plus de 10 000 ha) à l’étranger et à long terme pour produire des denrées de base destinés à l’exportation. Il s’agit d’un phénomène très ancien. En effet, la terre présente une dimension économique et symbolique très forte. Posséder la terre, c’est être puissant. L’accaparement induit presque toujours la notion de violence, qu’elle soit d’ordre physique ou symbolique. Pour ne faire que les citer, on peut évoquer le cas des colonies de peuplement lors de la colonisation européenne : en Algérie, les Français s’octroyaient de fait les meilleures terres , en Afrique du Sud, les Boers ont refoulé les Zoulous puis la création des Bantoustans en 1913 daignant aux Noirs leur droit à la terre, tels sont les exemples de la période contemporaine d’accaparement de terres. Or ce processus n’a pas disparu de nos jours il est encore d’actualité sous une nouvelle forme.

Utiliser le terme «accaparement des terres » est un choix engagé dans la mesure où c’est un terme politique, connoté et polémique. Il est en effet utilisé par les associations qui luttent contre les entreprises qui font du land grabbing. D’autres termes existent pour définir ce phénomène comme celui d’« appropriation » et de « concentration des terres ».Différents acteurs sont concernés  : de nombreux types d’entreprise notamment les entreprises d’ingénierie agricole, les banques, les fonds d’investissements,les paysans, l’ensemble de la  société civile et les Etats.

Ces phénomènes nous amènent donc à nous interroger sur la nature du jeu complémentaire  entre les Etats et les entreprises, jeu qui se fait  le plus souvent au détriment des intérêts locaux comme le montre le projet Prosavana au Mozambique. En d’autres termes, comment s’expriment, du fait de la mondialisation, les nouvelles formes d’accaparement ?

La terre, enjeu de la concurrence mondialisée 

A partir de 2008, une nouvelle forme d’accaparement a émergé. La crise alimentaire mondiale de 2007-2008 a pour origine une forte hausse du prix des denrées alimentaires de base, plongeant dans un état de crise quelques-unes des régions les plus pauvres du monde. Cela a créé une instabilité politique et des émeutes dans plusieurs pays. Les causes de cette crise sont également l’augmentation de la population mondiale, les changements des habitudes alimentaires (en quantité et en préférence) et l’émergence des agrocarburants (responsables à 75% de la hausse des prix selon un rapport de la banque mondiale).

Depuis cette crise, le foncier agricole devient alors une nouvelle source de bénéfice pour la finance mondiale et se transforme en un support privilégié de  spéculation. En effet, le foncier est devenu une valeur refuge pour les investisseurs, répondant assez bien aux fluctuations de marché. Cela laisse la porte ouverte au processus de land grabbing.

Le land grabbing est un phénomène  qui touche tout le globe. En effet, plus de 60 pays  sont ciblés par des centaines de firmes et une douzaine de gouvernement. Toutefois, on observe une concentration de ce phénomène :  47 % des États touchés par le phénomène se trouvent en Afrique, 33 % en Asie et 90 % des terres cédées sont concentrées dans vingt-quatre pays.

Ces spéculations sur la terre mettent  en péril la sécurité alimentaire des pays. De plus, elle tend à renforcer le dualisme entre agriculture commerciale et agriculture de subsistance. Les agriculteurs ne contrôlent plus directement leur production. En effet, du fait de la mondialisation, on observe une  montée en puissance de macro acteurs comme de grandes banques, des fonds d’investissements. De nouveaux modèles de production et de financement apparaissent donc. Les Etats sont actifs mais ce sont les entreprises qui mènent les projets.

L’accaparement des terres émane principalement des industries produisant des biocarburants qui nécessitent de vastes étendues pour cultiver le palmier à huile, le maïs, le colza, le tournesol, la canne à sucre. Mais ces firmes sont de diverses natures. La nouveauté vient du fait que l’on retrouve beaucoup de  firmes financières, qui traditionnellement n’étaient pas présentes dans ce secteur, comme les fonds de pension et d’investissement, les banques et  les assurances. En effet, comme le rappellent Michel Merlet et Mathieu Perdriault, responsables de l’Association aGter. « L’appropriation des terres agricoles mondiales est une rente économique pour des entreprises ». Mais les entreprises ne sont pas forcément des acteurs exogènes, il peut s’agir parfois d’investisseurs locaux et nationaux (jeu d’acteurs).

Mais ces acteurs peuvent être directement des Etats demandeurs ou un certain pays  qui souhaite mener une politique d’attraction des investisseurs, comme le Mozambique, et donc qui ouvre son pays à la concentration des terres. Les acteurs sont donc exogènes et endogènes. C’est une donnée qu’il est nécessaire de rappeler. Dans la plupart des cas, la cession des terres à des firmes étrangères est tout à fait légale, les terres ne sont pas volées.

Le projet Prosavana

Le Projet Prosavana regroupe le Japon, le Mozambique et le Brésil. Le Mozambique est le premier acteur de la cession de la terre ; il mène directement les négociations de contrats, animé par une politique d’attraction des investisseurs. De manière générale, ce sont les Etats qui créent des politiques législatives  avantageuses afin d’attirer les investisseurs en leur octroyant le droit d’exploiter une terre de 30 à 99 ans à des prix extrêmement bas. Ces politiques avantageuses concernent surtout le paiement de taxes, les entreprises et investisseurs sont tout simplement exemptés de taxe. Au Mozambique, la terre appartient à l’Etat du fait de la rationalisation des terres lors de la période socialiste (1975-1992).  Les terres sont donc publiques et peuvent être acquises sous forme de concessions. Cela présente un véritable intérêt pour les investisseurs.

Il faut souligner, un renversement intéressant de la dynamique Nord-Sud. Désormais, des pays du Sud pratiquent massivement l’accaparement (Etats du Golfe, Chine, la Corée du Sud, Brésil etc.) Effectivement, ces Etats disposent de peu de terres arables et veulent assurer la sécurité alimentaire de leur population.

Le projet Prosavana, lancé en 2009, reviendrait à faire du land grabbing sur une aire de 14M d’ha sur laquelle vivent 5M d’habs dans le Nord du Mozambique (couloir de Nacala). 70% de la population mozambicaine est rurale et la majorité dépend de l’agriculture de subsistance. La  faible productivité agricole  couplée à une forte vulnérabilité au risque climatique induit qu’une grande partie de la population est menacée par l’insécurité alimentaire. L’objectif du projet  est de produire du soja, du maïs et d’autres denrées agricoles qui seront exportées par des multinationales japonaises. Ce projet, est issu du projet Prodecer du Cerrado (Brésil) développé dans les années 80, qui a eu de nombreuses répercussions comme la pollution, la monoculture du soja ou encore la constitution d’importantes inégalités au bénéfice d’une classe de riches propriétaires terriens.

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Dans le cas du projet Prosavana, on observe une véritable organisation du mouvement social : des marches patriotiques, des forums d’organisations paysannes sont organisés, de violents heurts avec la police ont fait plusieurs blessés parmi les manifestants , les terres sont occupées et brûlées afin qu’elles soient inutilisables. Elles mobilisent des paysans locaux mais aussi des ONG internationales qui s’emparent de cette question mondiale. Ce qui est intéressant est le fait qu’on observe une véritable internationalisation des mobilisations : 23 organisations mozambicaines se sont rendues au Japon pour exiger un arrêt immédiat du projet. Rebondissant sur l’initiative mozambicaine, 31 organisations japonaises ont également mobilisés leur gouvernement sur la question. Elles revendiquent une redéfinition par le Japon de sa politique de développement. Face à cette mobilisation, le projet demeure encore en suspens. Les autorités semblent avoir pris acte, dans une certaine mesure, des répercussions en terme de justice sociale et spatiale de la mondialisation.

manif-prosavana

Ramata N’DIAYE

Sources :
– Dictionnaire Nourrir les Hommes de P.Alary et cie.
– Atlas de l’agriculture, JP Charvet.

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